Édition du 24 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Kamala Harris s'attaquera-t-elle à la cupidité des entreprises ? Les commentaires de Ralph Nader et de Joe Stiglitz sur le débat, les tarifs douaniers de Trump et d’autres questions

Partie 1

Nous nous entretenons avec Ralph Nader, défenseur des consommateurs, et Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, au sujet du débat de mardi entre la vice-présidente Kamala Harris et l’ancien président Donald Trump.

Tiré de Democracy Now
Democracy now https://www.democracynow.org/2024
Part I : Will Harris Take on Corporate Greed ? Ralph Nader & Joe Stiglitz on
Debate, Trump’s Tariffs & More

traduction Johan Wallengren

Le 11 septembre 2024

Invités
• Joseph Stiglitz
Économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l’université Columbia, président du Council of Economic Advisers (CEA, littéralement « Conseil des conseillers économiques ») sous l’administration Clinton, il est actuellement économiste en chef de l’Institut Roosevelt.
• Ralph Nader
Défenseur des consommateurs et critique de la grande entreprise, il a été quatre fois candidat à l’élection présidentielle.

Stiglitz estime que les projets politiques de Trump, qui comportent notamment de fortes hausses des droits de douane, entraîneraient « une plus forte inflation et une croissance plus lente » et feraient des ravages dans l’économie américaine. M. Nader considère qu’il est facile de faire bonne figure à côté de M. Trump, mais que Madame Harris ne remet pas fondamentalement en question la cupidité des entreprises, le rôle du complexe militaro-industriel, la destruction de l’environnement, ainsi que bien d’autres maux.

Transcription
Ceci est une traduction de la version la plus immédiate de la transcription, qui pourrait ne pas être finale.

AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org. Mon nom est Amy Goodman. Avec Juan González, nous continuons de nous pencher sur le débat de mardi soir. Voyons voir ce qui s’est dit au sujet de l’économie. Voici la vice-présidente Kamala Harris qui s’exprime lors du débat présidentiel sur ABC News.

KAMALA HARRIS : Donald Trump n’a pas de plan pour vous. Et quand vous regardez son plan économique, il ne s’agit que d’allègements fiscaux pour les plus riches. Je propose ce que j’appelle une économie offrant tout un éventail de possibilités. Les meilleurs économistes de notre pays, voire du monde entier, ont examiné nos plans portant sur l’avenir de l’Amérique. Ce que Goldman Sachs a dit, c’est que le plan de Donald Trump ferait du mal à l’économie, tandis que le mien la renforcerait. Ce que la Wharton School a dit, c’est que le plan de Donald Trump ferait exploser le déficit. Seize lauréats du prix Nobel ont décrit son plan économique comme quelque chose qui ferait augmenter l’inflation et paverait la voie à une récession d’ici le milieu de l’année prochaine.

DONALD TRUMP : Nous allons encaisser des milliards de dollars, des centaines de milliards de dollars. Je n’ai pas eu d’inflation, pratiquement pas d’inflation. Ils ont eu l’inflation la plus élevée qu’on ait vue de toute l’histoire de notre pays peut-être, parce que je n’ai jamais vu une période où les choses sont allées plus mal que ça. Les gens ne peuvent pas aller acheter des céréales, du bacon, des œufs ou quoi que ce soit d’autre. Les citoyens de notre pays sont tout simplement en train de mourir avec ce que nos adversaires ont fait. Ils ont détruit l’économie. Et il suffit de regarder un sondage. Les sondages disent à 80, 85 et même 90 % que l’économie de Trump était formidable, que leur économie a été épouvantable.

AMY GOODMAN : Se joint maintenant à nous Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l’université de Columbia, qui a été président du Conseil des conseillers économiques. Professeur Stiglitz est également l’économiste en chef de l’Institut Roosevelt et compte parmi les 16 économistes lauréats du prix Nobel qui ont mis en garde contre les politiques de Trump. Et nous sommes aussi rejoints par Ralph Nader, défenseur des consommateurs de longue date et critique de la grande entreprise qui a été candidat à l’élection présidentielle. Son dernier livre est Let’s Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l’appareil d’état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple).

