Jusqu’à la fin des années cinquante, sous Duplessis, la question nationale est posée sous l’angle de l’autonomie provinciale. Seule l’Alliance laurentienne soulève la question nationale sous l’angle indépendantiste. Il s’agit là cependant d’une reprise à peu près intégrale du projet indépendantiste des années 30 dont l’objectif est la création au Québec d’un État français, catholique et corporatiste. La Révolution tranquille et c’est là son effet central sur la question nationale du Québec, va produire une réorganisation complète de l’univers idéologique du nationalisme québécois et cela à deux niveaux :
1.0 De l’Autonomie provinciale à la Révolution tranquille
La Révolution tranquille aura d’abord pour effet de soulever de manière radicalement différente la question de l’autonomie provinciale. Sous Duplessis, où l’État n’intervient que très faiblement, l’autonomie provinciale sert à dissimuler et à justifier les pratiques réactionnaires du régime en matière sociale et économique. Loin de soutenir et de consolider les intérêts des entrepreneurs canadiens-français, l’autonomie provinciale a pour effet de les marginaliser davantage. Avec la Révolution tranquille, au contraire, on remet au premier plan le problème de l’utilisation de l’État québécois comme levier d’émancipation nationale des Québécoises et des Québécois et en particulier de cette moyenne bourgeoisie québécoise et de cette nouvelle petite bourgeoisie urbaine et professionnelle. La réorganisation de l’appareil d’État et le renforcement de l’intervention de l’État ont rapidement pour effet de réactiver le problème des compétences, des juridictions et des ressources de l’État québécois au sein de la structure fédérale. Il devient alors patent pour certaines personnes, au début des années soixante, que la modernisation politique au Québec s’ouvre de manière nécessaire sur une radicalisation de l’autonomie provinciale ; bref sur une plus ou moins grande souveraineté politique, à la surprise générale, les libéraux sont encore plus autonomistes que Duplessis. C’est d’ailleurs ce qui fera dire à Claude Morin : « En somme, la Révolution tranquille, c’était les positions de Duplessis, mais à la moderne. Nous ne faisions pas juste réclamer, nous agissions »[1]. Ajoutons que les libéraux de Jean Lesage vont revendiquer un « statut particulier » pour le Québec au sein de la fédération canadienne.
2.0 Révolution tranquille et radicalisation sur la gauche du mouvement indépendantiste
Le second effet de la Révolution tranquille sur l’univers idéologique du nationalisme québécois est de forcer les indépendantistes québécois à se réaligner à gauche.
Jusqu’au début des années soixante en effet, le projet de l’indépendance nationale du Québec est organiquement associé à une conception de droite de l’organisation sociale et politique. Le mouvement indépendantiste représentant tout au plus une critique de droite de l’autonomie provinciale de Duplessis (autonomie provinciale qui était à l’époque la forme dominante du nationalisme au Québec).
Avec la Révolution tranquille, le nationalisme traditionnel québécois se déplace au centre gauche… l’autonomie provinciale s’inscrivant désormais dans une problématique néo-libérale et néo-capitaliste (voir à ce sujet la thèse de Gilles Bourque citée dans le texte 3). Le nationalisme québécois cesse brusquement d’être identifié à un projet politique conservateur et traditionaliste pour être associé au progrès, à la modernité, à la rationalité, à l’efficacité administrative, à la planification économique et à l’interventionnisme dynamique de l’État (le Welfare State). Les « vrais Québécois » sont désormais des modernes et des progressistes.
3.0 Nationalisme et luttes de libération nationale
Cette modification du contenu idéologique du nationalisme aura pour effet de forcer les indépendantistes québécois qui continuent à se définir comme l’aile radicale du mouvement nationaliste (c’est-à-dire le RIN) à inscrire leur critique à gauche et dans le prolongement de la Révolution tranquille. La critique adressée aux autonomistes par les indépendantistes se voulant un effort de dépassement, d’approfondissement et de radicalisation des réformes réalisées sous la Révolution tranquille. Critique des limites de la Révolution tranquille, limites inscrites dans la structure fédérale au sein de laquelle s’insère l’État québécois. Mais il y a aussi une autre raison à ce virage à gauche des indépendantistes québécois. Au plan mondial, en effet, le nationalisme cesse avec la fin des années 50 d’être identifié avec une idéologie et une pratique de droite conservatrice comme dans les années trente et quarante (années qui ont terriblement marqué Pierre Elliot Trudeau et qui expliquent, en partie, son allergie viscérale à toute forme de nationalisme).
Les grandes luttes de libération nationale dans le tiers monde, en Afrique, en Algérie, à Cuba, au Vietnam, les luttes contre la présence impérialiste américaine dans certains pays en Amérique du Sud (Uruguay, Brésil, Chili, etc.) ont en effet pour résultat de donner un contenu ouvertement anti-impérialiste au nationalisme. Le nationalisme anticolonial du tiers monde se définissant directement comme synonyme de progrès, de modernité, de justice sociale, de liberté démocratique. Idéaux auxquels adhèrent plusieurs jeunes urbainEs professionnelLEs à cette époque. Idéaux qui vont également animer des jeunes qui vont adhérer au FLQ.
4.0 Le FLQ en tant que mouvement de résistance à diverses formes d’oppression (mouvement qui frappera un grand nœud) et le changement qui a suivi la Crise d’Octobre 70
Il faut voir, selon nous, le FLQ comme une réponse critique à un régime politique fondé sur l’oppression nationale des francophones minoritaires ; une réponse critique à la présence des symboles de la Couronne britannique ; une réponse critique à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 et aux politiques linguistiques du Gouvernement fédéral et de certaines entreprises relevant de la compétence exclusive de ce palier de pouvoir. À cette époque, le gouvernement fédéral et les entreprises privées relevant de sa juridiction prônaient l’unilinguisme anglais. Il s’agissait là d’une politique réelle d’oppression et de domination nationale à l’endroit des francophones. Cette fermeture vis-à-vis des francophones et l’exhibition de tristes symboles britanniques rappelant l’humiliante défaite des troupes françaises face aux troupes anglaises lors de la Guerre de Sept Ans au XVIIIe siècle serviront de détonateur à des éléments impatients d’obtenir les changements radicaux pour lesquels elles et ils militaient[2]. Une réponse critique également aux jugements iniques des tribunaux à l’endroit des prisonniers politiques ayant commis des gestes illégaux et explosifs au nom du FLQ.
