De quelle laïcité parlons-nous ?
La TCRI soutient la tenue d’un débat sur la laïcité. Nous trouvons néanmoins réducteur d’aborder la question de la laïcité simplement à travers les signes religieux, sous le couvert d’une supposée neutralité, alors que l’absence de signe religieux visible n’est associée en rien à une impartialité des individus. La neutralité n’est pas le fait d’attributs vestimentaires, mais plutôt d’éthique et de déontologie.
Qu’il y ait matière à discussion autour de la question de la laïcité, la TCRI en est convaincue. Néanmoins, ce débat n’a pas réellement eu lieu et n’a pas impliqué la société dans son ensemble et dans sa diversité.
Nous voulons en effet rappeler que la laïcité n’est pas une affaire d’immigration. Pourtant, c’est le ministre de l’Immigration qui porte ce projet de loi. Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y a pas que les personnes immigrantes qui pratiquent une religion ? Que 27 % des musulmans du Québec sont nés au Québec ? Que des personnes issues de confessions diverses vivent au Québec depuis plus de 100 ans ?
Il est difficile à entendre du gouvernement qu’il puisse parler de laïcité en disant ne pas stigmatiser alors que le dossier est étroitement lié à l’immigration. Le sujet mérite un débat plus large, porté par un comité interministériel, et impliquant la société québécoise tout entière, et non à huis clos.
Frein à l’accès à l’emploi
Nous constatons surtout que ce projet de loi vise à légitimer et légaliser une forme de discrimination en emploi, en déterminant qui a le droit ou non de travailler sur la base de l’appartenance religieuse. Cela va à l’encontre de la Charte des droits et libertés et les conséquences sur le terrain risquent d’être d’ampleur. Les chercheurs d’emplois concernés par les mesures seront devant moins d’occasions en matière d’emploi. Les personnes en emploi se verront limitées dans leur mobilité professionnelle, et dans des situations extrêmes risqueront de perdre leur travail.
Le secteur de l’éducation sera particulièrement touché. Les professionnels, privés de mobilité dans le public, se tourneront vers le secteur privé. Cela ne fera que renforcer un mouvement de ghettoïsation des secteurs privé et public. D’autant plus que les mesures seront appliquées différemment selon l’emploi occupé, au sein du même secteur.
Comment sera géré le fait que certains employés d’un même établissement ne soient pas assujettis aux mêmes obligations ?
Cela ouvrira la porte à plus de discrimination, créera des clivages dans les milieux de travail, et en définitive légitimera les inégalités sociales.
Ainsi, dans le milieu scolaire, les enfants seront tout de même en contact avec des personnes portant potentiellement des signes religieux, mais pas en position dite d’autorité. Quelles normes et quel message cela transmettra-t-il aux enfants en matière d’égalité des chances dans l’accès à l’emploi ?
Nous voulons d’autre part attirer l’attention sur le fait que ce projet de loi aurait un impact particulièrement disproportionné sur les femmes immigrantes qui sont déjà le groupe le plus marginalisé en matière d’accès à l’emploi et d’inclusion. Ces femmes font actuellement face à de nombreux obstacles et à une précarité supérieure au reste de la population. Cette loi rajoutera une contrainte et limitera les occasions de mobilité professionnelle, d’ascension sociale et d’intégration, en plus de l’impact psychologique et émotionnel que cela représentera d’être stigmatisée.
Fragilisation de la cohésion sociale
La TCRI craint également que le projet de loi n’encourage la montée des discours antiminorités et favorise les manifestations d’animosité envers les personnes immigrantes et racisées. Ce sont des familles, et notamment des enfants, qui risquent de subir la montée de la stigmatisation et des violences.
En orientant le débat spécifiquement sur une certaine partie de la population, ce projet de loi cristallise les tensions déjà existantes dans la société québécoise, renforce le clivage entre le « nous » et le « eux » et fragilise les liens sociaux et la cohésion. Cela va à l’encontre du développement du vivre ensemble et ne fait qu’attiser le sentiment de rejet et d’exclusion. Comment, dans ces conditions, encourager le développement d’un sentiment d’appartenance au Québec ?
En conclusion, la TCRI rappelle qu’elle est en faveur de la laïcité de l’État et d’un débat autour de sa mise en place. Néanmoins, c’est se tromper de débat aujourd’hui que de se concentrer sur les signes religieux quand nous constatons l’étendue du racisme systémique et de l’islamophobie qui persistent dans le quotidien de certaines personnes. Si débat il doit y avoir, abordons alors toutes ces questions-là, car aujourd’hui elles affectent encore et toujours un grand nombre de personnes dans la société québécoise.
Lida Aghasi
Yann Hairaud
Coprésidents de la TCRI
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