Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Le rétrécissement des Etats-Unis

De notre envoyé spécial à Chicago (États-Unis). - Rarement le résultat d’une élection présidentielle aura surpris autant de monde aux États-Unis. Pas même le scrutin de 2000 entre Al Gore et George W. Bush. Ce n’est pas seulement toute une caste d’experts, de sondeurs, d’analystes et, bien entendu, de journalistes, qui s’est fourvoyée. Une grande partie des hiérarques du parti républicain ne croyait pas non plus à un tel score de Donald Trump.

9 novembre 2016 | tiré de mediapart.fr

Son message nationaliste populiste, xénophobe et sexiste allait à l’encontre de ce que la plupart des politologues et des démographes constataient de l’évolution des États-Unis : un pays qui devenait de plus en plus multiculturel, urbain, socialement progressiste (mariage homosexuel, légalisation de la marijuana).

Constatant ces bouleversements, le parti républicain avait effectué au lendemain de l’élection présidentielle de 2012 une étude approfondie des raisons de sa défaite lors des deux derniers scrutins. La conclusion des centaines d’élus et d’experts consultés avait été très claire. Le parti devait s’ouvrir aux changements dans la société américaine : en priorité l’accroissement de la population hispanique et l’ouverture sur le reste du monde. Autrement, il encourait le risque de disparaître.

Or Donald Trump vient de prouver exactement le contraire : en menant une campagne étroite et polarisante, il a réveillé les classes populaires blanches qui s’étaient détournées de la politique et du parti conservateur.

Personne ne sait ce que pense réellement Trump. Il a dit à peu près tout et son contraire au cours de son existence. En revanche, on sait à peu près ce que pensent ses électeurs, et pourquoi ils ont vu en lui leur improbable champion. Un milliardaire est devenu le choix préféré des ouvriers et des employés condamnés aux mac-jobs. Un homme qui a fait appel à des immigrés en situation irrégulière pour ses projets immobiliers a promis de construire un mur avec le Mexique pour lutter contre l’immigration. Un businessman qui s’est fait une spécialité de contourner les lois pour ne pas payer d’impôts et obtenir des subventions publiques assure qu’il va réformer le gouvernement…

On pourrait poursuivre cette liste de contradictions à l’infini, et gageons que beaucoup de monde va citer Antonio Gramsci dans les jours à venir (« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »), mais la réalité, c’est qu’il s’est trouvé des dizaines de millions d’Américains pour choisir Donald Trump pour incarner leur avenir. Pourquoi ?

La révolte populaire. Une pluralité d’Américains a décidé d’adresser un doigt d’honneur à l’élite qui les regarde de haut depuis trop d’années. La dimension épidermique d’un vote « libérateur » est mentionnée par la plupart des électeurs de Trump, qui sont las de politiciens maniant la langue de bois et le politiquement correct. Ils voient des élus de droite proclamer leur volonté de défendre les classes moyennes, mais qui ne proposent que des politiques rendant service aux plus riches et aux grosses entreprises. Ils voient des élus de gauche qui habitent le centre-droit. Ils voient des élus qui se vendent aux lobbies de tout poil. Alors pourquoi ne pas voter pour un paria qui insulte le système et promet de le dynamiter de l’intérieur (même s’il n’est qu’un acteur de télé-réalité) ?

Il ne faut pas négliger non plus la dimension monarchique de voir une Clinton succéder à un Obama qui succédait à un Bush qui succédait à un Clinton qui succédait à un Bush. Dans un pays qui honore les self made men et s’est construit sur le rejet de la noblesse européenne, il demeure toujours une envie de couper les têtes hâtivement couronnées.

