Ce règlement aura-t-il préséance sur les mesures adoptées par Gaspé ? En attendant que les tribunaux tranchent, les militants environnementaux retiennent leur souffle et Pétrolia précise ses plans, qui s’annoncent très différents de ce qui a d’abord été présenté aux résidents. J’ai profité de mes vacances en Gaspésie pour faire le point sur le dossier avec Lise Chartrand, présidente de l’organisme Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé.
Petit gisement, gros projet
Tout d’abord, précisons que malgré les rumeurs et les annonces, Pétrolia n’a pas connu beaucoup de succès avec son exploration pétrolière en Gaspésie. Les gisements trouvés du côté de Murdochville ne contiennent que du gaz naturel, intransportable en raison de la distance. Le réservoir Haldimand, que Pétrolia souhaite exploiter, ne contient en tout que 8 millions de barils de pétrole, ce qui couvrirait les besoins des raffineries québécoises pendant… 22 jours. C’est si peu que Junex, associée au projet à l’origine, a préféré s’en dissocier.
Par ailleurs, le projet d’exploitation prend de l’ampleur. Alors qu’il était d’abord question d’un seul puits, exploité de manière conventionnelle, les opposants ont réussi à apprendre qu’il y aura en fait 16 puits, répartis sur 9 km carrés. Plus étonnant encore, il apparaît maintenant que Pétrolia souhaite y faire de la fracturation hydraulique. Pour cette raison et aussi parce que les forages traverseront une couche de schiste, ce projet devrait normalement être bloqué par le moratoire sur ce type d’exploitation. On s’explique mal pourquoi Québec ferme les yeux sur le projet Haldimand.
De sérieux impacts environnementaux
Au départ, les principales craintes des opposants concernaient la contamination de l’eau potable par des fuites de pétrole. Les résidences les plus proches (aussi peu que 100 mètres du puits d’exploration) sont alimentées par l’aqueduc municipal, mais de nombreuses maisons des environs dépendent de puits artésiens. Or, une analyse de 2012 confirme que l’eau de ruissellement est déjà contaminée par des produits pétroliers. On ignore si cette contamination provient de l’exploration de Pétrolia ou de celle effectuée dans les années 1970, mais cela augure mal pour l’exploitation à grande échelle.
Par ailleurs, le but de la fracturation hydraulique consiste à élargir certaines failles naturelles dans la pierre. On craint que certaines de ces failles ne se prolongent sous la baie de Gaspé toute proche et que de l’eau salée remonte par capillarité dans tout le système hydrologique de Sandy Hill. Par ailleurs, la fracturation exige énormément d’eau. Pétrolia compte la puiser sur place, ce qui pourrait bien assécher la nappe phréatique locale, dont la capacité, sans doute modeste compte tenu de la topographie, n’a jamais été évaluée.
Par ailleurs, on s’inquiète aussi pour la qualité de l’air. Seize puits, cela signifie également seize torchères, qui brûleront nuit et jour le gaz naturel brut mélangé au pétrole. Il n’existe aucune étude d’impact sur la qualité de l’air qui en résultera, mais la baie de Gaspé est encaissée entre deux rangées de montagnes et la possibilité de smog inquiète. Par ailleurs, les chemins forestiers ouverts dans la montagne pour desservir les futurs puits créent déjà des problématiques de transport lourd, de passage de motoneiges, de chasse et de vol de bois.
Le spectre de Forillon
Tout le projet crée beaucoup de tension à Gaspé. On évoque souvent les expropriations bâclées de 1970, lors de la création du parc national de Forillon, une plaie qui est encore vive de nos jours. Une petite partie de la population appuie le projet au nom du développement économique, mais en fait, la croissance est déjà forte et Gaspé peine depuis des années à loger tous ses nouveaux citoyens.
La disproportion des moyens entre Pétrolia et les opposants donne l’impression que les dés sont pipés. « Ils impriment des affiches publicitaires et donnent de l’argent à tout le monde, s’insurge madame Chartrand. En décembre dernier, lors d’une journée d’information, leur kiosque était protégé par six gardes de sécurité – ils n’ont même pas eu six visiteurs – et ils ont voulu faire fermer le nôtre. Ils vivent dans une époque révolue, où l’on pouvait traiter les écolos comme de simples nuisances. »
L’attitude du gouvernement – règlements taillés sur mesure, non-application de certains règlements, normes laxistes – laisse croire aux opposants que le gouvernement Marois tient mordicus au projet et que certaines concessions, comme la promesse d’une étude hydrogéologique, ne servent qu’à faire avaler la pilule, sans réellement protéger l’avenir. Le climat social de Gaspé, déjà tendu, pourrait devenir explosif.
« Toute notre économie est basée sur la qualité de vie, souligne Lise Chartrand. On a beaucoup plus à perdre qu’à gagner avec Pétrolia. Il y a des gens qui viennent me voir en pleurant, en disant que s’ils avaient su, ils ne seraient jamais venus s’installer dans la région. Moi-même, je me demande si je dois rénover ma maison ou la vendre tant que c’est possible. J’ai habité en Abitibi et j’ai vu ça, des rivières orange. Je sais qu’une fois une entreprise minière est établie, elle fait ce qu’elle veut. »