La lettre du ministre de l’environnement
La lettre constitue un changement de position important de la part du ministre. Celui qui chantait les louanges du projet Energie Est depuis sa nomination au poste de ministre de l’environnement demande dorénavant que les documents relatifs au projet soient traduits en français. Sa lettre fait directement référence à la motion unanime adoptée à l’Assemblée nationale qui affirme la compétence du Québec en matière d’évaluation environnementale, qui demande à Québec de « renoncer à déléguer ses évaluations […] à l’Office national de l’énergie. » Elle indique également sept conditions ou critères sur lesquels Québec guidera sa décision. Cependant le ministre refuse de franchir le pas, à savoir s’il se garde le pouvoir de dire Non au projet.
Les conditions du ministre Heurtel
Elles sont au nombre de sept. Voyons quel en est le potentiel de contournement, en quoi ces conditions représentent un véritable obstacle au projet Energie Est ou bien une nouvelle façon de rendre le projet « acceptable ».
1) consulter les communauté locales afin d’assurer l’acceptabilité sociale : nous avons ici un couteau à double tranchant. Oui il faut que les communautés soient consultées mais avec cette condition formulée ainsi, on pourrait prétendre qu’il s’agit de trouver la meilleure manière de faire avaler la couleuvre. Et rien ne dit que le gouvernement se conformera aux positions exprimées par les dites communautés.
2) S’assujettir à une évaluation environnementale sur l’ensemble de la portion québécoise du projet, comprenant une évaluation des émissions de gaz à effet de serre : On ignore les paramètres d’une telle consultation. Rien n’est mentionné sur la question des émissions de GES, totalement absente des consultations de l’Office National de l’Energie (ONE). S’agira t-il d’un critère ? Si oui quelle importance y accordera t-on dans le jugement définitif sur le projet. Rien dans la lettre ne permet de trancher dans un sens ou dans l’autre.
3) Le projet d’oléoduc devra respecter les plus hauts standards techniques pour assurer la sécurité des citoyens et la protection de l’environnement et seront, en ce sens, suivis par une unité de vigilance permanente. Un bel exemple de fétichisme de la technologie. La technologie n’a pas empêché les nombreux déversements des installations de TransCanada à travers l’Amérique. À chaque projet, TransCanada fait semblant de montrer patte blanche, puis la compagnie fait comme toute entreprise capitaliste : on rogne sur les coûts pour augmenter le rendement.
4) Le projet doit satisfaire à la loi en ce qui a trait aux Premières Nations, à leur participation et à leur consultation, le cas échéant. Une condition essentielle mais qui risque de montrer ses limites car la législation entourant les droits autochtones sont si souvent bafoués qu’on se demande jusqu’où peuvent aller les nations autochtones qui voudraient faire barrage au projet. De plus, des informations nous parviennent régulièrement sur des avantages que les promoteurs laissent planer pour une certaine élite présente dans les premières nations, afin d’acheter leur appui.
5) Le projet devra générer des retombées économiques et fiscales pour tout le Québec, notamment en matière de création d’emplois dans les régions où il sera installé. Encore une fois les retombées économiques, dossier qui est monté en épingle par TransCanada mais que plusieurs analystes indépendants revoient à la baisse pour parler de quelques dizaines d’emplois au terme de la construction de l’équipement. Rien pour écrire à sa mère. Et lorsqu’on tient compte des risques liés à un tel projet, les « avantages » nous semblent encore plus incertains.
6) TransCanada devra garantir un plan d’intervention et de mesures d’urgence selon les standards les plus élevés et assumer son entière responsabilité au niveau économique et environnemental en cas de fuite ou de déversement terrestre et maritime incluant un fonds d’indemnisation et une garantie financière prouvant sa capacité à agir en cas d’accident. Encore un domaine où les promoteurs peuvent promettre le meilleur et garantir la sécurité, jusqu’à la catastrophe et le moment où on s’avoue impuissant face à cette nouvelle « malchance ». Le passé nous démontre que chaque déversement pétrolier est problématique, qu’un tel déversement dans le fleuve comporte des enjeux supplémentaires, qu’un rapide état des lieux montre qu’aucune municipalité ne dispose des moyens et de l’expertise pour faire face à une catastrophe alors que plus de la moitié du Québec s’approvisionne en eau potable dans le fleuve. Bref que les risques vont bien au-delà des avantages anticipés et des garanties que pourrait fournir TransCanada.