Les agissements en lien avec ces réponses critiques frapperont un mur. Un mur qui est propre et spécifique au pouvoir étatique. Ce mur (ou ce nœud) a fallacieusement pour nom la « Raison d’État »[3] . Dans les faits, il s’agit plutôt d’une « déraison d’État » qui pour vaincre et venir à bout de certainEs de ses adversaires, de ses ennemiEs ou de ses opposantEs, amène les autorités politiques en place à déployer aveuglément certains des outils répressifs à sa disposition (proclamation de la Loi des mesures de guerre, déploiement des forces militaires armées, suspension des libertés civiles, arrestation arbitraire de masse et détention illégale). La Crise d’Octobre n’a pas abouti au résultat escompté par les membres des cellules Libération et Chénier. Les deux paliers de pouvoir (Ottawa et Québec) ont consenti, sur une heure de grande écoute à la télévision, à la lecture du Manifeste du FLQ et à accorder un sauf-conduit pour Cuba à la majorité des membres de la cellule Libération[4]. Il s’agit là de deux concessions mineures. Face aux autres revendications du FLQ, les dirigeantEs se montreront intraitables et opposeront une fin de non-recevoir. Bref, pour ce qui est des buts qui étaient visés par la cellule Libération, il n’y a eu aucun gain majeur, aucune victoire décisive du côté du FLQ. C’est plutôt le point de vue étatique qui l’a emporté. C’est plutôt dans le sillon de cette crise qu’il y a eu une transformation rapide d’une composante de notre société. Le changement est venu d’une source inattendue à l’époque. Les sept femmes de la cellule X du FLF ont profité du procès de Lise Balcer pour dénoncer et contester, en ne ménageant pas leurs mots, la loi qui empêchait les femmes d’être jurées[5]. Résultat : quelques mois plus tard, toujours en 1971, le gouvernement du Québec modifiera la loi pour autoriser dorénavant les femmes à faire partie d’un jury[6] . Comme quoi, l’action qui peut être qualifiée de révolutionnaire, comprise comme action qui provoque des bouleversements ou des changements rapides, réels et véritables dans les rapports sociaux (au niveau social, politique ou juridique), peut se réaliser par des moyens autres qu’explosifs ou terroristes.
Conclusion
Bref, une des grandes leçons que nous pouvons dégager de la Crise d’Octobre 1970 sur le plan politique est la suivante : dans le conflit permanent qui oppose les forces sociales et les forces politiques, c’est ultimement au groupe qui a entre ses mains les commandes étatiques d’exercer ce qui a pour nom l’arbitrage suprême. Les dirigeantEs politiques du gouvernement central (Ottawa) et provincial (Québec) ont adopté, lors de la Crise d’Octobre, une ligne de conduite en vertu de laquelle leur autorité ne se laisserait pas dominer par quiconque qui leur était extérieur. Le pouvoir étatique a montré, lors de ces événements tragiques, qu’il était un pouvoir souverain, capable d’organiser lui-même sa réponse aux demandes du FLQ et cette réponse excluait toute manifestation de subordination devant les membres des deux cellules qui sont entrées en conflit avec lui. La Crise d’Octobre 1970 a donné une occasion aux deux paliers de pouvoir pour afficher la puissance militaire armée à leur disposition et pour montrer qu’ils avaient le pouvoir d’utiliser la force coercitive et répressive pour imposer leur autorité et faire rayonner et triompher l’ordre, l’ordre voulu par les personnes aux commandes du pouvoir étatique. Un ordre politique qui n’est pas nécessairement, il est important de le préciser, immuable ou inébranlable. Tout dépend de la manière par laquelle les forces qui s’y opposent le contestent et l’affronte. Tout, comme dirait l’Autre, est dans la manière.
Après la Crise d’Octobre 70, ce sera au tour des questions suivantes à donner du fil à retordre aux dirigeantEs de la classe politique : la question des femmes, la question Autochtone au Canada et au Québec, la question des personnes racisées, la question étudiante, la question des personnes handicapéEs, la question de la condition réservée aux immigrantEs, la question de l’orientation sexuelle, sans parler des crises économiques qui se produisent et reproduisent infatigablement autour de chaque dix ans (si ce n’est pas moins), les crises sanitaires (les épidémies et la présente pandémie) et bien entendu la crise qui risque d’être fatale pour l’humanité : la crise écologique (une crise qui découle du mode de production productiviste et d’une logique du profit fondée sur l’extractivisme et le consumérisme tous azimuts) et nous en passons. Il s’agit là de problèmes dont la charge explosive est indéniable et pour lesquels la classe politique apporte, à l’occasion, des solutions dont la portée est, en règle générale, limitée.
Notre lecture critique des événements de la Crise d’Octobre 1970 nous amène à nuancer une affirmation qui semble avoir l’allure d’une vérité inamovible. Selon un adage bien connu, « En politique, tous les coups sont permis ». Il serait plus juste d’écrire qu’en politique, comme dans de nombreux autres domaines de la vie en société, il y a des personnes qui s’imaginent qu’elles ont le droit de commettre des gestes illégaux et, parce que tout serait permis en politique, leurs actes resteront impunis. Tel pourrait bien être le cas jusqu’à ce que des personnes, en position d’autorité, décident de les poursuivre devant les tribunaux. Il appartiendra alors aux juges en fonction de libérer ou de sanctionner les personnes accusées d’avoir posé des gestes illégaux. Les sanctions pourront s’inscrire dans les normes en vigueur ou avoir une portée dérisoire ou, à l’opposé, disproportionnée. C’est, comme l’écrivait si bien Jean de La Fontaine,
« Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
La Crise d’Octobre au cinéma ou en ligne…
Pour se faire une idée de la Crise d’Octobre, vu à travers le prisme de certains cinéastes, je vous recommande les trois films suivants : « Les Ordres » de Michel Brault, « Octobre » de Pierre Falardeau et « Les Rose » de Félix Rose. Ces films ont le mérite de s’inspirer des récits (ou de donner la parole à) des personnes qui ont été associées directement et volontairement ou involontairement à ces événements. Il s’agit là de productions cinématographiques probablement les plus vraisemblables. Elles ont été réalisées en se collant le plus près possible des événements réels. S’ajoute à ces trois œuvres, diverses productions audio ou audiovisuelles disponibles en ligne.
