Victoire iranienne
En substance, l’accord reprend les grandes lignes des propositions iraniennes mises de l’avant, rappelons-le, depuis plusieurs années. L’Iran s’engage à ne pas enrichir l’uranium au-delà d’une limite de 5 % (ça prend 20 % pour fabriquer des armes nucléaires), de liquider ses stocks d’uranium enrichi à 20 % et de laisser les inspecteurs de l’ONU venir fouiller de manière impromptue. En échange de quoi, l’étranglement économique orchestré par les États-Unis doit être atténué. Mais en réalité, la victoire iranienne est symbolique. Les sanctions qui font si mal à l’Iran seront levées au compte-goutte. Entre-temps, l’économie iranienne restera très fragile avec plus de 12 % de chômeurs, un taux d’inflation de près de 40 %, les pénuries de produits essentiels (notamment les médicaments) et les difficultés d’accès à la technologie et aux capitaux qui permettraient de relancer l’industrie pétrolière. Néanmoins, le président Hassan Rohani peut se vanter d’avoir stoppé la menace d’agression, qui était très réelle il y a à peine quelques mois. En fin de compte, le régime iranien vient de gagner du temps.
Une pause plutôt que d’une paix
Pour sa part, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov, le même qui avait pris de vitesse les Américains et leurs roquets français et anglais qui voulaient attaquer la Syrie, a encore une fois marqué des points. Isolée et marginalisée par les opérations américaines depuis 2001, la Russie joue sur plusieurs terrains simultanément et utilise les contradictions et les défaillances de l’Empire américain. Une fois cela dit , rien n’est vraiment réglé. Dans six mois, tout sera à recommencer et dans le fonds, les États-Unis disent déjà que cela dépend de la « bonne volonté » de l’Iran, ce qui sous-entend bien les conflictualités sur d’autres dossiers que le nucléaire. Les adversaires de Rohani en Iran sont conscients de cela et entendent revenir à la charge contre le Président.
Victoire d’Obama
Depuis un certain temps, Obama combat les super faucons au sein de sa propre administration et surtout au Congrès. Les débats restent vifs, pas tellement sur la stratégie que sur la tactique. Fondamentalement, on en est toujours aux impératifs de la « guerre sans fin », c’est-à-dire de consolider la suprématie américaine sur cette région stratégique. Sur les moyens, il y a des divergences entre les realpolitiques (dont les généraux) et les super faucons. Les premiers sont conscients que l’Empire américain en déclin est vulnérable, que des opérations comme celles de l’Irak et de l’Afghanistan ont été des désastres, et que les États-Unis, même si cela ne leur plaît pas, sont obligés de composer avec les « émergents » et même des puissances secondaires comme l’Iran. Les deuxièmes refusent d’accepter les échecs passés et pensent comme Bush que les États-Unis ont encore la capacité de détruire leurs adversaires et que tout délai ou report les mettra dans une zone d’inconfort. C’est un débat interminable aux États-Unis. Par exemple, Hillary Clinton, qui sera probablement la candidate démocrate aux élections présidentielles de 2016, est proche des super faucons. Une fois arrivée au pouvoir si elle y parvient, elle pourrait changer d’idée. Les realpolitiques en fin de compte ne veulent pas que les États-Unis « capitulent ». Ils pensent continuer la guerre avec la technologie, jouer sur les divisions dans la région et entre les « émergents ». Du point de vue de l’utilisation de la violence, tout le monde est d’accord à Washington (y compris Obama) pour continuer à terroriser les populations et à disloquer les sociétés tout en démantelant les structures étatiques.
L’épicentre de la crise
Cette crise multiforme qui traverse l’Asie et l’Afrique est là pour durer. Les États-Unis ne peuvent pas s’imposer totalement, mais les dissidents et les récalcitrants ne peuvent avancer eux non plus, comme c’est le cas de l’Iran. En Syrie, ni le gouvernement (appuyé par l’Iran et la Russie), ni les rebelles (appuyés par les pétromonarchies et l’Empire) ne sont en mesure de changer le rapport de forces. C’est la même paralysie en Irak, en Afghanistan, en Palestine, au Liban, ailleurs. Devant cette impasse, Israël est de facto menacé, car ce pays qui était la plateforme permanente de l’impérialisme américain dans la région a perdu son utilité relative. La vive réaction d’Israël contre l’accord n’est pas un coup de tête, mais une conviction forte que cet État « voyou » qui fonctionne en dehors de toutes les normes, peut survivre si et seulement si la guerre continue. Tout apaisement même temporaire, tout accommodement avec les États de la région, sont des menaces sérieuses, car cela mine la raison d’être de l’alliance « stratégique » avec les États-Unis.
L’autre grand perdant de l’accord est l’Arabie saoudite (et les pétromonarchies en général). La dictature saoudienne a aussi besoin d’une tension permanente dans la région, mais surtout, elle craint la remontée d’un concurrent régional que peuvent être l’Iran et la Turquie. Pour leurs raisons propres, ces deux pays n’ont pas la même relation de subordination avec l’Empire, mais puisque l’Empire est en déclin, leur importance relative s’accroît, pendant que celle des alliés-subalternes comme l’Arabie saoudite, Israël, la Jordanie et d’autres, décroît.
Humiliant recul des alliés-subalternes
Les autres victimes potentielles de l’accord sont certains alliés-subalternes des États-Unis, à commencer par la France, l’Angleterre et le Canada, qui étaient tous enthousiastes à l’idée de relancer la guerre il y a quelques semaines. La France « socialiste » est très préoccupée, car l’Iran pour garder le contact avec les États-Unis va sans doute tenter de faire revenir les investissements américains, qui pourraient bousculer les intérêts français, notamment dans l’automobile. Quant au Canada, le gouvernement s’enfonce dans une rhétorique aussi risible qu’inefficace, en se retrouvant avec les super faucons aux États-Unis et en Israël. Bien sûr comme le disait le comique ministre des affaires étrangères du Canada, la « pause » pourrait être de courte durée, ce qui lui permettrait de relancer la militarisation au Canada au nom de la « lutte pour la démocratie et les droits des femmes ».