Le néolibéralisme, une période propice à la corruption institutionnalisée
La commission Charbonneau a bien démontré comment le néolibéralisme a multiplié les occasions d’acoquinements entre les entreprises privées, les hauts fonctionnaires et les responsables politiques. La généralisation de la privatisation a placé des entrepreneurs privés dans une situation de concurrence exacerbée. Qui allait arracher le morceau et obtenir le contrat est apparu de plus en plus comme une question de survie pour les entreprises. Il fallait trouver les entrées auprès des décideurs politiques et les moyens de s’imposer.
Cette privatisation qui a correspondu au renforcement de la sous-traitance a été si loin qu’elle a favorisé la migration des expertises des institutions publiques vers le privé. Ce mouvement a eu une telle ampleur qu’il a placé des ministères comme le Ministère des Transports dans l’incapacité d’évaluer et de contrôler les ouvrages qu’ils confiaient aux entreprises privées. Les délais demandés pour la complétion des travaux et les surfacturations ont donc pu prospérer sur cette méconnaissance. La commission Charbonneau a aussi démontré que les contrats en Parteniat Public Privé alourdissaient les dépenses de l’État en multipliant les occasions de corruption.
La chaîne des dépendances liant politiques et capitalistes
Conseillers municipaux, maires, députéEs, ministres, ingénieurs, avocats, collecteurEs de fonds des grands partis, affairistes du secteur privé, responsables des grandes entreprises et certains dirigeants syndicaux formaient des chaînes de dépendances. Non seulement un maire pouvait choisir l’entrepreneur qui lui convenait ou qui acceptait de lui payer une ristourne, mais un groupe d’entrepreneurs pouvait engager une entreprise pour se donner un maire à leur convenance par l’organisation d’une élection clé en main. Un entrepreneur cherchait à surfacturer, il devait arroser la firme d’ingénieurs impliquée ou le donneur de contrats pour ouvrir ce chemin. Tous les intervenantEs disposant d’une parcelle de pouvoir cherchent donc à la monnayer pour profiter d’une affaire, pour garder la chaîne des dépendances bien huilée, pour entretenir des canaux de communication privilégiée. Et c’est ça la corruption systématique : une chaîne de connivences qui permet d’utiliser les biens publics pour des fins privés. Les personnes en haut de la chaîne de dépendance sont présentées comme des rois, comme des personnes toutes puissantes auxquelles on ne peut résister si on veut rester en affaires... Devant cette structure de contraintes, les réflexes éthiques ne font pas le poids.
Les gros corrupteurs, les petits corrompus et les hors-jeux
La commission Charbonneau a bien démontré que nous avons affaire à une oligarchie empêtrée dans les mensonges et les connivences à un niveau tel qu’elle ne parvient plus à pouvoir distinguer ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, ce qui est moral et de ce qui est immoral. Lorsqu’un ministre considère que des cadeaux d’une entreprise lui sont dus et que c’est parfaitement normal, lorsqu’un autre, en pleine Assemblée nationale, affirme que les cotisations des entreprises aux partis politiques sont tout à fait légales malgré la lettre de la loi sur le financement des partis politiques qui dit le contraire, on comprend le caractère généralisé de la corruption.
Les éléments indésirables ce ne sont pas les personnes qui acceptent les pratiques de collusion et de corruption, ce sont les purs qui refusent de jouer le jeu. Ces éléments sont rapidement écartés pour “avoir une mauvaise attitude”, parce qu’elles portent des jugements critiques sur des pratiques jugées normales dans le milieu comme falsifier des factures par exemple. Ils perdent leurs emplois et une réputation de mauvais joueurs leur est faite par leurs anciens patrons. Ce qui dresse des obstacles importants à la capacité de poursuivre leur carrière dans l’industrie. Tout le contraire en fait de la théorie des « pommes pourries ».
Au sommet de la chaîne de collusion, la loi du silence
Une leçon particulièrement éclairante des séances de la commission, c’est que le menu fretin parmi les corrompus peut avouer et manifester des regrets avec des degrés de sincérité plus ou moins crédibles. Mais, les corrupteurs et corrompus de premiers plans ont tendance à tout nier, à perdre la mémoire, à faire preuve d’un aveuglement systématique de ce qui se passe dans leur entourage immédiat. La loi de ces élites économico-politiques est la même que celle de la mafia, c’est la loi du silence, c’est l’omerta. Ils nient. Ils affirment ne rien savoir. Ils dénient jusqu’à prendre des postures ridicules s’il le faut... On se permet même de s’indigner.
Deux, trois, plusieurs commissions Charbonneau...
La commission Charbonneau aura des effets durables, moins par ses propositions pour lutter contre la corruption dont l’application restera aux mains de responsables politiques qui ont trempé dans la corruption ou qui ont voulu être aveugles à cette dernière, que par la lumière crue qu’elle aura permis de jeter sur la criminalité des élites confirmant des perceptions et des sentiments largement répandus.
La Commission Charbonneau a permis d’entrevoir que la collusion qu’elle avait découverte dans l’industrie de la construction entre les politiciens et les grandes entreprises, existait sans doute dans les grandes entreprises publiques, particulièment chez Hydro-Québec, dans les rapports entre les administrations publiques et les entreprises de services informatiques, entre les corporations médicales et les trusts pharmaceutiques, entre les lobbys miniers, pétroliers et les responsables des différents ministères.
On voit qu’une, deux, plusieurs commissions d’enquête pourraient permettre de mieux comprendre les stratagèmes utilisés par les corrupteurs et les corrompus. Mais, la remise en question de la corruption, ne pourra être menée à terme que par la lutte sociale et politique des classes subalternes contre les privilèges et la domination de l’oligarchie.
Mettre fin au pillage du bien commun, remettre en question la logique du secret présent à tous les niveaux du système capitaliste
Le culte du secret, le refus de la transparence, le culte des acoquinements rentables, c’est l’essence de la corruption en système capitaliste. Cette corruption n’est pas d’abord le résultat de la criminalité du petit nombre, mais le fruit de l’irresponsabilité sociale des puissants. C’est pourquoi la lutte contre la corruption passe par la remise en question du pouvoir de cette minorité possédante qui utilise tous les moyens, toutes les collusions, pour s’enrichir davantage au mépris du bien public. C’est pourquoi la lutte contre la corruption doit être fondamentalement et radicalement anticapitaliste.
Pour en finir avec la corruption, il faut dépasser la résignation et le cynisme. Il faut développer l’indignation sociale et lui donner la possibilité d’agir pour transformer la situation. La logique dominante qui fait toute la place aux intérêts privés doit être remplacée par une logique de la défense du bien public et de la vigilance citoyenne. La culture du secret des affaires (secret commercial et bancaire) doit être remplacée par la culture de la transparence démocratique et du pouvoir citoyen dans les choix des investissements publics. La lutte contre la corruption exige d’en finir avec la privatisation des biens communs et nécessite le développement d’une économie publique, sociale et coopérative au lieu d’une économie privée. La lutte contre la corruption ne fera pas l’économie de la remise en cause de la domination des élites économiques et politiques qui cherchent à s’accaparer l’essentiel de la richesse et du pouvoir.