Nous reproduisons en annexe au présent texte Le manifeste du FLQ et les sept revendications mises de l’avant par la cellule Libération lors de l’enlèvement de James Richard Cross. Il est à souligner que les deux grandes revendications du FLQ (à savoir : l’indépendance du Québec et le socialisme) ne figurent pas dans cette liste publiée lors de l’enlèvement de James Richard Cross. Il est surtout question de la libération des 23 prisonniers politiques. En ce sens, la Crise d’Octobre apparaît comme un moment d’intensification d’une lutte dont l’objectif, à court terme, avait pour objectif la remise en liberté de 23 prisonniers politiques. Pour ce qui est des objectifs à long terme, le socialisme, celui-ci s’est évaporé complètement lors de l’implosion et de l’effondrement des régimes qui se qualifiaient de « Démocratie populaire » et pour ce qui est de l’indépendance du Québec, à vous de dire si le PQ, QS et le Bloc québécois y adhèrent toujours.
J’ajoute également un texte de Pierre Duchesne qui porte sur la Révolution tranquille (Annexe 3). Ce document a été rédigé pour l’Institut du Nouveau Monde. Il a longtemps été disponible en version numérique sur le site WEB de l’INM. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous le reproduisons intégralement, avec l’autorisation de l’auteur.
Yvan Perrier
16 octobre 2020
yvan_perrier@hotmail.com
1 http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/21197.html. Consulté le 26 septembre 2020.
2 Lors de la Crise d’octobre 1970, les revendications seront pour l’essentiel les suivantes : la lecture intégrale du Manifeste du Front de libération du Québec, la libération des 23 prisonniers politiques et le réembauche des « Gars de Lapalme ».
3 Raison d’État : Il s’agit d’une « considération d’intérêt public invoquée pour justifier une action illégale. » (1609). Rey, Alain (dir.). 1993. Dictionnaire historique de la langue française. Paris : Le Robert, p.736. La « Raison d’État » est un nom qui vise à masquer une pratique particulière, celle de la « déraison d’État ».
4 Seulement cinq des six membres de la cellule Libération du FLQ prendront le chemin de l’exil vers Cuba. Brodeur, Jean-Paul et Samuel Tanner. 2011. « La Crise d’octobre et les commissions d’enquête (1980) ». Criminologie, Volume 44, numéro 1, printemps 2011. https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2011-v44-n1-crimino1512029/1001602ar.pdf. Consulté le 15 octobre 2020.
5 Morasse, Catherine. 2019. « Ces Québécoises qui se sont tenues « Debouttes ! » ». Le Soleil, 4 mars 2019, https://www.lesoleil.com/arts/ces-quebecoises-qui-se-sont-tenues-debouttes-68fe048c66db41546f980c94f9ac9737 . Consulté le 16 octobre 2020.
6 Voir à ce sujet l’article de Micheline Dumont. 2010. « Le manifeste des femmes québécoises ». Le Devoir, 2 octobre 2010. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/297325/le-manifeste-des-femmes-quebecoises. Consulté le 14 octobre 2020 et également le texte suivant : http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/2326.html .
Le présent texte provient de mes notes de cours et s’appuie en grande partie sur les documents suivants :
Bachand, François Mario. 1971. Trois textes. Sans lieu. 191 p.
Bergeron, Gérard et Réjean Pelletier (dir). 1980. L’État du Québec en devenir. Montréal : Boréal express, 413 p.
Boismenu, Gérard. 1981. Le duplessisme : Politique économique et rapports de force, 1944-1960. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 553 p. http://classiques.uqac.ca/contemporains/boismenu_gerard/duplessisme_pol_econo/duplessisme_pol_econo.html. Consulté le 23 septembre 2020.
Brodeur, Jean-Paul et Samuel Tanner. 2011. « La Crise d’octobre et les commissions d’enquête (1980) ». Criminologie, Volume 44, numéro 1, printemps 2011. https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2011-v44-n1-crimino1512029/1001602ar.pdf. Consulté le 15 octobre 2020.
Comeau, Robert. 2017. « Des jugements iniques ont préparé la crise d’Octobre ». Le Devoir, 8 avril 2017. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/495933/il-y-a-50-ans-des-jugements-iniques-ont-prepare-la-crise-d-octobre. Consulté le 13 octobre 2020.
David, Hélène. 1975. « L’état des rapports de classes au Québec de 1945 à 1967 ». Sociologie et sociétés, VII, (2). Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, p. 33-66. http://classiques.uqac.ca/contemporains/david_helene/etat_rapports_de_classe/rapports_classe.html. Consulté le 23 septembre 2020.
Denis, Roch. 1979. Luttes de classes et question nationale au Québec : 1948-1968. Montréal\Paris : PSI-EDI, 601 p.
Dickinson, John-A et Brian Young. 2003. Brève histoire socio-économique du Québec. Québec : Septentrion, 455 p.
Duchesne, Pierre. 2010. « Il y a cinquante ans, la Révolution tranquille éclatait : les francophones prenaient le vrai pouvoir ». In L’état du Québec 2010. Le texte n’est plus disponible en ligne.
Dumont, Micheline. 2010. « Le manifeste des femmes québécoises ». Le Devoir, 2 octobre 2010. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/297325/le-manifeste-des-femmes-quebecoises. Consulté le 14 octobre 2020.
Fournier, Louis. 1998. FLQ : histoire d’un mouvement clandestin. Outremont : Lanctôt, 533 p.
Fournier, Louis. 2020. « En finir avec les mythes au sujet du FLQ et d’octobre 70 ». Le Devoir, 23 septembre 2020, p. A7.
Laurendeau, Marc. 1974. Les Québécois violents. Montréal : Les éditions du Boréal Express, 240 p.
Linteau, Paul-André, et.al.. 1989. Histoire du Québec contemporain : Le Québec depuis 1930. Montraél : Boréal, 834 p.
