9 novembre 2016 | tiré de mediapart.fr
New York, de notre correspondante.– À l’issue d’une course extrêmement serrée jusque tard dans la nuit, Donald Trump est devenu le 45e président des États-Unis. Ce qui se passe est sans précédent. Le candidat de la droite désormais en route vers la Maison Blanche est un homme n’ayant jamais été élu ni occupé une quelconque fonction politique. Un homme qui a fait carrière dans l’immobilier, les casinos, le show-business, doit avant tout sa notoriété à ses émissions de télé-réalité, et n’est inscrit au parti républicain que depuis 2012. En un an et demi de campagne, il a réussi à triompher sur les ruines de ce même parti en imposant son style – consistant à rejeter en bloc le « politiquement correct » au point de faire des commentaires ouvertement racistes, sexistes, vulgaires – et ses idées, parfois très éloignées de la doxa conservatrice.
Lutter contre l’immigration illégale en construisant un mur le long de la frontière avec le Mexique ; contre le risque terroriste, refuser temporairement aux musulmans le droit d’entrer aux États-Unis ; défendre un certain protectionnisme économique à travers la lutte contre la délocalisation et la renégociation de grands traités de libre-échange ; promettre le retour de « la loi et l’ordre » dans les centres-ville abîmés du pays ; osciller entre isolationnisme et posture guerrière en matière de politique étrangère… (nous analysions certaines de ses propositions et de ses éléments de langage ici). Le tout résumé par son slogan, « Make America great again », que l’on peut traduire par « Rendons sa grandeur à l’Amérique ».
Comme l’analysait très sombrement Andrew Sullivan, essayiste conservateur s’exprimant dans les pages du New York Magazine la semaine passée, « les événements ayant marqué l’année qui vient de s’écouler sont venus ébranler ma conviction qu’une forme de fascisme ne pouvait pas arriver au pouvoir aux États-Unis. Un ouragan politique est arrivé, à une époque où la globalisation a sapé le pouvoir économique des classes ouvrières blanches, où la gauche a exagéré sa mainmise sur les problèmes sociaux et raciaux, après qu’une guerre catastrophique et une crise financière ont enlevé toute crédibilité à l’élite. Comme toujours au cours de l’Histoire, il faut ensuite l’étincelle, l’acteur unique doté d’un talent démagogique pour tirer un pays avancé vers la violence (…) ».
Après des mois d’une campagne extrêmement tendue, parfois irrespirable, divisant le pays et laissant craindre des éruptions de violence au lendemain du scrutin, Donald Trump s’est, lui, voulu rassembleur lorsqu’il a pris la parole face à ses supporteurs, au milieu de la nuit, depuis l’hôtel Hilton à New York : « Il est temps de se rassembler », a-t-il déclaré. Je promets à chaque citoyen que je veux être le président de tous les Américains, et c’est si important pour moi. Pour ceux qui ont choisi de ne pas me soutenir, je viens vers vous pour que nous puissions unifier notre grand pays. (…) Il y a eu un grand mouvement incroyable (…). Des Américains de toutes les races, les religions. Nous allons commencer à reconstruire notre nation et à relancer le rêve américain. »
Le message de Donald Trump tout au long de cette campagne aura avant tout résonné auprès de l’électorat blanc de classe populaire, tant en milieu rural que dans des régions désindustrialisées progressivement délaissées par les démocrates au cours des dernières décennies. S’ils avaient tendance à s’abstenir lors des derniers scrutins présidentiels, cette « majorité silencieuse » (comme des électeurs de Trump l’ont souvent surnommée) a trouvé en Donald Trump un porte-voix selon eux digne de confiance, un homme qui a l’air de se préoccuper sincèrement de leur futur. Le taux de participation de ces électeurs a explosé lors de cette élection.
À travers le pays, le candidat républicain aurait selon les premières estimations obtenu 60 % du vote des hommes blancs, 52 % des femmes blanches. Il s’agit plus précisément du vote de l’électorat blanc de classe ouvrière, les cols-bleus. Cette victoire, il la doit ainsi avant tout aux États de la « rust belt », région industrielle en déclin au cœur du pays : Ohio, Pennsylvanie, Wisconsin, Michigan. Et dans la poignée d’États clés habituels où se jouaient l’élection, si l’on s’en tient aux premières analyses dont on dispose, Donald Trump a en outre mobilisé bien plus largement que Mitt Romney en 2012. Des tendances qu’aucun sondeur ou analyste n’avait vues venir, du moins pas dans de telles proportions.
Le succès de Donald Trump s’explique encore par la défiance, voire la haine qu’a pu inspirer Hillary Clinton. Des électeurs républicains se disant dépités par l’état de leur parti, peu séduits par Trump, ont ainsi avant tout voté contre Hillary Clinton. « J’aurais pu voter démocrate si ça avait été quelqu’un d’autre qu’Hillary Clinton », nous disait Lauren Wilber, septuagénaire vivant au Texas, républicain depuis toujours. Près de 90 % des électeurs inscrits au parti républicain auraient ainsi voté pour le candidat ce 8 novembre. Un résultat défiant les pronostics, qui tablaient sur un éparpillement du vote de droite en raison de l’impopularité de Donald Trump.