7) Les approvisionnements en gaz naturel pour le Québec sont un enjeu qui devra être sécurisé avant d’approuver tout projet d’oléoduc. Ici on préserve les intérêts de Gaz Métro et d’Embridge par la bande. (1) Rien de bien édifiant. Choisir entre le pétrole lourd de l’Alberta et le gaz naturel de Gaz Métro, c’est un peu comme choisir si on veut mourir rapidement ou à petit feu.
Bref, si le gouvernement du Québec semble mettre son pied à terre face à TransCanada et à la volonté fédérale de passer outre les compétences du Québec en la matière, toutes les conditions adressées à TransCanada peuvent être contournées comme le savent si habilement le faire les industries du secteur des énergies fossiles qui ont un lourd passé d’« enfirouapage ». Le mouvement opposé au projet devra demeurer vigilant.
Les révélations sur la stratégie de communication de TransCanada
Greenpeace a rendu publics des documents qui font la démonstration des aspect les plus trompeurs de la campagne de TransCanada qui visent à faire passer ce projet abject pour un progrès essentiel. Ça démontre jusqu’où peut aller le lobby des énergies fossiles pour faire passer ses projets. Campagne de dénigrement des groupes écologistes et citoyens, mensonges éhontés sur plusieurs aspects du projet, notamment les retombées en matière d’emplois. Certains groupes soulignent que cette stratégie est appliquée depuis un certain temps déjà.
L’aspect grossier de la stratégie de TransCanada vient grossir le dossier noir de cette filière. Le doute s’installe dorénavant. Chaque interlocuteur et interlocutrice de ce lobby doit se poser la question : quelle est l’arnaque derrière chaque discours des représentantEs de cette industrie ? La crédibilité de ce discours vient d’en prendre pour son rhume dans l’opinion publique et c’est bien ainsi. Un sain réflexe d’auto-défense doit s’installer dans l’esprit de chaque citoyenNE lorsque confronté au projet des fossilifaires.
Le sondage des groupes écologistes auprès de la population québécoise apporte aussi de l’eau au moulin de l’opposition. 71% de la population désapprouvent le projet de port pétrolier à Cacouna et 87% réaffirment que le Québec a le droit de refuser le projet d’Énergie Est. Ces chiffres ont l’avantage d’être clairs. Une opposition massive est un rejet dans appel. Le gouvernement Couillard ne peut faire fi de cette réalité. Reste à développer cette opposition et l’amener à s’exprimer sous différentes formes et ainsi accentuer la pression sur le gouvernement Couillard qui ne reculera pas sans qu’une mobilisation citoyenne l’y contraigne. Et ce, sans parler du gouvernement fédéral qui regarde évoluer les choses et doit être préoccupé par les difficulté des libéraux provinciaux.
Autres accrocs pour le ministre
Une firme d’experts a indiqué que le passage vers la Rive-Sud, sous le fleuve, à la hauteur de Saint-Augustin, constitue une option « techniquement faisable, mais à haut risque » puisque jamais réalisée ailleurs dans le monde. Le projet « soulève énormément de questions sérieuses », s’est contenté de mentionner M. Heurtel. Même le maire Régis Labeaume, pourtant identifié comme complice du projet d’oléoduc ne se risque pas à appuyer cet aspect du projet. Toutefois, l ’opposition du maire ne semble que concerner l’endroit où l’oléoduc traversera le fleuve. Un « Pas dans ma cour » qui se fout du reste...
Plus globalement, il y a l’effet Lac-Mégantic. La catastrophe a frappé l’imaginaire des québécoises et des québécois. Elle leur a inculqué une bonne dose de scepticisme devant les discours du lobby des énergies fossiles. Elle a montré la complicité du gouvernement Harper avec cette industrie.
Tout cela démontre qu’il est possible de gagner ce combat. Qu’il est possible de faire reculer les grands lorsqu’on y met le poids nécessaire. Qu’une mobilisation citoyenne n’assure pas la victoire mais qu’elle est la condition essentielle pour y parvenir. Et surtout que les puissants et leurs complices dans les gouvernements, les chambres de commerce et les grandes entreprises qui veulent participer au buffet peuvent être jugés par la population qui, lorsqu’elle est suffisamment informée, n’est pas dupe au point d’avaler les couleuvres du lobby des énergies fossiles.
1-Enbridge détient 38,89% des parts de Gaz Métro. Les autres actionnaires de la compagnie sont Trencap, une filiale de la Caisse de dépôt et de placements du Québec, le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, le British Columbia Investment Management Corporation, le Régime de rentes du Mouvement Desjardins et le Régime de retraite de l’Université du Québec
http://www.corporatif.gazmetro.com/corporatif/profilsociete/fr/html/118_fr.aspx?culture=fr-ca