Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur la question nationale

L’assemblée constituante : pour une révolution démocratique

Les signes récents de recomposition du paysage politique [1] donnent une nouvelle urgence à la clarification de ce qu’on entend par assemblée constituante (AC) et du lien entre cette proposition politique et les efforts de renouvellement du mouvement indépendantiste.

L’élection de Jean-François Lisée comme chef du PQ signale une autre mise en veilleuse de « l’option ». Mais les 10 000 voix pour Martine Ouellet et la persistance d’Option nationale indiquent que le camp des indépendantistes qui assument leur choix est encore bien en vie. L’arrivée dans le paysage du collectif Faut qu’on se parle, dont un des dix sujets de discussion est le renouvellement du mouvement indépendantiste est aussi un élément encourageant. Les États-généraux sur la souveraineté, à l’origine des OUI-Québec, avaient fait une place significative à l’AC dans leurs délibérations. On peut donc envisager une convergence indépendantiste progressiste autour d’une plateforme commune incluant l’assemblée constituante.

Le dernier congrès de QS a décidé de maintenir pour l’essentiel notre approche sur la Constituante dans le programme du parti. On peut se désoler du rejet de la précision du mandat indépendantiste l’AC, l’adoption de cet amendement (ou de l’option E qui était une tentative de compromis [2]) aurait simplifié notre travail en direction des autres courants indépendantistes. Mais la décision du congrès ne signifie pas que QS soit moins indépendantiste pour autant, il s’agit plutôt d’une approche différente quant au lien entre la lutte pour l’indépendance et l’assemblée constituante. Pour comprendre cette approche, il faut la situer dans le contexte du programme dans son ensemble et de la stratégie politique qui le sous-tend.

L’assemblée constituante : un geste de rupture

Le paragraphe sur l’AC est dans la section du programme qui commence par dénoncer le fédéralisme canadien, constatant l’impossibilité d’une réforme significative de cette structure et concluant à la nécessité de l’indépendance pour réaliser l’ensemble du programme solidaire. Elle constitue l’étape intermédiaire dans un processus qui commence par l’élection d’un gouvernement solidaire et se conclue par un référendum portant sur la constitution proposée et le statut politique du Québec.

Plutôt que de concentrer nos interventions sur la question de la mécanique et des moyens (un débat pour militantes et militants déjà convertis), il faudrait revenir au point de départ, soit notre critique de l’État canadien actuel et de sa constitution. (Pourquoi le Québec a refusé et refuse toujours d’y consentir ?) Ce qui permettrait d’aborder l’AC par le bon bout, c’est-à-dire à quoi elle sert : élaborer une constitution pour le Québec.

Aussi, rappeler les origines de la constitution canadienne permet de faire ressortir à quel point celle-ci n’est pas le résultat d’un processus démocratique mais la continuation de la monarchie constitutionnelle et du colonialisme britanniques. Par contraste, l’AC remet la rédaction de la loi suprême entre les mains de la population, via une élection spécifique, un processus de démocratie participative et la ratification de son résultat par référendum.

Ce faisant, nous pouvons faire ressortir le fait que la convocation de l’AC est en soi un geste de rupture avec l’ordre constitutionnel actuel et en même temps un instrument radicalement démocratique. Il ne devrait pas y avoir de contradiction entre ces deux aspects de l’AC, même s’ils ont mené à une certaine polarisation dans les débats à QS. Elle est à la fois une démarche faite sur mesure pour construire une majorité populaire en faveur de l’indépendance et un exemple de démocratie participative ouverte à toutes les sensibilités politiques présentes dans la population. En fait, elle est utile dans notre stratégie indépendantiste parce qu’elle est radicalement démocratique.

L’idée qu’un tel processus de rupture avec 225 ans de monarchie constitutionnelle pourrait mener à une simple constitution provinciale acceptant les contraintes du fédéralisme actuel est une abstraction et une interprétation erronée du programme de Québec solidaire. L’assemblée constituante n’est pas qu’une autre commission d’enquête menant une consultation pour le compte de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas un comité d’experts en droit constitutionnel faisant des recommandations à un premier ministre. C’est une autorité politique supérieure à celle de l’Assemblée nationale ou de la Chambre des communes. C’est, par définition, un geste fondateur pour un nouvel État. Affirmer qu’elle pourrait servir à autre chose est en contradiction avec sa nature même.

Il est vrai que si une AC était élue ou tirée au sort maintenant, la majorité de ses membres seraient fédéralistes. Mais avec des « si » on va à Paris, on soulève le peuple et on fait la révolution… Ce n’est pas l’idée abstraite de l’AC (le mot, plutôt que la chose) que nous voulons mettre de l’avant, mais une démarche politique concrète d’auto-détermination collective qu’on pourrait qualifier de révolution démocratique. Une telle démarche n’est concevable que sur la base d’un haut niveau de mobilisation sociale menant à une confrontation avec les institutions en place. C’est pour cette raison, entre autres, que la lutte pour la justice sociale et celle pour l’indépendance sont inséparables. Les partis et courants politiques conservateurs le savent bien, et c’est pour cette raison qu’ils ne convoqueront jamais une telle assemblée à moins d’en être contraints par une mobilisation populaire telle que le Québec n’en a encore jamais vu.

