Édition du 17 décembre 2024

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Canada

L’énergie nucléaire : une fuite en avant

L’énergie nucléaire ne se développe jamais au grand jour. Elle s’est implantée progressivement dans de nombreux pays dans le monde, sans débats publics, à l’abri des discussions sur sa dangerosité, sur ses risques et sur la gestion à long terme des déchets radioactifs qu’elle génère.

(Ce texte a d’abord été publié dans l’édition de juillet du journal Ski-se-Dit.)

Le cas du Canada et du Québec ne diffère en cela en rien de ce qui s’est fait et se fait encore ailleurs dans le monde.

Ses promoteurs avancent principalement deux arguments en sa faveur en ce qui nous concerne : le fait que cette forme d’énergie, qui génère moins d’émissions de carbone dans l’atmosphère, produit peu de ces gaz à effet de serre responsables des changements climatiques ; puis la demande croissante d’énergie et particulièrement d’énergie électrique avec entre autres l’avènement des voitures électriques et, disons-le, d’une foule d’autres moyens de transport électriques individuels et d’appareils à piles rechargeables.

Pour répondre au premier de ces arguments, mentionnons que malgré ce que prétendent les défenseurs de l’industrie, l’énergie nucléaire est tout sauf propre. Elle est aussi tout sauf sûre. Les quantités et niveaux d’uranium, de tritium, de césium, de carbone 14 et de plutonium, ainsi que d’arsenic, d’amiante, de mercure, de plomb et d’autres métaux lourds présents dans les déchets nucléaires sont polluants et très dangereux pour la vie humaine et animale. On ne sait d’ailleurs pas encore comment bien disposer de ces dangereux déchets, malgré les nombreux projets et toutes les promesses en ce sens.

En ce qui concerne l’augmentation de la demande d’énergie, établissons d’abord que le développement de l’énergie nucléaire fait suite, dans l’ordre des choses, au développement de l’arme nucléaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle se déploie dans le contexte d’un monde en croissance continue, productiviste, conflictuel, et comme pour l’arme, aux vues à court terme. S’il existe des formes d’énergie plus propres et plus sûres que d’autres – et le nucléaire n’en fait pas partie – il est important de considérer que c’est au niveau de la demande d’énergie globale que le bât blesse : nous devons globalement stabiliser, puis réduire notre consommation d’énergie, de quelque source qu’elle soit. La croissance sans fin est insoutenable !

Et la sécurité ?

Dans cette course à la production d’énergie nucléaire, les infrastructures et mesures de sécurité se sont bien sûr améliorées à la suite d’accidents comme ceux de Three MIle Island aux États-Unis en 1971, de Tchernobyl en Union soviétique en 1986 et de Fukushima au Japon en 2011, pour ne nommer que les principaux. Selon la chercheuse Marie-Hélène Labbé, on assiste cependant depuis une vingtaine d‘années à la privatisation et au relâchement des contrôles en matière de sécurité, et cela bien sûr dans le contexte d’une augmentation du nombre de centrales nucléaires dans le monde.

Cette fuite en avant que traduit l’augmentation du nombre de centrales et ce relâchement des mesures de sécurité dans le monde, se manifeste avec d’autant plus d’évidence en ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs. Seule jusqu’à maintenant la Finlande, un pays tout de même modeste, est depuis toutes ces années passé de façon semble-t-il sûre et efficace de la parole aux actes avec son site Onkalo de stockage en profondeur à très long terme de déchets de haute activité. Ce site devrait être opérationnel à compter de l’an prochain.

Les déchets radioactifs, définis comme étant de faible, de moyenne ou de haute activité en fonction des éléments impliqués et de la durée pendant laquelle ils restent radioactifs, peuvent rester dangereux pendant des milliers, voire des centaines de milliers d’années.

Chez nous, le fait est qu’après près de 80 ans de production de déchets nucléaires, le Canada n’a toujours pas de stratégie globale en matière de déchets nucléaires, ni bien sûr d’installations permanentes et sûres comme la Finlande pour leur stockage à long terme. Pis encore, l’ancien premier ministre canadien Jean Chrétien a été honteusement surpris par des journalistes de l’émission Enquête de Radio-Canada, il y a quelques années, à négocier en catimini l’éventuel stockage de déchets nucléaires étrangers en sol canadien, au Labrador. Autant d’inconséquence laisse pantois !

Le cas de Chalk River

En 2015, le gouvernement Harper a transféré le contrôle des Laboratoires de Chalk River de la société d’État Énergie atomique Canada à un consortium d’entreprises comprenant SNC Lavalin (devenu depuis Atkins-Réalis) et deux sociétés américaines, plaçant ainsi son contrôle entre les mains d’intérêts privés. Le gouvernement Trudeau, sans tambour ni trompette, a conservé le plan Harper et promeut malheureusement lui aussi l’énergie nucléaire comme solution aux changements climatiques.

C’est de cette suite de décisions politiques prises dans l’ombre, sans véritables consultations, où filtre peu d’information utile et priment les intérêts privés, que découle la décision d’établir un site de stockage de déchets nucléaires à Chalk River, en Ontario, à environ un kilomètre de la rivière des Outaouais qui se déverse dans le Saint-Laurent. Contrairement au site Onkalo en Finlande, il s’agit d’un risque important de contamination à court et à long termes, il va sans dire, pour les populations vivant le long de ces deux importants cours d’eau, pour une grande partie de la population du Québec en fait.
Ce projet de stockage qui aurait dû soulever une levée de boucliers décisive de la part de l’ensemble des populations concernées n’a en fait soulever que des oppositions isolées, parfois timides, de la part du gouvernement du Québec, d’administrations municipales, des Algonquins et d’organismes concernés par la question – même si certaines personnes se sont tout de même démenées pour que l’on revoit ce projet. Il n’est toutefois jamais trop tard pour bien faire et pour s’unir en très grand nombre et empêcher que l’on donne suite à ce projet. Comme il n’est jamais trop tard, ici comme ailleurs, pour s’opposer massivement à l’énergie nucléaire en général.

Un dernier point...

Il existe un dernier point fondamental qui devrait nous convaincre de rejeter l’énergie nucléaire comme solution à nos besoins énergétiques partout dans le monde, et c’est sa proximité avec l’arme nucléaire. Parce qu’à mesure que prolifèrent les centrales nucléaires dans le monde, à mesure augmente le nombre de pays se dotant de ce fait de l’arme nucléaire. Si nous n’avons plus cette crainte parfois oppressante d’une guerre nucléaire qu’avaient nos parents et grands-parents, le risque d’un conflit nucléaire n’en demeure pas moins présent... et même plus grand.

Neuf pays possède maintenant l’arme nucléaire : les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. Cinq autres, sans la posséder, l’héberge tout de même sur leur territoire à la « demande » des États-Unis : la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et la Turquie...« »

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Bruno Marquis

Bruno Marquis est un lecteur qui s’est impliqué dans plusieurs organismes voués à la protection de l’environnement, à la paix et à l’élimination de la pauvreté chez les enfants au cours des vingt dernières années. Il publie actuellement une chronique sur l’environnement dans le mensuel Ski-se-Dit. Il a aussi tenu régulièrement une chronique dans le webzine tolerance.ca.

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