Morasse, Catherine. 2019. « Ces Québécoises qui se sont tenues « Debouttes ! » ». Le Soleil, 4 mars 2019, https://www.lesoleil.com/arts/ces-quebecoises-qui-se-sont-tenues-debouttes-68fe048c66db41546f980c94f9ac9737 . Consulté le 16 octobre 2020.
Nadeau, Jean-François. 2020. « Le FLQ sans frontières ». Le Devoir les samedi 26 et dimanche 27 septembre 2020, p. B-1 à B3.
Perrier, Yvan. 2017. « Au sujet de certaines formes de regroupements humains, de lieux d’activités économiques et d’État ». À bâbord, no. 71.https://www.ababord.org/Au-sujet-de-certaines-formes-de-regroupements-humains. Consulté le 12 octobre 2020.
Plusieurs auteurs. 1971. « Québec 70 : La réaction tranquille ». Socialisme québécois 21-22. Avril 1971. 209 p.
Plusieurs auteurs. 1984. Histoire du mouvement ouvrier au Québec : 150 ans de luttes. Montréal : CSN-CEQ, 328 p.
Rouillard, Jacques. 2004. Le syndicalisme québécois : Deux siècles d’histoire. Montréal : Boréal, 335 p.
Rouillard, Jacques. 2015. « Aux sources de la Révolution tranquille : le congrès d’orientation du Parti libéral du Québec du 10 et 11 juin 1938 ». Bulletin d’histoire du Québec, vol. 24 no 1, p. 125-158. https://www.erudit.org/fr/revues/bhp/2015-v24-n1-bhp02095/1033397ar/ . Consulté le 23 septembre 2020.
Roy, Fernande. 1993. Histoire des idéologies au Québec aux XIXe et XXe siècles. Montréal : Boréals express, 127 p.
Saint-Pierre, Céline. 2017. La première Révolution tranquille : Syndicalisme catholique et unions internationales dans le Québec de l’entre-deux-guerres. Montréal : Del Busso éditeur, 235 p.
Saint-Pierre, Céline et Jean-Pierre Warren. 2006. Sociologie et société québécoise : Présences de Guy Rocher. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 351 p.
Saulnier, Alain. 2020. « Qui a tué Mario Bachand ». Le Devoir, 4 octobre 2020, page B13.
Warren, Jean-Philippe. 2011. « À la défense des prisonniers politiques québécois : Autour du Comité d’aide au Groupe Vallières-Gagnon ». Bulletin d’histoire politique, 19 (2), 53-71. https://www.erudit.org/en/journals/bhp/2011-v19-n2-bhp04182/1054890ar.pdf. Consulté le 14 octobre 2020.
Annexe 1 :
Front de libération du Québec
Le Front de Libération du Québec n’est pas le messie, ni un Robin des Bois des temps modernes. C’est un groupement de travailleurs québécois qui sont décidés à tout mettre en oeuvre pour que le peuple québécois prenne définitivement en mains son destin.
Le Front de Libération du Québec veut l’indépendance totale des Québécois, réunis dans une société libre et purgée à jamais de sa clique de requins voraces, les « big-boss » patronneux et leurs valets qui ont fait du Québec leur chasse-gardée du cheap labor et de l’exploitation sans scrupules.
Le Front de Libération du Québec n’est pas un mouvement d’agression, mais la réponse à une agression, celle organisée par la haute finance par l’entremise de marionnettes des gouvernements fédéral et provincial (le show de la Brinks, le bill 63, la carte électorale, la taxe dite de « progrès social » (sic), power corporation, l’assurance-médecin, les gars de Lapalme...).
Le Front de Libération du Québec s’auto-finance d’impôts volontaires (sic) prélevés à même les entreprises d’exploitation des ouvriers (banques, compagnies de finance, etc.).
Les puissances d’argent du statu quo, la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple, ont obtenu la réaction qu’ils espéraient, le recul plutôt qu’un changement pour lequel nous avons travaillé comme jamais : pour lequel on va continuer à travailler.
René Lévesque, 29 avril 1970.
Nous avons cru un moment qu’il valait la peine de canaliser nos énergies, nos impatiences comme le dit si bien René Lévesque, dans le Parti québécois, mais la victoire libérale montre bien que ce qu’on appelle démocratie au Québec n’est en fait et depuis toujours que la « democracy » des riches. La victoire du Parti libéral en ce sens n’est en fait que la victoire des faiseurs d’élections Simard-Cotroni. En conséquence, le parlementarisme britannique, c’est bien fini, et le Front de Libération du Québec ne se laissera jamais distraire par les miettes électorales que les capitalistes anglo-saxons lancent dans la basse-cour québécoise à tous les quatre ans. Nombre de Québécois ont compris et ils vont agir. Bourassa dans l’année qui vient va prendre de la maturité : 100 000 travailleurs révolutionnaires organisés et armés !
Oui il y en a des raisons à la victoire libérale. Oui il y en a des raisons la pauvreté, au chômage, aux taudis, au fait que vous M. Bergeron de la rue Visitation et aussi vous M. Legendre de Ville de Laval qui gagnez 10 000 dollars par année, vous ne vous sentiez pas libres en notre pays le Québec.
Oui il y en a des raisons, et les gars de la Lord les connaissent, les pêcheurs de la Gaspésie, les travailleurs de la Côte Nord, les mineurs de la Iron Ore, de Québec Cartier Mining, de la Noranda les connaissent eux aussi ces raisons. Et les braves travailleurs de Cabano que l’on a tenté de fourrer une fois de plus en savent des tas de raisons.
Oui il y en a des raisons pour que vous, M. Tremblay de la rue Panet et vous, M. Cloutier qui travaillez dans la construction à Saint-Jérôme, vous ne puissiez vous payer des « vaisseaux d’or » avec de la belle zizique et tout le fling flang comme l’a fait Drapeau-l’aristocrate, celui qui se préoccupe tellement des taudis qu’il a fait placer des panneaux de couleurs devant ceux-ci pour ne pas que les riches touristes voient notre misère.
Oui il y en a des raisons pour que vous Madame Lemay de St-Hyacinthe vous ne puissiez vous payer des petits voyages en Floride comme le font avec notre argent tous les sales juges et députés.
