Or, cette victoire idéologique n’est pas sans conséquence. La société étasunienne est plus divisée que jamais. Il s’agit d’un schisme social qui transcende de loin le vieux clivage « Démocrate-Républicain ». On retrouve de profondes divergences au sein des organisations de gauche elles-mêmes qui donnent lieu à des conflits qui déchirent l’unité des groupes, tout en entravant la possibilité d’un éventuel « front de gauche » américain. Les organisations conservatrices n’y échappent pas elles non plus. À droite comme à gauche, il devient de plus en plus difficile de s’entendre sur la direction politique que doivent prendre les États-Unis au 21e siècle. En somme, nous entrons dans une période cruciale de la lutte des classes. Contrairement à ce que plusieurs veulent nous laisser croire, une véritable lutte idéologique – une lutte de position, comme le conceptualise Antonio Gramsci – bouleverse présentement la société étasunienne.
En juillet dernier, les Democratic Socialists of America (les Socialistes démocrates des États-Unis) ont tenu leur congrès annuel à Chicago. L’objectif principal de ce congrès était de consolider une base de 20 000 membres, répartis à travers les 50 états du pays, autour d’un plan stratégique voué à former une alliance avec d’autres groupes appartenant à la « troisième force politique » qui souhaite mettre un terme au bipartisme qui avantage la classe capitaliste. Avant les élections de 2016, ce parti comptait 6000 membres et peinait à maintenir une certaine forme de stabilité au sein de sa structure.
Selon un nombre important de socialistes, particulièrement ceux qui gravitent autour de la revue marxiste Jacobin, l’élection de Trump ouvre une fenêtre d’opportunité afin de convaincre la classe moyenne, les travailleurs, les étudiants et les intellectuels d’adhérer au socialisme. À partir de certaines interrogations - « Que reste-t-il de la gauche américaine ? », « Une révolution de gauche est-elle possible aux États-Unis ? » -, ils proposent maintenant un programme politique soutenu par un slogan qui ne laissera personne indifférent : « Prenons la ville ! ». Depuis la fin du 19e siècle, les municipalités des États-Unis constituent des espaces propices au développement du socialisme. Que ce soit Milwaukee, Seattle, San Francisco ou Chicago, les villes demeurent le meilleur terreau pour organiser la résistance au néoconservatisme. Cette mobilisation demeure à l’état embryonnaire, alors que les tactiques d’action directe – comme les manifestations contre la déportation des demandeurs d’asile, la marche des femmes à Washington et le combat que livrent les groupes populaires et les organisations syndicales – se poursuivent.
Bernie Sanders et son mouvement Our Revolution (« Notre Révolution) fait des petits. Ce bassin de militants progressistes qui cumule, encore aujourd’hui, 14 millions de personnes qui revendiquent notamment la gratuité scolaire pour les étudiants des universités d’état. Le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, avec l’appui de Bernie Sanders, a annoncé qu’une politique de gratuité scolaire serait adoptée dans sa juridiction, en 2018. La Californie est le prochain État dans la mire de Bernie Sanders.
Les villes-sanctuaires et l’État-sanctuaire du Vermont résistent comme elles peuvent aux menaces de Donald Trump qui fait planer la possibilité de retirer les subventions fédérales accordées à ces villes. Plusieurs d’entre elles sont dirigées par des maires afro-américains démocrates, soutenus par les socialistes et les progressistes de leurs conseils municipaux.
Le mouvement Black Lives Matter poursuit sa lutte pour l’émancipation de la communauté afr0-américaine qui souhaite maintenant s’attaquer aux symboles de l’esclavagisme. On ne dénombre pas moins de 1500 monuments qui célèbrent l’héritage de l’esclavage, partout aux États-Unis.
La « résistance » est devenue le mot d’ordre de la lutte contre Donald Trump et l’extrême-droite. Même les démocrates et Hillary Clinton tentent de s’imposer comme les véritables leaders de la résistance, pouvez-vous le croire ! Quelle hypocrisie de la part de ceux qui ont tout fait pour écarter Bernie Sanders lors de l’investiture démocrate, alors que lui seul aurait pu empêcher la victoire de Donald Trump. À ce titre, la plupart des militants socialistes progressistes considèrent maintenant les démocrates comme leurs principaux ennemis. Selon eux, les démocrates cherchent à brouiller les cartes, alors que les Républicains possèdent une stratégie claire : imposer à jamais leur hégémonie sur le système politique américain. Comme me le disait Kali Akuno (un militant noir de Jackson au Mississippi), lors de la tenue du Left Forum au mois de juin, « Depuis la Guerre civile, nous connaissons le discours et la stratégie des Républicains : perpétuer l’exploitation des Afro-Américains. Les Démocrates, quant à eux, ont la langue fourchue et mentent comme ils respirent. Suite à leur défaite présidentielle, leurs promesses seront démesurées, ils mentiront plus que jamais pour séduire les électeurs progressistes déçus qui leur ont tourné le dos. Il nous incombe alors de constituer notre propre autonomie, notre propre formation politique qui défendra les idées d’un véritable socialisme. »
(Nous commenterons davantage cette stratégie dans les blogues à venir.)
Un message, un commentaire ?