Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Après le lancement péquiste, le complément libéral

Cimenterie de Port-Daniel : le gouvernement Couillard au secours de la famille Beaudoin

Le 29 juin dernier, le gouvernement Couillard annonçait que les travaux de construction de la cimenterie coûteraient 450 M$ de plus que les 1,1 milliard$ prévus , assurant du même souffle que le projet allait tout de même de l’avant. La ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation Dominique Anglade avait affirmé (1) que son gouvernement n’investira pas de fonds publics supplémentaires dans le projet. Voilà que la Caisse de dépôt et placement du Québec doit de nouveau voler au secours du projet et en prend le contrôle en y injectant 125 millions$ supplémentaires. Le projet initié par le PQ en 2014 (2) puis repris au vol par le PLQ (3) est maintenant financé à hauteur de 55% par des fonds publics par le biais d’Investissement Québec et de la Caisse de dépôt et placement. Un autre bel exemple de « l’efficacité » du Québec inc.

Il s’agit aussi d’un important recul dans la lutte aux émissions de GES, la cimenterie deviendra le plus important pollueur du Québec après sa mise en opération. Et de nouveau l’État québécois doit ramasser les pots cassés. Comme à l’habitude, on socialise les pertes tout comme on privatise les profits.

En 2014, la première ministre Marois avait promis la création de 2300 emplois au cours de la mise en chantier ainsi que 400 emplois permanents à compter de 2016. Nous sommes loin du compte. On parle maintenant d’une centaine d’emplois directs et de 300 à 400 emplois durant le chantier de construction. Le député péquiste Nicolas Marceau, ministre des Finances et de l’économie du gouvernement Marois de 2012 à 2014, parlait de« risques qui valent la peine d’être pris », que Cimenterie de Port-Daniel est « un bon projet », appuyé par des investisseurs « sérieux » et qui repose sur un montage financier « solide ». De toute la députation péquiste, seule Martine Ouellet a osé émettre un bémol.... une fois dans l’opposition. Si ce n’était des pertes potentielles pour les contribuables et les retraitéEs québécois, on pourrait presque en rire.

Ainsi, la Caisse de dépôt et placement devient le maître d’oeuvre du projet. « Une nouvelle administration s’est installée pour remettre le projet sur les rails, et elle a toute l’expertise opérationnelle pour le faire », a assuré le président de la CDPQ, Michael Sabia. Sa mise de fonds atteint 265 millions. De plus, BlackRock entre dans le projet en finançant une débenture de 125 millions. L’actionnaire principal de la cimenterie était une coentreprise, Beaudier Ciment, dont l’actionnaire majoritaire était jusqu’à aujourd’hui la famille Beaudoin-Bombardier et l’actionnaire minoritaire, la Caisse. « Afin de régler les problèmes d’exécution, la Caisse a conclu une entente avec Beaudier afin de changer le contrôle, au bénéfice de la Caisse » Le PDG de la cimenterie Christian Gagnon a été limogé.

L’intervention de la Caisse évite ainsi à la famille Beaudoin d’avoir à injecter des sommes supplémentaires alors qu’elle est clairement responsable des dépassements de coûts, ce qui inquiète les associations de retraitéEs comme l’Association Québécoise des RetraitéEs du secteur Public (AQRP). D’ailleurs le président de cette association souligne que la famille Beaudoin n’aura investi que 150 millions sur 1,5 milliard$ dans une aventure à haut risque.

Les élites locales montent au front pour défendre le projet, quitte à dire des bêtises. Le maire de Port-Daniel-Gascons Henri Grenier défend le projet bec et ongles. « Le dossier Gaspésie c’est gouvernemental, tandis que Ciment McInnis, c’est du privé. Au niveau du ciment, le marché est là. » La préfète de la MRC de Rocher-Percé fait preuve de la même cécité politique : « Par contre, tant et aussi longtemps qu’il y a des travailleurs sur le site, que le ministère me dit que le projet va bien, que les gens de Ciment McInnis m’ont confirmé que tout continue dans les échéanciers prévus je ne peux pas m’inquiéter. » Pourtant, des voix se lèvent pour réclamer davantage d’embauches locales, les premiers chiffres tendent à démontrer que peu de salariéEs de Port-Daniel ont trouvé du travail sur le chantier ou à la future usine. Le projet, une fois en opération, doit selon les promoteurs générer des retombées de 16 millions$ et 300 emplois annuellement en Gaspésie. Déjà, on a soustrait 100 emplois de l’engagement de départ du gouvernement péquiste, passant de 400 à 300.

