Dans une étude à paraître en février prochain dans les Nouveaux Cahiers du socialisme (le numéro 9 des NCS porte sur la « question canadienne »), les deux économistes de gauche bien connus Pierre Beaulne et Louis Gill expliquent les grandes tendances à l’œuvre. Le capitalisme canadien se déplace depuis plusieurs années vers les secteurs de la finance et des ressources, ce qui se fait au détriment du secteur manufacturier qui est concentré en Ontario et au Québec. Pendant que la progression des sièges sociaux est impressionnante à Calgary, elle est en déclin à Toronto et surtout à Montréal (15 départs depuis 1999). Plusieurs milliers d’emplois ont donc été perdus au Québec et ce, même si « Québec inc » a tiré ses cartes du jeu en s’internationalisant davantage (en dehors du Québec). (Pierre Beaulne, Le capital canadien dans la tourmente, article à paraître dans le numéro 9 des NCS, février 2013). La géographie du capitalisme canadien se déplace selon un axe qui commence à Toronto (centre financier) et qui s’étend principalement vers l’ouest et le nord.
Cette évolution n’est pas un accident de parcours et a peu à voir avec la situation économique et fiscale comme telle du Québec. Harper depuis 2006 affirme vouloir faire du Canada le « champion » de l’énergie. La politique monétaire qui maintient un dollar surévalué appuie cette politique, ce qui rend l’industrie manufacturière moins compétitive, pendant que les investissements étranger dans le secteur de l’énergie deviennent plus rentables. Cette situation selon Pierre Beaulne pourrait être à moyen terme dommageable pour l’économie québécoise et canadienne, car le secteur des ressources est volatile, soumis à des cycles d’expansion et de régression. Dans les milieux financiers, on parle déjà d’un déclin prévisible du prix des matières premières, en lien avec le rebond de la crise économique mondiale.
Dans ce contexte, les mesures d’austérité prévues et mises en place par le gouvernement conservateur vont faire mal, selon Louis Gill. Déjà qu’aux lendemains du crash de 2008, la relance par des stimuli fiscaux et d’autres programmes a été très timide à Ottawa (en comparaison avec d’autres pays capitalistes). Harper en prétendant s’en remettre à la « main invisible du marché » a laissé s’évaporer plus de 600 000 emplois, surtout dans le secteur industriel.
Ces politiques cachent mal les véritables objectifs des Conservateurs qui veulent accélérer la gouvernance néolibérale incluant, selon le professeur de l’UQAM, « la privatisation des services publics, la réduction de la fiscalité et l’accentuation de son caractère régressif, la déréglementation, la réduction de l’État au rôle d’accompagnateur de l’entreprise privée ». (Louis Gill, Le Canada économique : un colosse aux pieds de bitume, article à paraître dans le numéro 9 des NCS, février 2013).
Pendant que ses macro politiques sont gérées par l’État canadien (le seul véritable « État » au sens propre du terme), les dominants demandent aux provinces (et aux municipalités) se réduire leurs dépenses et de maintenir la fiscalité terriblement inéquitable qui prévaut. Certes, il reste quelques marges de manœuvres au Québec. L’augmentation des impôts aux plus riches et aux entreprises mise de l’avant par le gouvernement du PQ aurait un effet bénéfique pour les classes moyennes et populaires, il va sans dire. Mais ces politiques restent limitées. À moins de sortir du carcan néolibéral et néoconservateur dominant actuellement et donc de repenser le développement économique et social, il faudra s’attendre à passer un mauvais quart d’heure.
Si le « grand soir » est nécessaire mais néanmoins lointain, il faut voir comment on peut minimalement entraver le bulldozer appelé Harper. C’est une discussion que je continuerai dans de prochaines chroniques.