Livre I (Thrasymaque)
Dans le Livre I, Platon met en scène la rencontre de Socrate avec ses interlocuteurs. S’ensuit une discussion autour de la justice sous l’angle individuel (p. 78 et faire le bien » ? Une définition doit reposer sur des bases un peu plus solides que le suggère le monde des apparences. Thrasymaque, pour sa part, donne la définition suivante de la justice : « la justice consiste à faire ce qui est à l’avantage du plus fort ». (p. 89) et qu’il n’y a pas d’autre définition du bien. Socrate est plutôt d’avis que la justice est bonne à la fois dans ses moyens et dans sa fin et, par conséquent, elle ne peut exiger la soumission en tant que moyen. Pour Socrate, la justice « est une vertu » (p. 103) et « l’âme juste et l’homme juste vivront bien, et l’injuste mal » (p. 103). Vue sous cet angle, la justice correspond à l’excellence de l’âme. Ceci étant posé, reste à savoir si « l’âme juste et l’homme juste vivront bien, et l’injuste mal ? » Bref, la vie juste procure-t-elle plus de gratification que la vie injuste ? Reconnaissons-le, la définition de la justice ici ne repose pas sur des assises solides, elle manque de rigueur et de précision. Il n’y a que le cadre de la définition et la méthode pour cerner cette notion qui semblent bien posé dans ce Livre I.
Mais pourquoi n’y a-t-il dans ce début que ce dualisme du juste et de l’injuste pris essentiellement dans le sens d’une force pour l’un et d’une faiblesse pour l’autre ? À cause d’une ignorance de la vraie force qui n’est pas celle du plus fort. Socrate enseigne dès le départ, mais expose tout autant le manque d’élévation de l’âme chez Thrasymaque, trop prosaïque, se contentant donc de répliques faciles.
Livre II
Ici s’amorce, dans le livre II le début d’une réflexion critique autour de la justice (et cette réflexion se poursuivra jusqu’au Livre IV inclusivement) et de la genèse de la Cité parfaite dès son origine. Cette origine vient du fait que les hommes doivent se prêter aide mutuelle pour affronter les nécessités de la vie. C’est dans l’imagination, le raisonnement logique, que Socrate amorce sa réflexion autour de la naissance de la cité et de la justice dans la cité idéale et parfaite.
Glaucon est d’avis que ce n’est pas par désir de justice que les personnes agissent de manière intègre, mais par simple crainte ou peur d’être sanctionnée par la loi :
« Maintenant, que ceux qui la pratiquent agissent par impuissance de commettre l’injustice, c’est ce que nous sentirons particulièrement bien si nous faisons la supposition suivante. Donnons licence au juste et l’injuste de faire ce qu’ils veulent ; suivons-les et regardons où, l’un et l’autre, les mène le désir. Nous prendrons le juste en flagrant délit de poursuivre le même but que l’injuste, poussé par le besoin de l’emporter sur les autres : c’est ce que recherche toute nature comme un bien, mais que, par loi et par force, on ramène au respect de l’égalité. » (p. 109).
Il cite, en appui à sa thèse, le mythe de l’anneau de Gygès. Gygès ayant trouvé un anneau qui a la propriété de le rendre invisible, pouvait par le fait même commettre tous les méfaits sans aucun risque de se faire arrêter. Cela suffit à prouver, selon Glaucon que « la justice est aimée non comme un bien en soi, mais parce que l’impuissance de commettre l’injustice lui donne un prix. » (p. 109) ou « que personne n’est juste volontairement, mais par contrainte ». (p. 110). Socrate se sent un peu dans l’obligation de « venir au secours de la justice » (p. 116) en vue « de lui prêter appui » (p. 117) (la fonder légitimement). Au lieu d’essayer de la trouver dans la pratique des individus, Socrate propose de l’examiner dans plus grand que l’individu (p. 117) : la Cité. Justement parce que Glaucon modifie la position de départ de Thrasymaque (le règne de la justice du plus fort) pour se tourner vers le plus faible qui aurait choisi de se soumettre par crainte. Il y a ici ouverture d’esprit, prise de conscience d’un rapport social qui ne peut faire autrement que d’obliger l’élargissement de la voie entreprise, et Socrate a décidé qu’il en serait ainsi par la Cité.