La dérive du parti républicain. En acceptant de se ranger aveuglément derrière George W. Bush et ses guerres, et en fermant les yeux sur son incompétence manifeste (Katrina, les réformes avortées des retraites, l’appareil de surveillance secret), le parti républicain a accepté d’abdiquer son esprit critique. Il a gobé des politiques qui allaient à l’encontre de son discours officiel. Il a poursuivi sa course aveugle en embrassant Sarah Palin, puis en ouvrant la porte au Tea Party, mouvement rebelle ultraconservateur et raciste. Au lieu de combattre ce dernier, les barons du parti ont pactisé avec lui. Tout cela a fini par ouvrir la voie à Trump, qui n’a eu qu’à se pencher pour récolter les miettes d’un parti en lambeaux à force de faire le grand écart. Là encore, de nombreux élus conservateurs se sont rangés derrière le promoteur immobilier en pensant arriver à le contrôler, ou alors en pariant sur sa défaite. Ils ont, une nouvelle fois, eu faux sur toute la ligne. Donald Trump n’est que l’aboutissement d’une déliquescence idéologique alliée à un jusqu’au-boutisme de la base électorale. Il est la créature de Frankenstein qui échappe à ses apprentis sorciers.

L’échec des démocrates. Un des grands sujets de discussion des années à venir va être : Bernie Sanders aurait-il fait un meilleur candidat qu’Hillary Clinton ? Ou, posé autrement : pourquoi Obama, président encore relativement populaire, n’est-il pas parvenu à imposer son héritière idéologique ? On peut légitimement penser qu’au vu de l’enthousiasme suscité par Sanders durant les primaires démocrates, au vu de la plateforme progressiste adoptée par les militants, au vu des succès locaux du parti sur des questions importantes (salaire minimum, énergies renouvelables, taxation progressive), Barack Obama et Hillary Clinton se sont montrés trop timorés, pas assez progressistes.

Obama a certes « sauvé » l’industrie automobile et permis aux États-Unis de ne pas sombrer dans une dépression grâce à son plan de relance de 2009, mais il n’a pas souhaité poursuivre en justice les responsables de la crise financière, il n’a pas « réformé Wall Street » comme il l’avait promis. Il a créé un système d’assurance santé bancal et horriblement compliqué, il n’a pas touché aux baisses d’impôts pour les plus fortunés votées par Bush. Il a présidé à un accroissement des inégalités inconnu dans le pays depuis le début du XXe siècle, il a maintenu le salaire minimum à un niveau insuffisant pour sortir de la pauvreté, et il a laissé la désindustrialisation du pays se poursuivre sans offrir d’alternative. Tout cela n’est pas de la seule responsabilité d’Obama bien entendu, mais d’une incapacité de la gauche américaine à savoir répondre aux attentes et à la souffrance de ceux qui représentaient, il y a encore peu, sa base électorale.

Même si Trump est un charlatan, qu’il n’a aucun véritable projet pour réduire les inégalités, il est un test de Rorschach pour nombre d’électeurs, notamment de gauche et désabusés. Alors qu’Hillary Clinton, elle, occupe un positionnement bien connu : le même que celui de la gauche sociale-démocrate occidentale qui, de Bill Clinton à Tony Blair, de Gerhard Schröder à José Luis Zapatero, de François Hollande à Barack Obama, choisit toujours d’accepter les dogmes libéraux de la droite avec plus ou moins d’accommodements.

La dimension xénophobe et machiste. C’est l’aspect le plus troublant de cette élection. Un candidat qui a discriminé les locataires noirs quand il gérait des appartements dans sa jeunesse, qui a traité les Mexicains immigrés de violeurs et de criminels, qui envisage d’interdire le territoire aux musulmans, qui considère les femmes comme des objets, succède au premier président afro-américain et défait une adversaire féministe. Qu’est-ce que cela dit des Américains ? C’est assurément la dimension la plus sombre de ce scrutin.

Il y a indéniablement une frange des citoyens américains qui est mal à l’aise avec les évolutions du pays depuis un demi-siècle : les panneaux bilingues dans les bâtiments publics, les mariages mixtes, l’émancipation des femmes, la perte d’influence de la religion dans les médias, la menace diffuse du terrorisme islamique… Et ils ont choisi de reporter leur voix sur une personnalité qui dit tout haut ce qu’ils pensent, eux aussi, tout haut.

Il va falloir attendre plusieurs mois, voire plusieurs années pour savoir si ce vote était une réaction impulsive et désespérée, ou si elle marque un véritable infléchissement, un rétrécissement durable des États-Unis.

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