Il y a deux ans, Investissement Québec avait garanti 250 millions de prêts aux promoteurs et acquis 100 millions en capital-actions. La Caisse de dépôt et placement du Québec s’était aussi engagée pour 100 millions en capital-actions. En février dernier, le ministre des Ressources naturelles Pierre Arcand évoquait même la possibilité de financement en provenance du Fonds vert.

La nouvelle cimenterie de Port-Daniel-Gascons aura une capacité de production annuelle de 2,2 millions de tonnes métriques de ciment. Le lancement des opérations, dont l’exploitation de la carrière, devrait se faire à la fin 2016, et le démarrage des activités commerciales est toujours prévu pour le début de 2017.

Port-Daniel-Gascons recèle un gisement de calcaire d’une qualité idéale pour la production de ciment. Le projet devait générer 600 à 700 emplois lors de la construction et permettre de créer près de 400 emplois directs et indirects lorsque la production sera commencée selon les dires de la compagnie. Ciment McInnis a été formée après l’acquisition de Cimbec par le groupe Beaudier, en décembre 2011. La mise en place de Ciment McInnis s’inscrit dans une bataille à l’échelle mondiale qui opposera les intérêts de la famille Beaudoin contre ceux de la famille Desmarais, qui, par l’entreprise du conglomérat Power Corporation et du Groupe Bruxelles Lambert, possède une participation de 21% dans la multinationale française du ciment Lafarge.

En octobre dernier, Argent rapportait que Lafarge Canada craignait que la cimenterie de McInnis ne sature le marché québécois, qui se trouve déjà en situation de surplus. (Pour un portrait de l’industrie du ciment au Québec et au Canada, voir ici) Les mobilisations des groupes Environnement Vert Plus et du Centre québécois pour l’environnement ont même été présentées par Ciment McInnnis et ses relais dans les médias comme une offensive des intérêts de Power Corporation (voir ici et ici).

Impacts sur les émissions de GES

Théoriquement, les émissions de GES de ce projet de 1,5 milliard $, financé à hauteur de 575 millions $ par les fonds publics, pourraient osciller autour de 1,76 millions de tonnes par année. Cela ferait de la cimenterie le plus important émetteur de GES dans la province, si elle atteignait sa production maximale de 2,5 millions de tonnes par année.

Les organisations écologistes ont presque toutes condamné le projet, soulignant que le chemin parcouru dans la réduction des GES vient de prendre un sérieux recul. Elles condamnent le traitement spécial consenti à Ciment McInnis en lui évitant l’analyse du projet par le BAPE.

Quant à Québec solidaire, la formation « déplore que le projet « hyper polluant » de cimenterie ait été accepté par le ministre Daoust. Le député solidaire Amir Khadir estime que les 450 millions de dollars investis auraient pu servir à « diversifier l’économie de la région ». « Alors que les dérèglements climatiques sont sur toutes les lèvres, notre gouvernement nous propose une augmentation de 2,1 % des gaz à effet de serre. C’est le monde à l’envers », a affirmé avec raison Amir Khadir.

Le document de présentation du projet affirme que la cimenterie par ses nouvelles façons de procéder permettra la réduction des émissions de GES par rapport à d’autres cimenteries qui fonctionnent avec des procédés plus polluants. « À terme, la production de la cimenterie du Projet remplacera celle de cimenteries plus âgées, résultant en une réduction nette des émissions de l’ordre de plusieurs centaines de tonnes de GES par année. » (4) La cimenterie utilisera comme combustible le coke de pétrole. Cimenterie McInnis prétend que « les cimenteries constituent l’une des façons les plus écologiques de valoriser ce produit puisqu’elles possèdent des fours qui fonctionnent à très haute température pouvant valoriser ce produit tout en limitant les émissions atmosphériques grâce à la présence d’une succession d’étapes de filtration des gaz de combustion. » Et comme le transport du produit se fera par mer, la compagnie prétend qu’elle évitera ainsi l’équivalent de milliers de transports par camions qui sont plus polluants.