Professeur Stiglitz, quelle est votre réaction à ce que nous venons de voir ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, le fait est qu’il n’a pas de plan pour l’économie. Il a fait des propositions qui conduiront à plus d’inflation et à une croissance plus lente. Non seulement il y a les problèmes à court terme, mais à long terme, il va saper la croissance du pays et faire perdre ainsi aux États-Unis leur avantage stratégique. Permettez-moi de vous donner deux exemples.

Il a proposé des droits de douane énormes. Or, les droits de douane ne sont qu’une taxe. Ils portent sur des produits que les gens achètent tous les jours. Et ces droits de douane énormes feront augmenter l’inflation. Il s’est opposé à l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) dont une disposition importante vise à faire baisser les prix des médicaments. Cette disposition prévoit que le gouvernement peut négocier avec les entreprises pharmaceutiques pour faire baisser les prix. Or, il va abroger cette disposition. Résultat, les prix des médicaments vont grimper.

D’un autre côté, à long terme, ce qui est important, la raison pour laquelle notre économie est plus forte que celle d’autres pays, c’est notre innovation technologique, nos universités, nos activités scientifiques. Qu’a-t-il proposé ? Nous l’avons vu à l’œuvre quand il était président, avec ses coupes sombres dans les budgets consacrés à la science. L’une des raisons pour lesquelles les économistes s’accordent à dire que l’économie américaine se porte bien est l’État de droit. Il a fait tout ce qu’il pouvait pour saper l’État de droit, y compris en menaçant la banque centrale de lui enlever son indépendance.

Donc, si vous examinez l’ensemble de ses propositions, vous constaterez qu’il s’agit d’un ensemble de propositions bien bonnes et bien belles pour les très riches, parce qu’il va réduire les impôts des milliardaires et des grandes entreprises qui amassent les profits, mais pour l’économie en général, il y aura une augmentation des prix, une augmentation de l’inflation, un ralentissement de la croissance, une augmentation du chômage. Pour reprendre un mot qu’il utilise lui-même, ce serait un désastre.

JUAN GONZÁLEZ : Mais, Professeur Stiglitz, sur la question des droits de douane, l’administration Biden n’est-elle pas dans une position un peu plus faible, étant donné qu’elle a maintenu les droits de douane que Trump avait imposés à la Chine, comme il l’a mentionné dans le débat, et que Biden propose, par exemple, des droits de douane encore plus élevés sur les véhicules électriques et d’autres sortes de biens en provenance de Chine ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, vous savez, l’une des différences majeures entre Trump et Harris est la modération et le sens de l’équilibre dont fait preuve cette dernière. Il y a bien des situations où on a des objectifs multiples et on doit faire très attention à trouver un équilibre entre eux. L’un de nos objectifs est de devenir moins dépendants de la Chine. Vous savez, lors de la pandémie, nous ne pouvions même pas produire les masques dont nous avions besoin. Nous avons dû les faire venir de Chine. Nous achetons des transistors à Taïwan. Nous devons devenir plus indépendants dans ce domaine également. Mais nous recevons des quantités affolantes de choses de la Chine et nous devons devenir plus indépendants, plus résilients. Et c’est là que les droits de douane imposés à la Chine envoient à nos entreprises un signal important : il faut rendre nos chaînes d’approvisionnement plus robustes. Et c’est ce qu’ils essaient de faire.

Que veut faire Trump ? Il veut augmenter ces droits de 50, 60 %. Cela entraînerait un blocage. Et qui paierait le prix de ce blocage ? Les consommateurs et les travailleurs américains. Nous recevons beaucoup de pièces détachées dont nous ne pouvons nous passer. L’industrie manufacturière en souffrirait. Toute notre économie serait mise à rude épreuve.

AMY GOODMAN : Ralph Nader, je voudrais vous faire intervenir à ce moment de la conversation. Vous avez écrit Let’s Start the Revolution - Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution - des outils pour extirper les grandes entreprises de l’appareil d’état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Vous avez parlé des deux partis comme d’un duopole. Pensez-vous que le débat a couvert les sujets, les questions économiques qui comptent pour le plus grand nombre ?

