Cette situation représente un tournant, qu’il faut qualifier cependant, puisqu’il y a eu quelques avancées intéressantes ou au moins des non-reculs, comme aux Pays-Bas, au Portugal ou en Belgique. L’autre bonne nouvelle, si on peut parler ainsi, est que l’extrême-droite n’a pas connu la progression que lui présidaient les sondages. En France notamment, le Rassemblement national est certes le premier parti, mais il n’a pas réellement progressé. Ce sont les droites « traditionnelles » qui se retrouvent stabilisées, bien qu’un peu affaiblies.
Lors de la Grande transition, donc avant le résultat désastreux que l’on connaît, des camarades espagnols, français, allemands, nous ont expliqué en fin de compte ce qui est arrivé.
En premier lieu, les droites, tant les partis de la droite « traditionnelle » que ceux encore plus à droite, ont assez bien fait en misant sur la « crise » des migrations, d’où la montée en flèche des mobilisations racistes et xénophobes, ce qui a cassé un grand nombre de mouvements et de mobilisations populaires. Par ailleurs, la crise économique, qui n’en finit pas de finir depuis 2008, continue de faire des ravages, disloquant des communautés, forçant les jeunes à l’exode, affaiblissant des bastions ouvriers et populaires. Cette déstructuration mine les capacités de résistance bien qu’elles ne cessent d’éclater ici et là, comme les Gilets jaunes en France.
Un autre facteur important découle de l’affaiblissement systémique, profond et sans doute irrésistible d’une social-démocratie atrophiée, diminuée, assommée par le tournant social-libéral du PS en France, du PSOE en Espagne et du SPD en Allemagne. Presque partout, la social-démocratie qui dominait les gouvernements depuis plusieurs années s’est convertie à l’austéritarisme, perdant une grande partie de sa base, à l’exception de l’Espagne (où la droite est plombée pour ses propres raisons), tout en se ralliant, parfois avec réticence, au déploiement impérialiste animé par les États-Unis.
Enfin, il faut souligner les facteurs internes qui expliquent le déclin actuel. La carte « populiste de gauche », lancée avec fracas en Espagne notamment, a atteint un point de saturation. Même à Barcelone où la gouvernance de gauche a relativement bien fait, l’expérience de pouvoir ou de partage de pouvoir par la gauche n’a pas permis une restructuration assez convaincante du point de vue des classes populaires. La gouvernance progressiste a également échoué en Grèce où SYRISA a capitulé devant le mur érigé par les bourgeoisies européennes et l’Union européenne.
Selon Josep Maria Antentas (qui était à la Grande transition), PODEMOS a été emporté par le vertige de ses succès. La centralisation excessive des politiques autour du leadership de quelques personnes, la dépendance envers les outils informatiques et les médias sociaux au détriment d’une mobilisation des bases, ainsi que des erreurs politiques et éthiques (sur la question de la Catalogne notamment), expliquent en bonne partie le déclin du « success story » espagnol-catalan.
La croyance un peu magique en une victoire « rapide », en un surgissement d’une alternative politique à la droite et à la social-démocratie, était une erreur, selon Christophe Aguiton. La gauche a surestimé ses forces et sous-estimé celles des adversaires. Dans plusieurs cas, le noyau militant à l’origine des nouvelles initiatives s’est démobilisé, certains étant « absorbés » par les structures de gouvernance et les enceintes parlementaires, d’autres étant mis de côté par la dérive centralisatrice et médialogique. Des secteurs populaires ont été écartés, parce que ne correspondant pas à l’idée qu’il fallait recentrer la gauche radicale vers quelques thèmes « gagnants » (l’écologie notamment). En France, la révolte des couches populaires (les Gilets jaunes) a été un coup de réveil plutôt brutal pour tout le monde, y compris la gauche.
Cette sévère défaite va certainement provoquer des remous et peut-être des changements. Les gauches doivent se débarrasser, selon nos camarades européens, d’une vision trop court-termiste. Il n’y a pas de substitut à la mise en place de structures de mobilisation et d’organisation à la base, quelque soient la force des technologies et la professionnalisation des « coms » (techniques de communication). D’autre part, on ne peut pas penser que la scène politique dominante, autour des parlements et des administrations locales et parfois nationales, peut être l’unique point de concentration de la bataille politique. Certes, il ne s’agit pas de revenir à un antiparlementarisme simpliste ou de penser à des « insurrections » improbables, Mais l’idée qu’il faut uniquement concentrer les capacités de la gauche radicale sur cette scène (dans le sillon d’avancées électorales réelles mais relatives), s’avère à la longue un mauvais chemin.
Lors d’une intervention remarquée à la Grande Transition, Xavier Lafrance (en ligne sur le site de PTAG), a repris ces thèmes en expliquant comment Québec Solidaire, fort de sa percée d’octobre dernier, avait encore la possibilité d’éviter ce piège, en mobilisant sur la créativité et la combativité populaires, en engageant les membres vers l’action politique dans les luttes actuelles, à la base. Il ne s’agit pas de se substituer aux mouvements sociaux, mais de se mettre à leur côté, en agissant à travers des initiatives rassembleuses. Megan Day, venue partager l’expérience de la DSA en Californie, nous a raconté comment la gauche américaine était sortie de l’obscurité en participant aux formidables grèves enseignantes des derniers mois.
La gauche n’a pas vraiment le choix que de capitaliser sur l’organisation à la base, ce n’est pas un « vieux slogan » hérité d’une « vieille gauche ». Elle doit aussi écouter la sagesse zapatiste : « il faut courir camarades, en sachant que nous sommes dans un marathon, pas un sprint ».
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