D’ailleurs, les pays qui ont vécu des processus constituants au cours des dernières années l’ont tous fait à la suite d’une crise politique majeure (Venezuela, Bolivie, Tunisie, Équateur, Islande). Il faudrait étudier plus en détail ces cas concrets pour en tirer des enseignements sur la manière de former l’AC, les mandats qu’on devrait lui confier, la manière de procéder pour encourager la participation populaire, les pièges à éviter, etc. Tout récemment, le Chili est embarqué dans un processus constituant sous un gouvernement de centre-gauche. Il semble que la démarche soit très positive malgré les limites de la situation sociale et politique dans ce pays. Par contre, dans le cas de l’Islande, le fait que l’AC a été élue et a effectué ses travaux une fois que la crise sociale et politique causée par la crise financière de 2008 se soit résorbée, et que la droite ait repris le pouvoir, en fait un exemple à ne pas suivre.

Mais il faudra toujours garder en tête que le cas du Québec est différent, justement en raison de son statut actuel de province canadienne. Les parallèles avec des projets d’assemblée constituante s’appliquant à l’Écosse ou à la Catalogne seraient très instructifs à ce sujet. La dynamique de rupture est encore plus radicale dans une telle situation, l’AC n’étant pas seulement en opposition à l’ordre politique établi sur le territoire où elle est convoquée mais aussi en opposition avec le pouvoir d’un État plurinational plus vaste.

L’AC comme solution à l’opposition entre « identitaires » et « inclusifs »

Un aspect de l’assemblée constituante qui n’a pas été largement discuté est la question des rapports entre projet collectif et droits de la personne dans le processus. Il y a un fort courant d’opinion au Québec qui associe l’idée même des droits de la personne au fédéralisme canadien et au multiculturalisme à la Trudeau. Pourtant, la Ligue des droits et libertés est bien présente au Québec depuis plus de 50 ans et le Québec a adopté sa Charte des droits et libertés de la personne plusieurs années avant la constitution de 1982. Ce sont en bonne partie les indépendantistes qui se sont battus pour le respect des droits de la personne contre la répression arbitraire de l’État fédéral dans les années 1960 et 1970. Pour la gauche indépendantiste, le projet d’une constitution québécoise devrait être l’occasion d’affirmer plus de droits (les droits économiques et sociaux, le droit de grève, le droit à un environnement sain…), pas une occasion d’enlever des droits à une partie de la population, comme le proposait la Charte des valeurs.

Le philosophe allemand Habermas a fait œuvre de pionnier dans un effort visant à surmonter l’opposition entre une démocratie de communauté, permettant à la majorité d’imposer ses conceptions de la vie bonne aux diverses minorités, et la démocratie libérale fondée sur le respect du pluralisme des valeurs et des modes de vie et la protection des minorités contre la dictature de la majorité. Il nous propose deux constats qui brisent avec cette dichotomie. [3]

D’une part, la meilleure protection possible pour les droits de la personne et des minorités est l’accord explicite de la majorité de la population pour une telle protection à la suite d’une démarche démocratique. Le contre-exemple québécois et canadien fait bien ressortir cette idée. C’est précisément parce que la Charte canadienne a été imposée par une dizaine de dirigeants politiques sans le consentement de la population que bien des gens, surtout au Québec mais aussi ailleurs au Canada, voient cette Charte comme un obstacle à l’expression de la volonté démocratique majoritaire. L’adoption d’une constitution élaborée par le processus démocratique de l’AC et qui inclurait un texte comme celui de la Charte québécoise actuelle aurait la même portée juridique, mais une tout autre signification politique et sociale.

L’autre idée qu’on devrait emprunter à Habermas est que le processus de décision démocratique, pour avoir le maximum de légitimité, doit être le plus égalitaire possible et ne tolérer aucune forme de marginalisation ou d’exclusion. Comment en effet espérer que toute la population respecte les institutions communes si une partie de cette population n’a pas pu participer pleinement et équitablement à leur mise sur pied ? On comprend que pour les Afro-américains, par exemple, l’adhésion à la Déclaration d’indépendance et à la Constitution soit remise en cause par le fait que ces textes fondateurs ont été rédigés par des propriétaires d’esclave et ne remettaient pas en question leur domination.

On nous dira que la majorité de la population était pour la Charte des valeurs avec ses restrictions aux libertés de religion et d’expression ainsi qu’au droit au travail. Mais cette statistique est basée sur des sondages aux questions très vagues. Quand on demandait aux gens s’ils croyaient qu’une personne devrait être congédiée si elle refuse de retirer son signe religieux, la majorité était contre une telle mesure, pourtant au cœur des débats sur le projet. Ce qui explique d’ailleurs que le camp « pro-charte » s’est rapidement divisé sur cette question, certains (comme Guy Rocher) proposant une « clause grand-père » pour éviter ce genre de situation. Aussi, les appuis à la répression de la visibilité des religions minoritaires tendent à augmenter à mesure qu’on s’éloigne des lieux où vivent les membres des minorités en question. On hésite davantage à enlever des droits à des gens qu’on connait.

De plus, encore une fois, il ne s’agit pas d’imaginer une assemblée constituante élue maintenant, mais à la suite des luttes sociales et de la transformation du paysage politique qui la rendront pertinente et possible. On peut parier que dans ces luttes, comme durant la grève étudiante de 2012, des Québécoises et des Québécois de toutes origines, avec toutes sortes de croyances et d’habitudes, auront appris à se connaître et à se respecter. Je suis convaincu que le projet collectif démocratique et égalitaire proposé par l’assemblée constituante serait rigoureusement inclusif. Le Québec indépendant sera pluriel ou ne sera pas.


[3Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie. Entre faits et normes, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz et Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, nrf essais, 1997, 554 pp.

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