Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’angoisse du coureur de fonds

Les camarades zapatistes disent que la lutte, ce n’est pas un sprint, mais un marathon. Et que tous et toutes doivent garder leur souffle, s’attendre à la durée… C’est une leçon qu’on a peu entendu à gauche depuis que l’idée de changer le monde a pris forme. Dans l’imaginaire de la gauche, ce sont des moments « chauds », héroïques, qui sont restés dans la mémoire : la Commune de Paris, l’insurrection des soviets, l’arrivée des barbudos à la Havane. Au Québec, la plupart du monde va se souvenir des Patriotes de 1837-38, d’octobre 1970, et même de la victoire du PQ en 1976.

C’est peut-être comme cela que la psychologie humaine nous encourage, nous stimule, nous sort de la grisaille quotidienne. En même temps, il y a un piège dans cette vision.

Évidemment quand on étudie un peu l’histoire, on voit bien que les Communards venaient en 1870 de décennies de transformations politiques en France à partir de la première grande révolution de 1789. Les Soviets n’ont pas surgi du néant par le génie de Lénine ou de Trotski, mais de la patiente accumulation des luttes. L’explosion des luttes populaires dans le Québec des années 1970 a pour résultat des « semences » que nos ancêtres avaient mis en tête dans des grèves la plupart du temps écrasées dans les années 1940-50.

Seulement, à part les historiens et ceux et celles qui sont passionnés de la chose, il est difficile de comprendre cette infinie patience des luttes populaires. C’est pourtant un rôle important que doivent accomplir chroniqueurs, journalistes et intellectuels organiques ou non, pour qu’on comprenne mieux. Un autre sage, l’italien Antonio Gramsci, disait, « pour savoir où on va, il faut savoir d’où l’on vient ».

Dans ce Québec incertain de 2018, il est important de se rappeler la trame des dernières années qui expliquent là où nous sommes. En gros, on peut dire que la grande Marche des femmes contre la violence et la pauvreté (1995) a été un jalon important. À l’époque en effet, beaucoup de gens étaient assommés par le discours ambiant à l’effet qu’il n’y avait rien à faire, d’où la formule de Thatcher : there is no alternative. La FFQ a secoué la cage et brisé le pseudo consensus acceptant les délires néolibéraux que partageaient le PQ et le PLQ.

La balle a été reprise au vol lors du Sommet des peuples des Amériques (2001). À ce moment, toute l’élite politique était agenouillée devant la religion du libre-échange. Les médias ridiculisaient Hugo Chavez (le seul chef d’État à l’époque à s’y opposer) et faisaient passer les critiques pour des nostalgiques d’une vieille gauche. Mais plusieurs ont choisi de résister, dont les centrales syndicales. Un peu hésitantes au début, elles ont eu l’intelligence de voir venir le grand mouvement populaire mené par les jeunes, qu’on a appelé par la suite l’altermondialisation. Avant les grandes manifestations à Québec en avril, il y a eu au moins 1000 ateliers et sessions de préparation pour expliquer, mobiliser, convaincre !

En 2003 quand Jean Charest est arrivé avec ses gros sabots, il a été surpris de voir des milliers de parents et d’éducatrices dans la rue pour défendre les CPE. Les syndicats lui ont envoyé un sérieux avertissement en bloquant le port de Montréal. Le premier mai suivant, il y avait plus de 100 000 personnes pour crier haut et fort leur opposition à la « réingénierie » annoncée par le gouvernement.

En 2005, les étudiants ont remis les pendules à l’heure contre le discours de l’austéritarisme. Quand l’ASSÉ a déclenché la grève, les experts patentés et la petite clique qui contrôle les médias riaient d’eux. Les étudiants avaient pris le temps de se préparer et cela a fonctionné. Peu après, des milliers de citoyens et de citoyennes se sont mobilisés sur la rive-sud pour bloquer l’exploitation des gaz de schistes, un autre projet délirant présenté par le gouvernement comme incontournable.

On n’insistera pas sur le printemps 2012, sinon que pour dire que, encore une fois, ce n‘était pas un lapin sortant d’un chapeau de magicien. Dans les cégeps et universités, l’ASSÉ a fait un travail de fourmis, misant sur les assemblées générales plutôt que sur les décisions prises en petit groupe, prenant le temps d’expliquer les enjeux.

Dans quelques semaines, on verra ce que QS pourra faire, mais pour le moment, cela n’annonce assez bien. Il est alors important de voir l’élection du 1er octobre comme un moment dans une grande marche, une étape. Ces avancées probables résultent de l’accumulation des résistances évoquées plus haut. Elles vont dépendre aussi, pour faire la différence, sur la résilience des mouvements populaires. Certes, cela serait merveilleux d’avoir à l’Assemblée nationale des Solidaires de plus. Leur véritable force, cependant, sera d’être en phase avec un mouvement de masse extra-parlementaire, avec des organisations prêtes à prendre le dur chemin, comme l’ont fait l’ASSÉ, la FFQ et plusieurs syndicats, de l’organisation et de l’éducation populaire.

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