20 mars 2025 | tiré contretemps.eu
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Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane, où je me réveille dans le froid et passe de longues journées à être témoin des injustices silencieuses qui frappent un grand nombre de personnes privées de toute protection légale.
Qui a le droit d’avoir des droits ? Certainement pas les êtres humains entassés dans les cellules ici. Pas plus que ce Sénégalais que j’ai rencontré, privé de liberté depuis un an, bloqué dans une situation juridique incertaine, tandis que sa famille demeure à des milliers de kilomètres. Ni ce jeune homme de 21 ans, arrivé aux États-Unis à l’âge de neuf ans, aujourd’hui expulsé sans même avoir eu droit à une audience.
Dans ces centres de détention, la justice échappe aux contours de cette nation.
Le 8 mars, des agents du DHS m’ont interpellé alors que je rentrais d’un dîner avec ma femme. Ils ont refusé de me présenter un mandat et nous ont accostés de manière brutale. Les images de cette nuit-là sont désormais publiques. Avant même d’avoir le temps de comprendre ce qui se passait, on m’a menotté et forcé à monter dans une voiture banalisée. Ma seule inquiétude, à ce moment-là, était pour Noor. Je ne savais pas si elle aussi allait être arrêtée, car les agents l’avaient menacée d’arrestation simplement parce qu’elle refusait de me quitter.
Pendant des heures, le DHS n’a rien voulu me dire. J’ignorais la raison de mon arrestation et si j’allais être expulsé immédiatement. À 26 Federal Plaza1, j’ai dormi sur le sol glacé. Au petit matin, on m’a transféré vers un autre centre à Elizabeth, New Jersey, où j’ai encore dormi par terre, sans couverture malgré mes demandes.
Mon arrestation est une conséquence directe de l’exercice de ma liberté d’expression : j’ai milité pour une Palestine libre et dénoncé le génocide en cours à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Depuis la rupture du cessez-le-feu en janvier, les parents de Gaza se retrouvent à nouveau à bercer des linceuls trop petits, tandis que les familles doivent choisir entre la famine, l’exode ou les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre le combat jusqu’à leur libération totale.
Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été déplacée de sa terre depuis la Nakba de 1948. J’ai grandi en étant à la fois proche et étranger à ma patrie. Mais être Palestinien, c’est une expérience qui transcende les frontières.
Je reconnais dans ma situation des parallèles avec la détention administrative qu’Israël utilise pour priver les Palestiniens de leurs droits – l’incarcération sans accusation ni procès. Je pense à notre ami Omar Khatib, emprisonné par Israël sans inculpation alors qu’il rentrait de voyage. Je pense auDr Hussam Abu Safiya, pédiatre et directeur d’hôpital à Gaza, capturé par l’armée israélienne le 27 décembre et toujours détenu dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure judiciaire est devenu une réalité banale.
J’ai toujours cru que mon rôle n’était pas seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi d’aider mes oppresseurs à se libérer de leur haine et de leur peur.
Ma détention injuste illustre parfaitement le racisme anti-palestinien qui s’est intensifié sous les administrations Biden et Trump. Depuis 16 mois, les États-Unis continuent de fournir des armes à Israël pour massacrer des Palestiniens et bloquent toute intervention internationale. Depuis des décennies, cette hostilité envers les Palestiniens a servi à justifier l’expansion des lois et pratiques répressives qui visent aujourd’hui non seulement les Palestiniens, mais aussi les Arabes-Américains et d’autres communautés. C’est précisément pour cela que je suis pris pour cible.
Pendant que j’attends des décisions judiciaires qui détermineront l’avenir de ma femme et de notre enfant à naître, ceux qui ont facilité ma persécution restent confortablement installés à l’Université Columbia. Les présidentes Nemat Shafik, Katrina Armstrong et la doyenne Keren Yarhi-Milo ont ouvert la voie à mon arrestation en réprimant arbitrairement les étudiants pro-palestiniens et en laissant se propager des campagnes de harcèlement en ligne, fondées sur des mensonges racistes et de la désinformation.
Columbia m’a ciblé pour mon activisme
L’université a instauré un nouveau bureau disciplinaire autoritaire, conçu pour contourner la procédure régulière et faire taire les étudiants qui critiquent Israël. Elle a cédé aux pressions du gouvernement fédéral en transmettant des dossiers d’étudiants au Congrès et en se pliant aux dernières menaces de l’administration Trump.
Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins 22 étudiants de Columbia – certains étant privés de leur diplôme à quelques semaines de la remise des diplômes – et l’expulsion du président du Student Workers of Columbia (SWC), Grant Miner, à la veille de négociations contractuelles, en sont des preuves éclatantes.
S’il y a bien une chose que ma détention démontre, c’est la force du mouvement étudiant dans l’évolution de l’opinion publique en faveur de la libération de la Palestine. Les étudiants ont toujours été en première ligne du changement : ils ont combattu la guerre du Vietnam, ont été au cœur du mouvement des droits civiques, et ont mené la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui, même si l’opinion publique ne le perçoit pas encore pleinement, ce sont encore les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.
L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à écraser la dissidence. Les titulaires de visas, les détenteurs de cartes vertes et même les citoyens américains seront de plus en plus attaqués pour leurs convictions politiques.
Dans les semaines à venir, les étudiants, militants et élus devront s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiles fondamentales de tous.
Je sais que ce moment dépasse ma propre situation. Mais malgré cela, j’espère être libre pour assister à la naissance de mon premier enfant.
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Références
références ⇧1 26 Federal Plaza est un bâtiment fédéral situé à New York. Il abrite plusieurs agences gouvernementales, dont des bureaux du Department of Homeland Security (DHS) et de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), qui s’occupent notamment des questions d’immigration et de détention des migrants.
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