RALPH NADER : Non, en fait, ça a été une occasion manquée pour Kamala Harris. Il est facile de faire bonne figure à côté de Trump. Il ment. Il fulmine. Il répète huit fois les mêmes mensonges sur l’immigration, par exemple, comme Juan l’a signalé. Mais à la base, elle a dit qu’elle voulait être la présidente de l’ensemble du peuple. Évidemment, bon, il n’y a pas grande différence entre ce qu’elle a dit ou non, par rapport à Biden.

Elle a répété encore une fois qu’Israël avait le droit de se défendre. Israël est l’auteur d’un massacre de plus de 300 000 Palestiniens déjà, procède à des bombardements au Liban, agit à sa guise en se servant d’armes américaines. Et elle n’arrive pas à dire que les Palestiniens ont le droit de se défendre. Ce sont eux qui sont occupés et opprimés depuis toutes ces décennies. Donc on voit très peu de différence.

Elle a flatté l’industrie pétrolière et gazière dans le sens du poil en soulignant que la production de pétrole et de gaz a atteint un niveau record. Elle n’a guère fait que mentionner la question de la violence climatique, sans s’encombrer de détails à ce sujet. Elle ne s’est pas prononcée en faveur d’une assurance maladie complète, rejoignant M. Biden sur ce point. Ce dernier n’aime pas l’idée d’un système complet d’assurance-maladie. Elle a rassuré le complexe militaro-industriel en affirmant qu’elle disposerait de la meilleure force de frappe au monde. Elle n’a pas vraiment abordé la question des impôts à récupérer auprès des sociétés géantes qui sont loin d’en payer assez, qui… vous le savez, nombre d’entre elles réalisent des milliards de bénéfices aux États-Unis et ne paient pas d’impôts, ou si peu.

Elle ne s’est même pas attaquée à Trump pour ses violations majeures de la loi fédérale et même de la Constitution. C’est ce qui peut nuire le plus à la réputation à Trump. C’est un violeur de lois en série.

Et le plus étonnant, Amy, c’est qu’elle n’a même pas mis le salaire minimum au cœur du débat. Les démocrates n’ont nulle considération authentique pour le salaire minimum. Il y a 25 millions de personnes dans ce pays qui gagnent moins de 15 dollars de l’heure.
C’est donc sur de tels tabous que je me concentre, et c’est pourquoi j’ai écrit ce livre et c’est pour cette raison que nous avons CapitolHillCitizen.com, ce site à partir duquel les gens peuvent obtenir par poste prioritaire un exemplaire de notre bulletin. En effet, si nous laissons tous ces tabous perdurer, si nous ne parlons pas des centaines de milliards de dollars d’aide aux entreprises ni des pratiques capitalistiques, des renflouements, des subventions et des cadeaux assortis de garanties du gouvernement, si nous passons sous silence la vague de criminalité d’entreprise dont la presse grand public révèle le caractère abusif, donc en l’absence de répression dirigée contre les escrocs au sein des entreprises – bien qu’elle se vante de son passé de procureure – on ne parle pas de redonner du pouvoir aux travailleurs au sein des syndicats, ce n’est pas le propos de Kamala Harris, on ne parle pas de mettre fin à l’influence du grand capital sur le jeu politique, bien sûr.
Et tout le monde se répétait dans ce débat. Voilà ce qu’il a fait… c’est le perroquet des débats. Il ne fait que parler à sa base.

AMY GOODMAN : Eh bien, Ralph, nous allons…

RALPH NADER : Mais elle a eu beaucoup d’occasions de porter les discussions à un autre niveau. Si on n’élargit pas l’horizon, si on ne structure pas le dialogue public pour lui donner plus de portée, alors on ne peut pas prêter attention aux dommages qui sont infligés à notre société démocratique...

AMY GOODMAN : Eh bien, Ralph…

RALPH NADER : … et au rôle des travailleurs et des consommateurs.

AMY GOODMAN : Ralph, nous allons poursuivre ce débat - et c’est sûr que ce sera tout un débat - entre vous et le professeur Stiglitz et après l’émission, nous publierons les échanges en ligne sur democracynow.org.

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Juan Gonzalez

Journaliste à Democracy Now

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