Rosa Luxembourg tirait ainsi ses conclusions de l’effondrement de la social-démocratie :
« Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. (Rosa Luxembourg, La Crise de la Social-Démocratie, Socialisme ou Barbarie) »
Cent ans plus tard, nous accusons un retard qui fait l’histoire se répéter. L’effondrement politique de la social-démocratie en Europe a permis à la droite de reprendre les devants. Pire encore, l’extrême-droite se pose maintenant en alternative, notamment en France.
Aux États-Unis, une colère sociale gronde mais elle n’a ni perspective ni moyen pour trouver une issue à son bénéfice. En l’absence d’alternatives c’est la droite qui occupe ce terrain, avec ses solutions. Comme le fait notamment valoir le chroniqueur du New York Times, Thomas B. Edsall, « (cette colère) est le résultat de la lente érosion de la qualité de vie économique de la classe moyenne américaine depuis 40 ans, érosion aggravée par la Grande Récession de 2008. C’est ainsi que le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier a chuté de 36 % aux États-Unis entre 1979 et 2015 — pendant que la population croissait 43 %. À partir des années 2000, note encore M. Edsall, la classe moyenne ne continue pas seulement de rapetisser ; elle voit aussi diminuer la part des familles plus aisées (100 000 $ par année) qui en font partie. En fait, la seule catégorie sociale qui s’est agrandie depuis 15 ans concerne les foyers dont les revenus annuels sont de 35 000 $ et moins… (Les racines du mal, Le Devoir 3 mars 2016 Guy Taillefer) ».
Dans l’État canadien, l’heure est à l’offensive anti-ouvrière. Les dix dernières années de gouvernement conservateur ont permis d’approfondir la déstructuration de l’État, par la diminution des services publics, a développé plus avant une politique économique au service des pétrolières et des multinationales. Politiques qui se poursuivent aujourd’hui avec le gouvernement libéral. Les droits des peuples autochtones sont bafoués par les compagnies forestières et pétrolières avec la complicité des gouvernements.
Au Québec, la question de l’indépendance se pose et ne peut se poser qu’en termes de changement social. Changement qui permettra à la population de prendre le contrôle de ses institutions et de ses finances, de ses ressources naturelles et de son environnement. C’est le moyen qui permettra de sortir du carcan de l’État canadien et de redéfinir le Québec comme un État républicain contrôlé par la population. En ce sens la lutte de la population du Québec pour sa souveraineté est le maillon faible de l’état impérialiste canadien. Cette lutte ne peut qu’avoir un impact et déborder les frontières du Québec, alimentant ainsi une lutte pour le changement social dans le reste du Canada. C’est une question inévitable, dont dépend aussi la survie de notre propre lutte.
A) La lutte nationale du Québec, maillon faible de l’État canadien
L’État canadien ne peut exister politiquement et structurellement dans un état tronqué sans le Québec. Il ne s’agit pas de l’indépendance d’une colonie lointaine mais d’un État souverain au cœur même du Canada. Le transport, l’acheminement du pétrole, la voie maritime seraient contrôlés par le Québec. Mais par-dessus tout l’impact de la lutte de libération nationale du Québec sur les luttes sociales pour la classe ouvrière du Reste du Canada (ROC) représenterait un danger mortel pour la classe dominante. Imaginons une dynamique 1000 fois plus importante que le printemps des carrés rouges.
• Les limites de la lutte souverainiste nationaliste au Québec
Les partis qui ont dominé la question nationale au cours des 30 dernières années, le PQ et le BQ, veulent bien rapatrier des pouvoirs au Québec mais pas au prix d’entrer en confrontation avec l’État canadien, ce qui nécessiterait une forte mobilisation de la population.
Au plan économique et social d’ailleurs ils ont les mêmes orientations. Lors de son dernier passage au pouvoir, Pauline Marois n’avait pas d’objection au plan pétrolier d’Énergie est et n’a ni demandé d’audiences du BAPE ni fait de représentations à l’Office de l’Énergie. Sans parler d’Anticosti.
Cette lutte revendicative ne peut donc que se limiter, comme cela a été le cas à des réformes, acceptables dans le cadre du fédéralisme et d’un État capitaliste. Cette gestion provinciale ne peut que conduire aux mêmes solutions, l’adoption d’une gestion au service des dominants. Ce qui explique en bonne partie l’impasse de la stratégie souverainiste du Parti québécois. Cette stratégie est depuis longtemps arrivée à sa fin de vie utile. Ce parti est depuis longtemps déjà, un obstacle dans la lutte contre l’État canadien et la domination de sa bourgeoisie.
• La souveraineté ne pourra être réalisée que par une population mobilisée
Les gens vont se battre parce que ça va changer leur vie. À cet égard l’appui conditionnel des femmes à la souveraineté est assez révélatrice.