Socrate commence d’abord par examiner ce qui donne naissance à une Cité. Les hommes fondent selon lui une Cité en raison de « l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses » (p. 117-118). C’est en raison du fait que les hommes ne parviennent pas à remplir individuellement tous leurs besoins qu’ils s’associent dans une Cité. Seul, personne n’arrive à remplir tous ses besoins.
« Ainsi donc, un homme prend avec lui un autre homme pour tel emploi, un autre encore pour tel autre emploi, et la multiplicité des besoins assemble en une même résidence un grand nombre d’associés et d’auxiliaires ; à cet établissement commun nous avons donné le nom de cité, n’est-ce pas ?
Parfaitement.
[…]
Eh bien donc ! Repris-je, jetons par la pensée les fondements d’une cité ; ces fondements seront, apparemment, nos besoins.
Sans contredit » (p. 118).
Platon développe une notion qui sera popularisée, plus de vingt siècles plus tard, par nul autre qu’Adam Smith : la division du travail.
« On produit toutes choses en plus grand nombre, mieux et plus facilement, lorsque chacun, selon ses aptitudes et dans le temps convenable, se livre à un seul travail, étant dispensé de tous les autres. » (p. 119).
Chacun se spécialisant, de nouveaux métiers apparaissent : agriculteur, maçon, tisserand, cordonnier, charpentier, forgeron, etc. Toute Cité organisée repose sur la division du travail et la création de classes sociales : marchands, salariés (p. 120). Dans la Cité « atteinte d’inflammation » (p. 122) surgiront « les imitateurs, la foule de ceux qui imitent les formes et les couleurs, et la foule de ceux qui cultivent la musique : les poètes et leur cortège de rhapsodes, d’acteurs, de danseurs, d’entrepreneurs de théâtre » (p. 122). Toute Cité organisée doit croître et pour s’agrandir elle doit pratiquer la guerre avec ses voisins, d’où l’apparition et la création d’une nouvelle catégorie de citoyens : les gardiens de la Cité (l’armée, les militaires) (p. 123). Socrate précisera les qualités « de ceux qui sont par nature aptes à garder la cité » (p. 124). Ils doivent avoir, « des sens aiguisés pour découvrir l’ennemi, de la vitesse pour le poursuivre, […] de la force pour le combattre » et « pour ce qui est de l’âme il doit être d’humeur irascible » (p. 124). En somme, il faut que les gardiens de la cité « soient doux envers les leurs, et rudes envers les ennemis » (p. 124). Le futur gardien doit également « avoir un naturel philosophique » (p. 125). Leur éducation comportera des leçons de « gymnastique » (pour le corps) et « pour l’âme la musique » (p. 126).
Tout le reste du Livre II est consacré à une condamnation par Socrate des fables et des Dieux immoraux. Socrate en profitera pour préciser que « le bien n’est pas la cause de toute chose ; il est la cause de ce qui est bon et non pas de ce qui est mauvais » (p. 129). Il établira deux règles à suivre dans les compositions poétiques. La première : « Dieu n’est pas la cause de tout, mais seulement du bien » (p. 130). La deuxième règle à suivre « dans les discours et les compositions poétiques sur les dieux : ils ne sont point des magiciens qui changent de forme, et ne nous égarent point par des mensonges, en parole ou en acte » (p. 133).
Socrate insiste aussi sur la modération à l’ouverture d’esprit, qui risque de déborder en une imagination excessive et inutile. Pour construire la justice dans une Cité idéale, un équilibre doit être atteint (du corps, par la subsistance et la sécurité ; de l’âme, dont les précisions viendront plus loin), d’autant plus que cette Cité extérieure doit aussi se retrouver dans l’individu. Autrement dit, Socrate construit la Cité comme il veut construire les hommes et les femmes qui doivent la composer. Ce qui est perçu d’elle provient de son esprit composé de la somme de tous ses membres constitutifs, donc de toutes les âmes présentes qui projettent au dehors la Cité qui existe en elles.
Yvan Perrier
Guylain Bernier
9 octobre 2020
yvan_perrier@hotmail.com
[1] Platon. 1966. La République. Paris : Garnier Flammarion, 510 p. Voir également la traduction établie par Georges Leroux : Platon. 2004. La république. Paris : GF Flammarion, 801 p.
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