Les braves travailleurs de la Vickers et ceux de la Davie Ship les savent les raisons, eux à qui l’on n’a donné aucune raison pour les crisser à la porte. Et les gars de Murdochville que l’on a écrasés pour la seule et unique raison qu’ils voulaient se syndiquer et à qui les sales juges ont fait payer plus de deux millions de dollars parce qu’ils avaient voulu exercer ce droit élémentaire. Les gars de Murdochville la connaissent la justice et ils en connaissent des tas de raisons.
Oui il y en a des raisons pour que vous, M. Lachance de la rue Ste-Marguerite, vous alliez noyer votre désespoir, votre rancoeur et votre rage dans la bière du chien à Molson. Et toi, Lachance fils avec tes cigarettes de mari...
Oui il y en a des raisons pour que vous, les assistés sociaux, on vous tienne de génération en génération sur le bien-être social. Il y en a des tas de raisons, les travailleurs de la Domptar à Windsor et à East Angus les savent. Et les travailleurs de la Squibb et de la Ayers et les gars de la Régie des Alcools et ceux de la Seven Up et de Victoria Precision, et les cols bleus de Laval et de Montréal et les gars de Lapalme en savent des tas de raisons.
Les travailleurs de Dupont of Canada en savent eux aussi, même si bientôt ils ne pourront que les donner en anglais (ainsi assimilés, ils iront grossir le nombre des immigrants Néo-Québécois, enfants chéris du bill 63).
Et les policiers de Montréal auraient dû les comprendre ces raisons, eux qui sont les bras du système ; ils auraient dû s’apercevoir que nous vivons dans une société terrorisée parce que sans leur force, sans leur violence plus rien ne fonctionnait le 7 octobre !
Nous en avons soupé du fédéralisme canadien qui pénalise les producteurs laitiers du Québec pour satisfaire aux besoins anglo-saxons du Commonwealth ;
qui maintient les braves chauffeurs de taxis de Montréal dans un état de demi-esclaves en protégeant honteusement le monopole exclusif de l’écoeurant Murray-Hill et de son propriétaire-assassin Charles Hershorn et de son fils Paul qui, à maintes reprises, le soir du 7 octobre, arracha des mains de ses employés le fusil de calibre 12 pour tirer sur les chauffeurs et blesser ainsi mortellement le caporal Dumas, tué en tant que manifestant ;
qui pratique une politique insensée des importations en jetant un à un dans la rue les petits salariés des Textiles et de la Chaussure, les plus bafoués au Québec, aux profits d’une poignée de maudits « money-makers » roulant Cadillac ;
qui classe la nation québécoise au rang des minorités ethnique du Canada.
Nous en avons soupé, et de plus en plus de Québécois également, d’un gouvernement de mitaines qui fait mille et une acrobaties pour charmer les millionnaires américains et les suppliant de venir investir au Québec, la Belle Province où des milles carrés de forêts remplies de gibiers et de lacs poissonneux sont la propriété de ces mêmes seigneurs tout-puissants du XXe siècle ;
d’un hypocrite à la Bourassa qui s’appuie sur les blindés de la Brinks, véritable symbole de l’occupation étrangère au Québec, pour tenir les pauvres « natives » québécois dans la peur de la misère et du chômage auxquels nous sommes tant habitués ; de nos impôts que l’envoyé d’Ottawa au Québec veut donner aux boss anglophones pour les « inciter », ma chère, à parler français, à négocier en françai : repeat after me : « cheap labor main-d’oeuvre à bon marché » ;
des promesses de travail et de prospérité, alors que nous serons toujours les serviteurs assidus et les lèche-bottes des big-shot, tant qu’il y aura des Westmount, des Town of Mount-Royal, des Hamstead, des Outremont, tous ces véritables châteaux forts de la haute finance de la rue St-Jacques et de Wall-Street, tant que nous tous, Québécois, n’aurons pas chassé par tous les moyens, y compris la dynamite et les armes, ces big-boss de l’économie et de la politique, prêts à toutes les bassesses pour mieux nous fourrer.
Nous vivons dans une société d’esclaves terrorisés, terrorisés par les grands patrons, Steinberg, Clark, Smith, Neople, Timmins, Geoffrion, J.L. Lévesque, Hershorn, Thompson, Nesbitt, Desmarais, Kierans (à côté de ça, Rémi Popol la garcette, Drapeau le dog, Bourassa le serin des Simard, Trudeau la tapette, c’est des peanuts !)
Terrorisés par l’Église capitaliste romaine, même si ça paraît de moins en moins (à qui appartient la Place de la Bourse ?), par les paiements à rembourser la Household Finance, par la publicité des grands maîtres de la consommation, Eaton, Simpson, Morgan, Steinberg, General Motors... ; terrorisés par les lieux fermés de la science et de la culture que sont les universités et par leurs singes-directeurs Gaudry et Dorais et par le sous-singe Robert Shaw.
Nous sommes de plus en plus nombreux à connaître et à subir cette société terroriste et le jour s’en vient où tous les Westmount du Québec disparaîtront de la carte.
Travailleurs de la production, des mines et des forêts ; travailleurs des services, enseignants et étudiants, chômeurs, prenez ce qui vous appartient, votre travail, votre détermination et votre liberté. Et vous, les travailleurs de la General Electric, c’est vous qui faites fonctionner vos usines ; vous seuls êtes capables de produire ; sans vous, General Electric n’est rien !
Travailleurs du Québec, commencez dès aujourd’hui à reprendre ce qui vous appartient ; prenez vous-mêmes ce qui est à vous. Vous seuls connaissez vos usines, vos machines, vos hôtels, vos universités, vos syndicats ; n’attendez pas d’organisations-miracle !
Faites vous-mêmes votre révolution dans vos quartiers, dans vos milieux de travail. Et si vous ne le faites pas vous-mêmes, d’autres usurpateurs technocrates ou autres remplaceront la poignée de fumeurs de cigares que nous connaissons maintenant et tout sera à refaire. Vous seuls êtes capables de bâtir une société libre.
Il nous faut lutter, non plus un à un, mais en s’unissant, jusqu’à la victoire, avec tous les moyens que l’on possède comme l’ont fait les Patriotes de 1837-1838 (ceux que notre sainte mère l’Église s’est empressée d’excommunier pour mieux se vendre aux intérêts britanniques).
