Édition du 19 novembre 2024

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Canada

Le projet de loi C-51 : la création d'une police politique

« Qui gardera les gardiens ? » Cette question, posée par le poète romain Juvénal en 128 de notre ère est au centre de la décision que le Parlement canadien prendra bientôt à propos de la lutte au terrorisme, mais surtout de nos libertés individuelles. Ce gouvernement qui a mis fin au recensement long qui constituait à ses yeux une atteinte à la vie privée des Canadiens s’apprête maintenant à accorder à la GRC et au SCRS des pouvoirs sans précédent leur permettant de placer ma maison et ma famille sous écoute, et celle de milliers d’autres Canadiens, sous le prétexte que nous constituons des menaces à la sécurité des infrastructures du pays, et ce, sans mécanisme de surveillance et de contrôle. Nous assistons à la création d’une police politique.

Dans une lettre publiée par La Presse, deux juristes affirment que : « Le projet de loi C-51 permettra [...] à un juge de la Cour fédérale, à la suite d’une audience tenue à huis clos au cours de laquelle seul le gouvernement est représenté, d’autoriser le SCRS à adopter "toutes mesures justes et adaptées aux circonstances pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada", y compris des mesures qui contreviendront à la Charte canadienne et aux lois canadiennes. Il s’agit là de pouvoirs sans précédent. » Le Parlement canadien s’apprête à voter une loi qui autorisera le gouvernement à suspendre nos droits constitutionnels et à violer les lois canadiennes, sur décision d’un seul juge de la Cour fédérale, lui-même nommé par le gouvernement, dans une procédure à huis clos. Une dérive est pratiquement inévitable dans ce contexte.

Ceci a mené quatre anciens premiers ministres du Canada et plusieurs anciens ministres et juges fédéraux à signer une lettre ouverte réclamant l’instauration de mécanismes de surveillance accrus. Dans leur lettre, ils affirment que : « La protection des droits humains et la protection de la sécurité publique sont des objectifs complémentaires, mais l’expérience a montré que de graves violations des droits de l’homme peuvent se produire au nom du maintien de la sécurité nationale. Compte tenu du secret autour des activités de sécurité nationale, les abus peuvent passer inaperçus et sans remède. » Ils ajoutent : « Les agences nationales de sécurité, comme toutes les institutions gouvernementales, doivent rendre des comptes au public. [...] Des mécanismes de surveillance et de contrôle indépendants sont nécessaires pour assurer que les activités de sécurité nationale protègent le public, et pas seulement le gouvernement au pouvoir. » Ce dernier extrait est particulièrement révélateur des intentions du gouvernement.

Le projet de loi permettra aux agences de renseignement d’espionner toute personne ou groupe qui pourrait mener « toute activité portant atteinte à la sécurité du Canada ». Ceci inclut : « toute activité qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada (...), notamment (...) entraîner un changement de gouvernement au Canada ou influer indûment sur un tel gouvernement par l’emploi de la force ou de moyens illégaux (...) et entraver le fonctionnement d’infrastructures essentielles (...). » Avec une telle définition, les souverainistes, les étudiants, les écologistes, les groupes de défense de droits civils, les autochtones et même les partis fédéraux d’opposition pourraient être espionnés. Le filet est assez large pour attraper tous ceux qui ne pensent pas comme le gouvernement.

Le prétexte d’une prétendue menace terroriste imminente sert de justification au gouvernement pour s’en prendre à nos libertés individuelles, bien que rien ne démontre que la loi permettrait d’éviter d’éventuelles attaques terroristes. En fait, ce qui se cache derrière ce projet de loi, c’est une véritable chasse aux opposants politiques. Déjà, un document interne de la GRC dont l’existence a été révélée par Greenpeace et qui a été publié par le Globe and Mail identifie le mouvement « anti-pétrole » comme une menace potentielle à la sécurité et aux infrastructures du pays. Le document affirme qu’« Il y a un mouvement anti-pétrole canadien qui se compose de militants pacifiques, de militants et extrémistes violents qui s’opposent à la dépendance de la société envers les combustibles fossiles et qui est de plus en plus, très organisée et bien financé ».

En parcourant le document, on constate que l’analyse de la GRC est fondée sur des sources comme l’Association canadienne des producteurs pétroliers, la Canada West Foundation, le Financial Post et le Toronto Sun qui ont toutes des liens avec l’industrie pétrolière ou sont plutôt favorables au gouvernement conservateur. Le document affirme aussi que les environnementalistes « prétendent » que les changements climatiques sont la plus importante menace à la sécurité humaine, et « prétendent » également que celui-ci est causé par l’activité humaine, et « serait » reliée aux combustibles fossiles.

C’est ici que le glissement se produit : l’intérêt des compagnies pétrolières et l’idéologie du gouvernement sont amalgamés et confondus avec la sécurité nationale au mépris de la science et de la démocratie. Un mouvement pacifique et légitime n’ayant à ce jour posé aucun geste violent se retrouve ciblé comme une menace à la sécurité du pays, et le projet de loi C-51 accordera plus de pouvoir à l’appareil de surveillance canadien pour infiltrer, espionner et contrer des opposants au complexe pétrolier-industriel de ce pays.

Avec C-51, le gouvernement conservateur s’apprête à autoriser le profilage politique et la surveillance des mouvements d’opposition essentiels à la santé de la démocratie, et ce sans aucun mécanisme de surveillance. Déjà l’Association des libertés civiles de la Colombie britannique a porté plainte contre les activités de surveillance des groupes écologistes menées par la GRC, le SCRS et l’Office national de l’énergie au profit de l’industrie pétrolière en Colombie-Britannique.

Ce qui se cache derrière C-51, c’est la volonté du gouvernement Harper de se doter d’une police politique qui pourra espionner et harceler ses opposants. En l’absence de mécanismes de surveillance appropriés, C-51 permet au gouvernement de lever nos libertés individuelles et de violer ses propres lois pour atteindre ses objectifs politiques. Les dérives d’un tel système sont inévitables, surtout lorsqu’on se rappelle que jusqu’en 2011 le Comité de surveillance des activités de renseignement canadien était présidé par nul autre qu’Arthur Porter !

Le FBI de J. Edgar Hoover, créé pour combattre la contrebande d’alcool est devenu une véritable police politique dans les années 1960. Il a espionné Martin Luther King et le mouvement pour les droits civiques, le mouvement pacifiste contre la guerre du Vietnam, le mouvement pour les libertés individuelles, les associations étudiantes et une multitude d’artistes et d’intellectuels, bref, tous ceux qui contestaient l’ordre établi ou le pouvoir. Cette dérive paranoïaque a culminé avec le scandale du Watergate alors que le Président Nixon a fait espionner le parti démocrate. Il a dû quitter le pouvoir en 1974 dans le déshonneur.

L’histoire se répète ici. La police politique qui se cache derrière le projet de loi C-51 doit être dénoncée et combattue. Cette loi permettra à l’État d’entrer dans ma maison pour me surveiller en raison de mes opinions. Elle autorisera les services de renseignement à infiltrer mon milieu de travail, à écouter mes conversations personnelles, à espionner mes collègues et pourquoi pas éventuellement à m’arrêter parce que j’ai déjà commis des gestes de désobéissance civile pacifique en participant aux manifestations de casseroles ?

Cette police politique doit être arrêtée. La liberté est ce que nous avons de plus précieux. Le Canada n’est pas une dictature pétrolière.

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