Le sociologue Simon Langlois affirmait en novembre 2015 que les femmes(a) ne sont aujourd’hui que 36 % à exprimer un Oui ferme, six points de pourcentage de moins que les hommes. « Ce qui est nouveau, c’est la désaffection observée chez les femmes depuis 2001 [soit 11 points de moins], a-t-il observé. Je fais l’hypothèse que les femmes sont plus sensibles à ce qu’on pourrait appeler le message social de l’option. » Une autre étude du sociologue montre que les femmes, qui sont nombreuses à travailler comme enseignantes, infirmières et dans les services sociaux, sont critiques de l’état de la justice sociale. (Le Devoir Les forces vives de la société délaissent la souveraineté du Québec 3 novembre 2015)
• La lutte pour la souveraineté ne peut se limiter à une gestion provinciale du Québec
Un État souverain québécois devra se libérer de l’état canadien et des lois restrictives. La bourgeoisie canadienne ne se laissera pas défaire de son emprise.
On ne peut sous-estimer non plus le rôle des banques et des institutions financières. On n’a qu’à penser aux agences de notation qui ajustent leur cote de crédit aux emprunts des gouvernements en fonction de leurs politiques d’austérité.
Au Québec par exemple, l’agence de notation de crédit Standard & Poor’s a choisi d’accorder une perspective positive à la note de crédit A+ à la dette québécoise en juin 2016 en fonction de paramètres précis : concrétiser le faible taux de croissance de ses dépenses de programmes projetées dans le dernier budget ; abaisser le poids de la dette ; éviter une décroissance économique soudaine et maintenir sa solide capacité à générer des liquidités. (Standard & Poor’s apprécie l’effort budgétaire de Québec, Rudy Le Cours, La Presse 2 juin 2016)
L’exemple de la Grèce nous indique par ailleurs qu’un pays ne peut compter seulement sur ses seules forces, surtout devant la centralisation du contrôle économique dont les banques, les multinationales et les agences de notations comptent parmi les plus importants bénéficiaires.
La population s’est mobilisée derrière Syrisa afin de mettre fin aux plans d’austérité imposés à leur pays. Mais le bras de fer qui s’est joué en Grèce démontre de façon virulente que la constitution d’un pays est une question de rapport de force et illustre de façon on ne peut plus claire les intérêts de classe qui motivent les dominants.
Pour la Troïka,(Commission Européenne (CE),Banque centrale européenne (BCE), Fonds monétaire international (FMI) ) et le gouvernement Allemand D’Angela Merkel, l’enjeu n’était pas seulement économique, une victoire du peuple grec signifiait un exemple à suivre et un danger d’expansion de leur initiative dans toute la population européenne. La même menace guette tout peuple en lutte pour sa libération et le cas est particulièrement à propos pour le Québec.
B) Les défis pour la gauche du Reste du Canada
Il va sans dire que ce travail en commun entre les groupes progressistes du ROC et ceux du Québec et en particulier QS est fondamental dans la réalisation du changement social au Québec mais également dans la perspective de la réalisation d’un changement social au Canada anglais également.
À cet égard la gauche canadienne a également des défis importants devant elle. L’unification de la gauche du ROC elle-même en premier lieu. Largement fragmentée parce que peu de perspectives uniquement Canadiennes, les leviers de pouvoirs étant provinciaux. La population du ROC n’a pas les mêmes perspectives unitaires que peut avoir le Québec, il ne peut y avoir de lutte étudiante Canadienne comme il y en a eu au Québec par exemple.
Il y a cependant des perspectives binationales, dans le secteur du transport et des communications la lutte des travailleurs et travailleuses des postes a pris une dimension importante à cause de leur niveau de combativité mais aussi de leur effet unificateur. La lutte pour le salaire min à 15$ en est devenu un autre mais plus fondamentalement la question de l’heure (et la plus unificatrice) est la lutte aux changements climatiques, et pour un plan de sortie du pétrole à court terme. Cela interpelle aussi la question de l’appropriation du territoire, d’une part par la lutte des populations autochtones qui ont offert une résistance importante aux plans pétroliers et à celui de la population du Québec qui aspire à contrôler son environnement et son territoire.
Cependant les progressistes du ROC ne peuvent se limiter à appuyer le droit à l’autodétermination du Québec même si cet appui demeure tout de même important. À terme les progressistes du ROC devront faire le choix soit d’appuyer leur propre bourgeoisie contre la lutte d’émancipation sociale au Québec, soit d’appuyer le Québec. C’est une nécessité objective pour elle-même mais également pour le succès de la lutte au Québec.
Sinon ils demeureront confinés dans l’idéologie du nationalisme canadien, de l’État qui serait brisé par l’indépendance du Québec. Cela a d’ailleurs été une des faiblesses importantes de la gauche canadienne qui voyait la séparation du Québec comme un affaiblissement du Canada devant l’impérialisme américain. Cela amène par conséquent la classe ouvrière à identifier ses intérêts à ceux de sa propre bourgeoisie.
La question des intérêts de classe est donc fondamentale pour le mouvement ouvrier canadien dans la compréhension de la nécessité de son appui à la lutte de la population du Québec pour son affranchissement de la domination de l’État canadien.
Mail il en va de même pour la classe ouvrière québécoise, l’indépendance n’est pas une finalité en soi mais le début d’un changement pour le contrôle par la population de son environnement et de son économie.
C’est cette compréhension mutuelle qui permettra l’unification dans des dynamiques différentes des forces vives du Québec et du reste du Canada avec celles des peuples autochtones vers la création d’une nouvelle société égalitaire, vers ce qu’on pourrait appeler peut-être un jour une confédération libre des républiques ouvrières et des peuples autochtones.
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