Qu’aux quatre coins du Québec, ceux qu’on a osé traiter avec dédain de lousy French et d’alcooliques entreprennent vigoureusement le combat contre les matraqueurs de la liberté et de la justice et mettent hors d’état de nuire tous ces professionnels du hold-up et de l’escroquerie : banquiers, businessman, juges et politicailleurs vendus...
Nous sommes des travailleurs québécois et nous irons jusqu’au bout. Nous voulons remplacer avec toute la population cette société d’esclaves par une société libre, fonctionnant d’elle-même et pour elle-même, une société ouverte sur le monde.
Notre lutte ne peut être que victorieuse. On ne tient pas longtemps dans la misère et le mépris un peuple en réveil.
Vive le Québec libre !
Vive les camarades prisonniers politiques !
Vive la révolution québécoise !
Vive le Front de Libération du Québec !
https://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/200909/08/01-899812-le-manifeste-du-flq.php . Consulté le 12 octobre 2020.
Annexe 2
Les sept revendications du FLQ
– la libération de 23 prisonniers politiques nommés dans le communiqué (tous des membres ou des sympathisants du FLQ) ;
– 500 000 $ en lingots d’or ;
– un avion pour amener les kidnappeurs à Cuba ou en Algérie ;
– la réembauche par Postes Canada de 400 employés mis à pieds par l’entreprise Lapalme (un conflit syndical entre le gouvernement fédéral et des affiliés de la CSN qui a duré deux ans) ;
– la publication des noms des informateurs ayant permis à la police d’appréhender les membres d’une autre cellule du FLQ ;
– la publication dans les journaux et la lecture à la radio et à la télé du Manifeste du FLQ ;
– la fin des actions policières en lien avec l’enlèvement de James Richard Cross.
https://lactualite.com/societe/octobre-1970-chronologie-dune-crise/. Consulté le 12 octobre 2020.
Annexe 3
Le texte qui suit est reproduit avec l’autorisation de l’auteur
Il y a cinquante ans, la Révolution tranquille éclatait : les francophones prenaient le vrai pouvoir.
Le 22 juin 1960, l’élection de Jean Lesage comme nouveau premier ministre entraîne le Québec tout entier au cœur d’une pléiade de réformes qui vont changer le destin de la nation. La société québécoise vit une véritable révolution, mais menée sans violence et de façon démocratique, ce pourquoi elle a été qualifiée de « tranquille ». En six ans, le pouvoir économique se déplace. Il glisse des mains de la minorité anglophone pour se retrouver, en bonne partie entre celles de la majorité francophone. L’Église, en pleine mutation, se retire de l’administration des hôpitaux et des écoles. L’État contemporain du Québec qui naît, va dorénavant prendre en charge ces institutions.
Les « Canadiens français » deviennent des « Québécois ». Des chansonniers se réapproprient la culture, la langue française et le drapeau québécois. La France du général de Gaulle vient s’excuser auprès des Québécois pour les avoir abandonné il y a deux siècles. L’élan donné par la Révolution tranquille est tel, que tout devient possible…
Il y a cinquante ans, le Québec connaissait une formidable accélération de son histoire. Déjà, sous le régime de Maurice Duplessis et de l’Union nationale, dans les années cinquante, le Québec commençait à s’activer. Grâce à l’impôt provincial arraché d’Ottawa, la province se donnait un pouvoir de taxation qui lui permettrait d’enclencher des réformes. Et malgré un système de patronage étouffant, le gouvernement Duplessis augmentait à la fin de son dernier mandat les sommes d’argent consacrées à l’éducation. Un effort toutefois insuffisant et tardif. À l’époque les jeunes francophones du Québec fréquentaient moins l’école que les jeunes noirs américains, pourtant aux prises avec de solides problèmes sociaux.
Jean Lesage, le 19e premier ministre du Québec, est aujourd’hui reconnu comme étant le père de la Révolution tranquille. Cet homme à la stature imposante, éloquent, grand travailleur, était de nature conservatrice. Celui qui aurait dû se méfier de ses ministres qui voulaient tout casser comme René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie et Éric Kierans, s’est révélé très favorable aux changements. « Le grand mérite de Jean Lesage, résume Claude Morin, son premier conseiller économique, a été de permettre la Révolution tranquille et non de l’inventer. »
Jean Lesage, comme un grand leader, a su écouter puis a tranché. Il a donné aux Québécois un État moderne et puissant. Cela n’allait pas de soi, écrit le journaliste André Laurendeau dans Le Devoir du 3 février 1961 : « Nous nous méfions de l’État parce que, longtemps, ce fut l’Autre… L’État fut chez nous, durant un siècle, l’arme du vainqueur. » Jean Lesage a indiqué aux Québécois la voie à suivre : « L’État québécois est le point d’appui collectif de la communauté canadienne-française, dit-il devant des enseignants le 25 mars 1961. L’État québécois n’est pas un étranger parmi nous. Allons-nous le comprendre ! C’est à nous ! Il est à nous ! Il nous appartient et il émane de nous. »
La transformation la plus révolutionnaire que Jean Lesage a permis fut la création du ministère de l’Éducation. Après avoir mis sur pied une commission royale d’enquête sur l’enseignement, il annonce la formation du premier ministère de l’Éducation de l’histoire du Québec en 1964. Dorénavant, les écoles seront sous la tutelle de l’État et non des communautés religieuses. L’État conserve cependant le caractère confessionnel de ses écoles. Le ministre Paul Gérin-Lajoie fait passer la fréquentation scolaire obligatoire de 14 à 16 ans. L’enseignement devient gratuit à tous les niveaux. Les CEGEP et le réseau de l’Université du Québec suivront.
En 1962, le recensement du taux de scolarité présente de noires statistiques. 54% des adultes de plus de 25 ans n’ont pas dépassé la sixième année. Les Canadiens français du Québec sont les plus illettrés du Canada et des États-Unis. « On a fait des choses folles, mais extraordinaires en même temps, rappelle Jacques Parizeau alors jeune révolutionnaire tranquille. On a triplé le nombre d’élèves au secondaire en cinq ans. On a loué des cinémas désaffectés, des entrepôts, n’importe quoi ! », relate-t-il. « À Trois-Rivières, il y avait une grosse demande pour les soudeurs. Il y avait des cours de soudure qui se donnaient à partir de minuit le soir parce que les hommes travaillaient le jour. C’était le seul moment que l’on avait pour leur donner des cours ! Je crois que l’on a sauvé la modernité du Québec pendant ces années-là », raconte Jacques Parizeau la biographie qui lui est consacrée[7].
