Tiré de Canadian Dimension
Lundi 28 août 2023 / DE : John Clarke
Traduction Johan Wallengren
Photo : La fumée provenant d’incendies de forêt au Canada met un couvercle sur New York, le 7 juin 2023. Photo d’Anthony Quintano/Flickr.
Penchons-nous sur deux faits d’actualité de la dernière année, deux situations qui ont perturbé la vie de travailleurs aux États-Unis. Ce sont des cas bien différents, mais ils ont en commun de faire nettement ressortir à quel point les impacts du changement climatique redéfinissent la nature de la lutte des classes. Une tendance se dégage et il y a tout lieu d’en examiner les tenants et les aboutissants.
Au mois d’août de l’année dernière, un article du New York Times a soulevé le problème de la détérioration des conditions de travail et de l’augmentation des risques pour la santé et la sécurité des chauffeurs d’UPS et d’autres travailleurs sous l’effet de l’intensification des vagues de chaleur. On note en particulier dans cet article que depuis 2015, des centaines de chauffeurs d’UPS, de l’US Postal Service, de FedEx et d’autres entreprises de livraison ont souffert des effets nocifs de l’exposition à la chaleur, au point où certains en sont morts.
Un peu moins d’un an après la parution de cet article, alors que le Texas était au milieu d’une terrible vague de chaleur, le gouverneur de cet État, Greg Abbott, a pris une mesure législative pour abroger des règlements en vigueur à Austin et à Dallas permettant aux ouvriers du bâtiment de prendre des pauses de 10 minutes toutes les quatre heures afin de se désaltérer. Cette mesure interdisait également à d’autres municipalités d’adopter pareille réglementation. Ce ne sont là que deux exemples, mais ils en disent long sur l’impact croissant du changement climatique sur la vie des travailleurs, puisqu’ils indiquent que pour survivre aux effets désastreux du changement climatique, il faudra, dans le cadre des luttes à venir, relever des défis totalement imprévus et faire appel à de nouvelles stratégies.
Catastrophe climatique
Il ne fait aucun doute que la catastrophe climatique ne fera que s’amplifier avec le temps. Cet état de fait domine les manchettes et c’est une réalité qui nous rattrape de plus en plus au quotidien. Cette année, au Canada, le processus d’intensification des incendies de forêt, qui dure depuis des décennies, s’est énormément accéléré. Les autorités affirment que notre pays connaît une saison des incendies « sans précédent », 134 000 kilomètres carrés de forêts ayant été calcinés à ce jour, ce qui représente plus de six fois la moyenne décennale.
Non seulement les incendies de forêt ont-ils tout ravagé pour ceux qui se trouvaient sur leur passage, mais ils ont répandu de la fumée sur d’immenses étendues en Amérique du Nord, rendant l’atmosphère délétère pour des dizaines de milliers de personnes, y compris des gens qui se trouvaient à des centaines et des centaines de kilomètres du feu de l’action.
Les manifestations extrêmes du changement climatique frappent aussi par leur omniprésence : les bulletins de nouvelles parlent d’inondations-moussons et de températures dangereusement élevées en Chine et dans nombre d’autres pays de la région Asie-Pacifique.
On rapporte par ailleurs dans des États indiens une vague de chaleur d’une gravité telle qu’on s’interroge sur la possibilité que les épisodes futurs puissent « dépasser d’ici à 2050 le seuil au-delà duquel ne peut survivre un être humain en bonne santé se reposant à l’ombre, ce qui rend de plus en plus périlleux le travail à l’extérieur durant la journée.
Les scientifiques font part de leurs craintes de voir le monde évoluer vers toute une série de points de non-retour climatiques, des « basculements subits qui peuvent précipiter des systèmes climatiques vers des états inédits. »
Et dans ces conditions naturellement, les conséquences sociales et économiques des perturbations massives qui s’annoncent se feront sentir plus durement dans certains pays et régions du monde, selon une géographie des inégalités très contrastée.
De telles perspectives nous obligent à nous interroger sur les formes d’organisation et de résistance sociales qui devront être adoptées. Nous devrons nous battre sur deux fronts principaux. Tout d’abord - et c’est essentiel - nous devrons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher la main destructrice des intérêts capitalistes d’amplifier le problème.
Puis, nous devons voir à minimiser les émissions de carbone, bloquer les projets de combustibles fossiles nocifs et progresser dans toute la mesure du possible vers une transition juste. Il s’avère également vital de renforcer notre capacité à faire face aux répercussions de la catastrophe climatique sur les conditions de travail, la stabilité économique et la sécurité et le bien-être des communautés.
Encaisser le choc climatique
Nous subissons actuellement une crise inflationniste dont le corollaire est une augmentation du coût de la vie dont l’origine peut être retracée à des « chocs post-pandémiques au niveau de l’offre ». Or, le changement climatique nous fait entrer dans une ère d’instabilité économique d’une tout autre ampleur. Non seulement des millions de travailleurs vont-ils être confrontés à des vagues de chaleur aux conséquences dévastatrices pour leur santé et leur sécurité, mais les tempêtes, les inondations et les incendies créeront un danger immédiat, en plus de causer des dégâts et des déplacements forcés considérables.