Le républicain et la démocrate étaient en effet les deux candidats les plus impopulaires dans l’histoire moderne du sondage, avec à peine 40 % de l’électorat se disant satisfaits du choix offert par les deux grands partis. Avec le handicap supplémentaire pour Hillary Clinton de ne pas incarner la nouveauté. « Drain the swamp », « Nettoyez le marécage », chantaient ainsi les supporteurs de Donald Trump réunis à l’hôtel Hilton à New York, mardi soir, faisant allusion à la scène politique de Washington qu’il faudrait donc « nettoyer » et remplacer.
Hillary Clinton semble ainsi ne pas avoir réussi à se débarrasser de son image de femme politique appartenant à l’« establishment », une élite déconnectée du peuple, malhonnête et empêtrée dans le scandale de ses mails. La mobilisation du camp démocrate tout entier derrière elle n’y aura rien changé, ni les efforts de Barack Obama (un président toujours populaire dans les sondages), ni ceux des deux figures de la gauche, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, redoublant d’efforts dans les swing States. La défaite d’Hillary Clinton sonne donc comme celle du parti démocrate dans son ensemble.
Il faut regarder de plus près les résultats des États clés dans lesquels s’est jouée l’élection pour mieux comprendre la dynamique électorale de cette présidentielle : la force du message de Trump auprès de l’électorat de classes populaires, les faiblesses de la candidature d’Hillary ne réussissant pas à mobiliser la « grande coalition » qui avait fait le succès de Barack Obama.
Si l’électorat « non blanc » votait à 61 % pour Obama en 2012, à ce stade Hillary Clinton aurait remporté 54 % de ce vote. Selon les premières estimations, les jeunes et les minorités l’auraient moins soutenue que Barack Obama en 2008 et 2012. Quant aux électeurs d’origine hispanique, sur lesquels misaient les démocrates, ils ne seraient pas beaucoup plus mobilisés qu’en 2012, quand 48 % des Latinos en âge de voter se rendaient aux urnes.
En Floride, un swing State que les démocrates comptaient remporter notamment grâce au vote latino, la participation de ce groupe fut importante mais insuffisante. Trump a remporté l’État avec 49,1 % des voix, contre 47,7 % pour Clinton, rappelant ainsi, comme le souligne le quotidien Miami Herald, que « la Floride compte plus d’électeurs blancs qu’issus des minorités ». Le républicain y a obtenu une majorité des suffrages dans les bastions conservateurs de Jacksonville et Fort Meyers, ainsi que dans les zones rurales.
En Caroline du Nord, les démocrates misaient sur le vote des minorités et des jeunes cadres dynamiques peuplant de plus en plus l’axe urbain Raleigh-Charlotte. Là aussi, ce fut insuffisant. Trump y aurait bénéficié d’un très fort taux de participation dans les zones rurales et dans des comtés abîmés par le déclin des industries du textile et du tabac. Il a remporté l’État avec 50,5 % du vote, contre 46,7 pour Hillary Clinton.
L’homme d’affaires s’est encore imposé dans l’Ohio, avec 52,1 % du vote (contre 43,4 pour Clinton), notamment en raflant les bastions industriels et miniers. Il y a remporté des comtés que Romney avait largement perdus en 2012. La même logique fut à l’œuvre dans le Wisconsin (48,7 % contre 46 pour Clinton), en Pennsylvanie (48,9 % contre 47,6 %), et même dans le Michigan (48,1 % contre 46,8 %). Dans cet État, annoncé comme une victoire facile pour les démocrates étant donné qu’il a voté démocrate au cours des dernières présidentielles, Hillary Clinton ne creuse finalement l’écart qu’à Detroit, Flint et dans la ville universitaire Ann Arbor. Les banlieues et zones rurales vont à Trump.
Pour mieux comprendre ces tendances, il faudra bien sûr attendre des résultats plus précis, et analyser la part du vote qui est allé aux candidats tiers, l’écologiste Jill Stein et surtout le libertarien Gary Johnson.
Mais il faut dès maintenant dire un mot de l’autre bataille décisive qui se jouait ce 8 novembre : celle du Congrès, composé de la Chambre des représentants et du Sénat, tous deux à majorité républicaine à ce jour. Les démocrates pensaient avoir une chance de reprendre la majorité perdue au Sénat en 2014 (nous résumions cet enjeu ici). Cela aura été un autre échec. La logique voulant que les électeurs votent pour le même parti aux présidentielles et aux législatives, le camp républicain l’emporte également. Il disposera à partir de janvier 2017 de 51 sièges contre 47 pour les démocrates, en sus de sa majorité à la Chambre (235 élus républicains, 176 démocrates).
Cela signifie que Donald Trump s’envole vers la Maison Blanche avec un Congrès à majorité républicaine qui facilitera la mise en œuvre de son programme. Sa victoire est totale.