Transcanada Corp. voudrait convertir ses pipelines transportant du gaz naturel de l’Alberta au Québec pour qu’ils puissent dorénavant transporter du pétrole brut.
Cette même Transcanada Corp. projette de construire un nouvel oléoduc en sol québécois qui permettrait d’acheminer le brut albertain jusqu’à la raffinerie Irving à St-John , au Nouveau-Brunswick.
Suncor, un des gros exploitant des sables bitumineux, étudie la possibilité de transporter par chemin de fer du pétrole de l’Alberta vers sa raffinerie montréalaise.
Ultramar, songe aussi à utiliser le train pour acheminer du pétrole de l’ouest vers sa raffinerie située à Lévis près de Québec.
Pourquoi ce soudain intérêt pour l’est du continent de la part de ces acteurs majeurs de l’industrie des sables bitumineux ? Les raisons seraient autant économiques et politiques.
Facteurs économiques et politiques
Au niveau économique, le prix du pétrole extrait des sables bitumineux est à la baisse : il serait de 20% plus bas que le prix du pétrole standard, le Brent Light. Au grand dam des exploitants, le marché a fléchi pour le brut albertain. Il est plombé par une demande internationale à la baisse et une surproduction de pétrole dans le mid-west américain. Une surproduction provenant du pétrole de schiste extrait au Nord Dakota. Un pétrole « non-conventionnel » de qualité similaire à celui tiré des sables bitumineux, qui met donc ces deux produits en concurrence directe pour des marchés de plus en plus limités.
Au niveau politique la situation n’est guère plus brillante. Les deux projets de pipeline devant acheminer le pétrole bitumineux, l’un vers l’ouest et l’autre vers le sud, sont en rade. Le pipeline Northern Gateway d’Enbridge est en butte à une féroce opposition, faite des communautés autochtones et d’environnementalistes, qui a forcé le gouvernement de Colombie Britannique à interdire le passage de cet oléoduc sur son sol. Quant à l’énorme projet Keystone XL de Transcanada Corp., il est en arrêt faute d’autorisation de la part du gouvernement fédéral américain. Ce dernier fait face à une campagne publique énergique qui va en s’intensifiant : 30,000 personnes viennent de manifester à Washington le 17 février dernier pour demander au président Obama de stopper définitivement Keystone XL.
La ruée vers l’est du continent est donc la riposte, tant économique que politique, d’une industrie des sables bitumineux qui est littéralement aux abois. Il ne faut pas oublier que celle-ci compte plus que doubler sa production d’ici 2020 pour atteindre 3,5 millions de barils par jour ! Il lui faut donc trouver, et vite, des débouchés permettant de contourner les blocages et d’écouler son produit.
La région est du Canada, qui a toujours importé son pétrole brut d’outremer, est donc une cible de premier choix. Atteindre les deux raffineries québécoises, ainsi que celle de St-John, permettrait aux pétrolières albertaines de remplacer le pétrole importé et de s’accaparer du marché lucratif de l’est du Canada. L’autre objectif poursuivi, serait d’acheminer éventuellement le pétrole brut vers les ports donnant sur l’océan Atlantique s’ouvrant ainsi aux marchés internationaux que sont l’Europe et les raffineries du Golfe de Mexique aux Etats-Unis. C’est une manœuvre vitale pour leur avenir qu’engagent les exploitants des sables bitumineux.
Une campagne médiatique pro-pétrole
Bien au courant de l’échec spectaculaire qu’a subi l‘industrie des gaz de schiste au Québec, les grandes entreprises pétrolières mobilisent les médias commerciaux pour préparer le terrain à cette arrivée massive du pétrole extrêmement polluant qu’est celui extrait des sables bitumineux. Les éditorialistes et une partie de la classe politique (tous vieux partis confondus) sont mobilisés dans une campagne soutenue pour vanter les mérites pour l’économie québécoise des pipelines et de l’industrie pétrolière .
Les risques écologiques, pourtant sérieux, que fait courir le transport de ce pétrole lourd et nocif sont minimisés. Pourtant les fuites provenant de pipelines vétustes ou mal entretenus sont assez courantes et extrêmement dommageables. Nul autre qu’Enbridge est responsable d’un déversement catastrophique de 3.3 millions de litres de pétrole bitumineux, mélangés avec des dissolvants hautement cancérigènes, au Michigan en juillet 2010. Cette fuite a contaminé la rivière Kalamazoo et plus de deux ans après l’accident, une partie de cette rivière est toujours fermée.
Quant aux bénéfices économiques que l’on nous fait miroiter, ils sont plus qu’illusoires. Les multinationales du pétrole étant passées maîtres dans l’art d’accaparer des profits gigantesques au détriment des pays et régions où elles agissent.
Mais le pire est finalement dans l’occultation du danger du réchauffement climatique, Réchauffement auquel contribue si fortement l’industrie des hydrocarbures en général, et celle des sables bitumineux en particulier. Alors qu’un virage écologique vers les énergies renouvelables s’impose d’urgence, voici que le gouvernement du Québec et les milieux des affaires nous proposent tout benoîtement d’aller en sens inverse.
Fédérer les résistances
Malgré les efforts inouïs d’un gouvernement fédéral inféodé aux pétrolières qui tente de diaboliser toutes les oppositions, la résistance s’accroît et remporte des victoires. Le blocage des pipelines allant vers l’ouest et le sud du continent en est une preuve éloquente. Le moratoire imposé à l’exploitation des gaz de schiste au Québec témoigne du pouvoir des mouvements citoyens. En outre, le mouvement Idle No More met en branle maintes communautés autochtones déterminées à bloquer l’expansion de l’industrie des sables bitumineux et ses pipelines.
Une résistance massive aux choix antiécologiques de gouvernements irresponsables est en voie de se développer. Pour être efficace, cette résistance se doit de fédérer les initiatives et les oppositions, élaborer des mots d’ordre communs et ne point hésiter à occuper les rues et les places publiques pour montrer sa détermination.
Ne laissons pas le 1% dicter ses choix. Il en va de l’intérêt de 99% des habitants de la planète.
Montréal, le 23 février 2013
L’auteur est un coordonnateur des campagnes chez Alternatives