La dégradation de l’environnement entraînera des ralentissements économiques et des crises du coût de la vie à une échelle sans commune mesure avec ce qu’a engendré la propagation de la COVID.
Les efforts pour juguler toutes ces crises seront largement compromis par l’affaiblissement des services publics et de l’infrastructure sociale, érodés durant de longues décennies néolibérales. La pandémie nous a donné un avant-goût de ce que peut représenter la détérioration des soins de santé publics, ce qui est un aspect critique, mais l’incapacité à répondre aux besoins en soins de santé des communautés confrontées à des impacts climatiques chroniques et aigus s’annonce plus grave encore.
La Fédération du travail de l’Ontario (OFL) a lancé une campagne visant à mettre de l’avant des mesures efficaces pour contrer la chaleur induite par le climat sur les lieux de travail. Cette initiative est un très modeste exemple de ce que les syndicats et les mouvements sociaux ont besoin d’entreprendre pour se recentrer sur les défis spécifiques posés par la crise climatique. Comme les conditions de travail s’en ressentent de plus en plus, il y a lieu de pousser les employeurs et les gouvernements à prendre des dispositions pour offrir aux travailleurs les protections dont ils auront besoin. Bien qu’à contrecœur, des programmes spéciaux d’aide au revenu ont été mis en place pendant la pandémie ; nous devons nous battre pour que de bien meilleurs dispositifs soient instaurés dans le but répondre aux besoins des travailleurs qui subissent la fermeture temporaire de leur lieu de travail ou la perte pure et simple de leur emploi à cause des effets du changement climatique.
Lorsque des inondations dévastatrices ont déferlé sur la Colombie-Britannique en 2021, il y avait manifestement très peu de choses en place pour répondre aux besoins urgents des communautés victimes de sinistres. Le fait que le gouvernement de cette province n’ait pas su faire adéquatement face à la situation est loin d’être un cas isolé. Même dans les pays riches, la préparation aux urgences climatiques est sporadique.
Un rapport publié dans the Japan Times rend compte de la gravité et de la fréquence accrues des vagues de chaleur et de leurs conséquences mortelles pour les personnes âgées. Lors d’un épisode de chaleur extrême à Tokyo, « les personnes âgées de 65 ans et plus ont représenté 90 % de l’ensemble des décès, et 90 % d’entre elles sont mortes alors qu’elles se trouvaient à l’intérieur ». Des mesures efficaces pour éviter de telles tragédies ne verront tout simplement pas le jour à moins d’un mouvement social qui oblige les gouvernements à agir.
Le récent incendie de forêt à Hawaï vient illustrer ce point : « les autorités locales et fédérales se sont fait reprocher la défaillance des systèmes d’alerte, le manque de communication et la lenteur des opérations de secours, et on s’attend à ce que le décompte des vies humaines perdues évolue encore à la hausse ». Nous devons faire campagne et nous mobiliser en faveur d’un renforcement des systèmes d’urgence et d’une mobilisation de ressources suffisantes pour répondre aux besoins tant immédiats que futurs des communautés confrontées aux retombées du changement climatique.
Il est également d’une importance vitale que nous apportions aux luttes liées aux questions climatiques une perspective globale et un élan de solidarité internationale. Dans les pays du Sud, les populations sont beaucoup plus vulnérables qu’ailleurs, en raison d’inégalités et de situations d’exploitation profondément enracinées. Les vagues de chaleur et les sécheresses créent des conditions qui exposent des dizaines de millions de personnes au risque de famine, comme dans le cas des inondations massives au Pakistan.
Pour les pays les plus pauvres, les questions d’annulation de la dette et d’allocation des ressources aux fins de survie et de reconstruction post-catastrophes climatiques et celles concernant les besoins urgents d’un nombre croissant de réfugiés climatiques sont appelés à prendre de plus en plus d’importance. Les dirigeants du monde entier ont beau organiser des réunions et publier de pieuses déclarations, seule une action de masse à l’échelle internationale fera bouger les choses.
De manière exponentielle et par des mécanismes qui nous échappent encore dans une large mesure, la crise climatique amorcée est en train de faire muter la lutte des classes et de créer d’énormes défis dans le processus. Au sein de nos syndicats et dans nos communautés, nous devons prendre acte de l’évolution des choses, nous fixer de nouveaux objectifs et élaborer des stratégies qui reflètent la dure réalité : nous sommes désormais engagés dans une lutte pour notre survie.
John Clarke est écrivain et organisateur retraité de la Coalition ontarienne contre la pauvreté (OCAP). Suivez ses tweets à @JohnOCAP et son blogue à johnclarkeblog.com.
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