Rappelons que le projet de Cimenterie de Port-Daniel a obtenu le feu vert du gouvernement Couillard grâce à une injonction qui a évité tout processus d’évaluation environnementale. L’organisation écologique gaspésienne Environnement Vert-Plus exige d’ailleurs la démission du ministre de l’Environnement David Heurtel qui a fait preuve de complaisance extrême dans ce dossier.

De plus, avec les Bourses du carbone, la cimenterie McInnis, en Gaspésie, va se voir accorder gratuitement des permis d’émission de gaz à effet de serre. En effet, comme elle sera classifiée comme l’une des plus performantes dans son secteur, elle recevra ces permis de polluer sans frais. « L’usine émettra 20 % moins de GES par tonne que les usines américaines, et [de] 9 [à] 15 % moins que la moyenne québécoise » selon la compagnie. En 2020, la cimenterie [McInnis] recevra le même nombre d’unités d’émission de GES par tonne produite que les autres cimenteries québécoises puisque celles-ci sont traitées sur une base sectorielle », a-t-on expliqué. Comme le procédé de McInnis produit moins de GES par tonne de ciment, une plus grande partie de sa production sera couverte par des allocations gratuites selon le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

Opacité du projet

Étant tout de même reconnu comme un projet privé malgré que les fonds publics représentent plus de 50% des coûts de l’entreprise, il est impossible de connaître les données du projet. « Tout ce qui est transmis au comité de suivi environnemental est gardé secret. On n’a pas eu d’audiences publiques. Le gouvernement a dû passer une loi spéciale pour s’y soustraire. Le choix d’accueillir un aussi grand pollueur sur le territoire n’est ni libre, ni éclairé, parce que tout est caché », a déploré Pascal Bergeron, porte-parole d’Environnement Vert Plus. « Si le projet était officiellement public, l’UPAC s’en mêlerait certainement », ajoute le représentant de l’organisme qui réclame l’arrêt des travaux.

Par ailleurs, la bataille pour la réduction des émissions de GES sera menée à l’abri des regards. Cette allocation (d’unités d’émission de GES par tonne produite NDLR) ne sera jamais rendue publique, précise-t-on. « Les quantités de GES par établissement sont publiées chaque année, mais aucune cible d’intensité n’est publiée parce qu’il s’agit d’information jugée sensible qui pourrait permettre à certaines personnes connaissant bien les secteurs d’activité de déduire des informations associées à la production des établissements. » Bref, croyez-nous sur parole...

Somme toute, à bien des égards, le projet de Cimenterie de Port-Daniel navigue dans le brouillard. L’entreprise convoite le marché américain alors même que les tendances protectionnistes pointent à l’horizon. La guerre qui se déclarera tôt ou tard entre les grands rivaux du marché du ciment à l’échelle continentale et mondiale ne réserve sans doute rien de bon aux nouveaux joueurs qui voudraient se partager la tarte des profits. L’État Québécois prend une part de plus en plus importante du risque lié à ce projet, ce qui peut mettre à mal le bas de laine des Québécois. Un projet qui n’a guère de soucis pour la lutte aux GES. Et tout ça se déroule derrière des portes closes. Inquiétant...

Notes

1- http://www.journaldequebec.com/2016/06/29/depassement-de-cout-de-450-m-a-port-daniel

2- http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/les-regions/201401/31/01-4734426-le-projet-de-cimenterie-a-port-daniel-officiellement-annonce.php

3- http://ici.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2014/06/02/001-cimenterie-port-daniel-gouvernement-couillard.shtml

4- http://cimentmcinnis.com/system/content/uploads/Sommaire_05112013.pdf

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