Le nombre d’élèves qui s’engagent dans des études post-secondaires au Québec s’accroît dès lors à un rythme affolant. De 40 000 en 1967, ils passent à 112 000 étudiants en 1974. Le Québec bat tous les records. C’est sans commune mesure avec ce qui se passe dans le reste du Canada, rapporte l’économiste Pierre Fortin, auteur d’une étude à ce sujet[8]. En 1961, 70% de la population du Québec ne détient aucun diplôme. En 2008, ils ne sont plus que 11%, précise encore Pierre Fortin. La cohorte québécoise née en 1966 a dépassé en scolarisation la cohorte ontarienne du même âge. Cinquante ans après la Révolution tranquille, le Québec dépasse toutes les provinces canadiennes et les États-Unis aux chapitres des années de scolarisation.
D’autres réformes du gouvernement libéral de Jean Lesage vont s’attaquer à la pauvreté vécue les Canadiens français. À la fin des années soixante, une étude réalisée pour la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) révèle qu’en 1961 tous les groupes ethniques au Québec ( britannique, juif, russe, allemand, polonais, ukrainien, etc…) à l’exception des Italiens et des autochtones ont un salaire moyen plus élevé que… les francophones ! « Né pour un petit pain... », « Les Canadiens français sont partout en état d’infériorité », titre le journal La Presse qui publie les conclusions alarmantes de cette étude le 26 octobre 1968. « Il n’est pas rentable de s’assimiler au groupe francophone », affirme le journal. La pauvreté relative des Québécois est clairement mesurée. Les Canadiens français sont plus nombreux dans les emplois inférieurs et presque absents des postes rentables et influents.
Dans bien des secteurs, comme celui du textile, de la forêt et des pâtes à papier, les entreprises détenues pas des anglo-saxons ont développé une approche qui exclu les Canadiens français des centres de décision. Ces entreprises s’assurent que l’ensemble des Canadiens français ne puissent détenir un emploi supérieur à celui du grade de contremaître.
Dans le domaine financier, c’est pire encore. L’État du Québec est dans une situation de soumission totale. Pour financer ses nombreuses réformes le gouvernement est à genoux devant son banquier. Or, le banquier qui finance l’État prend la forme d’un syndicat financier. Il est dirigé par la firme A.E. Ames & Co. et s’appuie sur la puissance de la Banque de Montréal. Sous l’autorité de cette direction à deux têtes, une multitude de maisons de courtage se partagent la vente des obligations gouvernementales. Ce système est en place depuis des décennies. Il ne souffre aucune concurrence. L’influence anglo-saxonne est indiscutable. Douglas Chapman, vice-président de A.E. Ames & Co., dirige les destinées du syndicat financier. Il dicte au gouvernement québécois, en anglais, les conditions d’emprunt. L’essentiel des commissions réalisées sur les émissions d’obligations est versé à Ames & Co. et à la Banque de Montréal. En queue de peloton, il y a bien quelques firmes de courtages canadienne-française, mais qui se contente de grenailles.
Jean Campeau qui travaille alors chez René T. Leclerc à la fin des années cinquante se souvient des réunions du syndicat financier présidées par Douglas Chapman. « Grand, large, à la voix rauque, Douglas Chapman arrivait à la réunion de financement. Il avait déjà trouvé le montant du financement, déterminé le prix et prévu le rendement. Il criait : Someone disagrees with that ?! » Le silence le plus complet se faisait entendre. « C’était une parfaite domination, non contestée, raconte Jean Campeau. C’était l’époque où Chapman faisait ses farces plates sur les francophones. Nous devions l’écouter sans réagir. » Ames & Co. contrôle les comptes des sociétés les plus influentes du monde des affaires au Canada : Bell Canada, le Royal Trust, le Crédit foncier franco-canadien, le Canadien Pacifique, le Canadien National, la Banque de Montréal, etc… C’est le même argent qui nourrit les partis politiques. Pour un premier ministre, éviter ou contrer le syndicat financier aboutit inévitablement à une défaite électorale. Maurice Duplessis l’apprend à ses dépends en 1939… ce qui l’amène par la suite à emprunter le moins possible, restreignant ainsi la capacité de l’État à entreprendre des réformes.
Jean Lesage n’a pas l’intention de reproduire la stratégie financière de Maurice Duplessis. Il a décidé de changer les choses. Celui qui a été ministre à Ottawa, est un initié. Les arcanes du pouvoir politique n’ont plus de secrets pour lui. Il connaît le mode de fonctionnement de l’empire financier et a bien l’intention de faire de l’État du Québec un acteur du monde économique canadien. Il va donc permettre la création d’une caravane de Sociétés d’État afin de redonner le pouvoir économique à la majorité francophone.
À l’été 1962, en dépit de l’opposition du syndicat financier, il autorise la création de la Société générale de Financement. Le mandat de la SGF, déclare Jean Lesage, consiste à avancer des fonds à des entreprises et à participer à la gestion de celle-ci en souscrivant à leur capital-action. Un an auparavant, le 5 juillet 1962, René Paré qui a présidé à la fondation de la SGF écrivait au premier ministre pour lui expliquer que « si nous voulons que le groupe (canadien français) ait sa civilisation et sa culture propres, il est extrêmement important qu’il se donne ses propres sociétés économiques, conduites par les siens et menées à la française. La SGF n’a pas d’autre raison d’être. »
Quand René Lévesque, l’ancien journaliste devenu ministre, tente de convaincre Jean Lesage de nationaliser les compagnies d’électricité pour redonner aux Québécois cette ressource renouvelable, il se bute d’abord à un mur d’hésitation. Parmi les entreprises à acheter, la plus importante, la Shawinigan Water & Power, est détenue par Peter Thomson de Power Corporation. Le même Peter Thomson gère la caisse électorale du Parti libéral du Québec… Jean Lesage ne peut l’ignorer. Lors du Conseil des ministres du 29 mai 1962, le premier ministre fait remarquer à ses collègues qu’il n’y a presque plus d’activités sur le marché des obligations. Le syndicat financier montre ses dents… Il conseille à son bouillant ministre des Richesses naturelles de s’abstenir de faire des déclarations publiques sur la nationalisation possible de la Shawinigan Water & Power. Le 22 juin 1962, Jean Lesage informe son Conseil des ministres au sujet d’un groupe financier qui l’a menacé de ne pas réaliser un emprunt de 75 millions du gouvernement du Québec, et ce, tant que la possibilité de nationaliser la Shawinigan Water & Power sera dans l’air. Il s’agit en fait de la First Boston, le partenaire américain de la Banque de Montréal et de Ames & Co, les co-dirigeant du syndicat financier.
