07 avril 2021
Simon Parent
Table citoyenne Littoral Est
Mais il semble assez improbable, voire ridicule, de penser qu’un port, composante industrielle vouée aux échanges mondialisés d’un flux de marchandises, puisse être carboneutre. Comment, alors, l’APQ arrive-t-elle à affirmer une telle chose ?
C’est en consultant « l’analyse de carboneutralité » déposée hier par le Port de Québec à l’AEIC qu’on saisit tout le niveau d’abstraction derrière cette affirmation.
D’abord, comment l’APQ explique-t-elle la « neutralisation » des émissions de GES occasionnées par l’ensemble du cycle de vie matériel des marchandises qui seront acheminés annuellement dans 700 000 conteneurs vers le terminal Laurentia ?
Simple : elle n’en tient pas compte.
En fait, dans son analyse, le Port de Québec se concentre sur « les limites de propriété du nouveau terminal » et évacue, par le fait-même, tous les impacts occasionnés par la raison d’être de Laurentia : un équipement industrialo-portuaire inscrit dans un système d’échange mondialisé.
Ainsi, en faisant abstraction d’une de ses principales réalités – celle du cycle de vie énergivore et polluant des marchandises –, l’APQ fait miroiter un projet d’agrandissement portuaire d’une portée écologique aux apparences limitées.
Évidemment, le transport maritime international est aussi effacé de la zone concernée par les visées de « carboneutralité ». En ce sens, l’APQ limite les émissions considérées dans son analyse à celles qui surviennent « à l’intérieur de l’arrondissement de La Cite-Limoilou », comme si les écosystèmes
planétaires affectés par l’activité portuaire de Laurentia se limitaient, eux aussi, à cette zone administrative. Les impacts associés aux échanges transcontinentaux tombent donc dans les limbes juridiques de la mondialisation.
Ensuite, comment l’APQ arrive-t-elle à « neutraliser » les GES qui seront engendrés par les centaines de camions et de trains qui circuleront quotidiennement dans les quartiers centraux de Québec ?
D’abord, elle prétend que 90% des transports s’effectueront par trains et 10% par camions, ce qui, en soit, est une distorsion totale de la réalité des transports au Québec qui se rapproche davantage du 40% par trains et 60% par camions. Espérer une part ferroviaire de 90% relève donc d’un changement de paradigme total, ou d’un miracle. Dans les deux cas, ça ne relève du Port de Québec.
De plus, l’APQ promet « d’identifier des opportunités pour électrifier les flottes de transports ». Ce sont beaucoup de mots pour dire que l’administration portuaire n’a aucune autorité sur les compagnies de transports qui convergeront vers le terminal Laurentia.
Enfin, il faut comprendre que malgré toute cette gymnastique intellectuelle,le projet Laurentia occasionnera l’émission de plus de 150 000 tonnes éq. de CO2 d’ici 2036. Ces quelques 150 000 tonnes se retrouveront donc dans l’air déjà vicié des quartiers centraux de Québec et réchaufferont, par la suite, l’atmosphère terrestre. Mais l’APQ nous rassure : elle plantera quelques arbres pour compenser 50 000 tonnes de CO2 !
Ainsi, après avoir soustrait ses principales sources d’émission de GES de l’équation, falsifié la réalité des transports du Québec, omis ce qu’elle ne contrôle pas, émis une quantité importante de GES dans l’air et planté quelques arbres pour compenser une infime part de ses activités, Laurentia sera carboneutre.
Hier, suite au dépôt des nouveaux documents à l’AEIC, l’arrogance du Port de Québec a atteint de nouveaux sommets. Et la contorsion de ses discours rappelle de plus en plus l’ironie orwellienne. Le transport maritime sera bon pour les écosystèmes marins. L’activité industrielle sera bénéfique pour la qualité de l’air. Laurentia sera carboneutre.
Comme l’écrivait Orwell, « [l]a guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »
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