Les crocs de la finance enserrent les mollets de Jean Lesage, mais celui-ci décide quand même d’aller de l’avant et de nationaliser les onze compagnies hydroélectriques du Québec. Il déclenche une élection sur ce thème. « Notre clef, au Québec, c’est l’électricité, déclare Jean Lesage le 30 septembre 1962. Nous possédons, comme territoire, une puissance énorme. J’ai dit comme territoire parce que comme peuple, nous sommes bien pauvres. (…) L’époque du colonialisme économique est révolue. Nous marchons vers la libération ! C’est maintenant ou jamais. Soyons maîtres chez nous ! »
Jean Lesage remporte l’élection du 14 novembre 1962. Sa majorité passe de 51,3 % (1960) à 56,5 % des votes exprimés. Après une telle victoire, le père de la Révolution tranquille procède à l’achat des entreprises hydroélectrique. Hydro-Québec prend possession des actifs des compagnies privées le 30 avril 1963. À la tête de ces sociétés, les nouveaux présidents, tous des francophones, remplacent des dirigeants qui étaient auparavant des unilingues anglophones. Le changement de la garde est radical.
C’est l’ardeur et l’intelligence d’une poignée de jeunes technocrates, de conseillers et de hauts fonctionnaires qui a aussi rendu possible la Révolution tranquille. Parmi eux figure : Arthur Tremblay, premier sous-ministre à l’Éducation, Claude Morin, conseiller de Jean Lesage et fondateur du ministère des affaires fédérales-provinciales, Michel Bélanger et André Marier, conseillers de René Lévesque, Rock Bolduc, grand bâtisseur de la fonction publique, Claude Castonguay, un des premiers actuaires francophones, et quelques autres.
L’économiste Jacques Parizeau fait partie de cette liste à titre d’architecte en chef de la Caisse de dépôt et placement du Québec. C’est à lui que revient l’idée de doter l’État du Québec d’une caisse centrale qui regrouperait des fonds gérés par l’État. Dispersés, ces fonds n’avaient pas d’impact sur le plan économique. En les fusionnant, ils formeraient une masse critique permettant au ministère des Finances d’acheter des obligations du gouvernement, d’orienter le développement économique et surtout de mettre fin au monopole du syndicat financier qui a tenté de faire chanter le gouvernement Lesage lors de la création de la SGF et au moment de la nationalisation de l’électricité.
Le Régime des rentes du Québec, orchestrée cette fois par André Marier, constituera le plus important fonds de la Caisse. Dorénavant, une partie non négligeable de l’épargne des Québécois sera canalisée vers son État national. Le 13 septembre 1963, Jean Lesage déclare : « Notre entreprise de libération économique ne peut s’accomplir vraiment si le peuple du Québec demeure étranger aux choix qui orientent l’utilisation de ses épargnes. Les épargnes ne doivent pas être drainées vers des centres où les décisions ne sont pas prises en fonction des intérêts économiques des nôtres. » Les grandes compagnies d’assurances canadiennes saisissent très bien… et contre-attaquent. W.M. Anderson, président de la North American Life Assurance Company, affirme que le projet de caisse de retraite du Québec se compare aisément au projet de Bismarck qui emplissait la caisse du roi de Prusse afin d’armer son pays en prévision de la guerre. Quant à la ministre fédérale de la Santé et du Bien-être social, Judy LaMarsch, elle s’inquiète de la puissance que tant d’argent pourrait conférer au Québec : « En contrôlant les capitaux d’investissement, le Québec serait en position de dominer les affaires. On risquerait de déboucher sur une sorte de national-socialisme, tel qu’il s’exerçait dans l’Allemagne nazie[9]. »
Malgré toutes ces pressions, Jean Lesage se laisse convaincre par ses conseillers et ministres de l’utilité d’une Caisse de dépôt. Après une conférence fédérale-provinciale orageuse à Québec en mars 1964, le gouvernement fédéral de Lester B. Pearson lâche prise et reconnaît au Québec le droit de se doter de son propre régime de retraite. Le Québec se retire de 29 programmes conjoints avec le fédéral et obtient une compensation fiscale de 218 millions. C’était l’époque où le Québec gagnait contre Ottawa…
Comme toutes les périodes de changements rapides, la Révolution tranquille compte son lot d’erreurs et de mauvais calculs, mais l’ampleur des réformes sur une aussi courte période de temps et ses effets structurants sur la société québécoise sont telle que la Révolution tranquille, cinquante ans plus tard, peu être présenté aux nouvelles générations comme un chantier aux proportions colossales qui a fait sortir de la pauvreté des millions de Québécois.
En 1960, une partie de l’élite canadienne-française, la plus talentueuse, a décidé de se consacrer au bien commun et de mettre fin à la domination anglo-saxonne sur la majorité francophone. L’économiste Pierre Fortin remarque avec justesse qu’après 100 ans de sur-place relativement à l’Ontario de 1860 à 1960, les progrès économiques accomplis par le Québec depuis la Révolution tranquille sont notables. L’écart entre le Québec et l’Ontario en ce qui concerne le revenu intérieur par habitant est passé de 20.4 points de pourcentage en 1961 à 7 points en 2008. En 1961, faut-il le rappeler, le Canadien français gagnait 35% de moins que le Canadien anglais... Grâce à la Révolution tranquille, le Québec n’a pas raté le XXe siècle et a pu entrer dans le XXIe siècle comme un État contemporain, développé et riche.
Pierre Duchesne,
Québec, le 26 juillet 2009
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