Édition du 12 novembre 2024

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Canada-Québec - Le poids de l’histoire (3)

Après la Deuxième Guerre mondiale, le Canada entre de plein pied dans le cercle « rapproché » du capitalisme contemporain sous l’hégémonie des États-Unis. L’État et l’économie sont « restructurés » pour répondre aux besoins de l’accumulation et de la défense du nouvel Empire américain. Une institution occupe un rôle central dans ce dispositif, c’est l’OTAN, une machine de guerre destinée à bloquer l’Union Soviétique et l’irruption des pays du tiers-monde. Le Canada envoie ses soldats défendre l’Empire en Corée. Il appuie, par la bande, l’occupation américaine au Vietnam. Il aligne ses priorités, en Amérique latine, dans les aventures militaro-économiques de Washington qui organise en cascades coups d’états et massacres. En même temps, l’État canadien joue le rôle de l’« honnête courtier », pour ne pas dire de messager ». Il va et vient entre les États-Unis et des adversaires réels ou présumés (la Chine, Cuba, etc.). Il projette une image libérale à l’ONU en se faisant le promoteur des Casques bleus dont le rôle est de « préserver la paix ». Sur le plan intérieur, les élites canadiennes gèrent les contradictions sociales et nationales par diverses réformes keynésiennes qui apaisent la situation, tout en poursuivant un agenda de centralisation.

Le virage

Entre-temps, le Parti communiste (PCC) et les mouvements populaires qui lui sont alliés amorcent un net déclin dès les années 1950 dont ils ne se relèveront jamais. Ils font face à une puissante répression, mais ils sont également victimes de leurs propres choix et angles morts (voir l’article précédent). Parallèlement, la social-démocratie entreprend sa reconversion vers la droite en devenant avant tout le monde « sociale-libérale ». Elle endosse les objectifs fondamentaux des élites, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Au Québec, la situation demeure pitoyable jusque dans les années 1960. Les élites réactionnaires qui agissent en symbiose avec le capitalisme canadien et américain tentent d’endiguer la résistance, mais celle-ci éclate à travers des luttes souvent désespérées mais symboliques comme la fameuse grève d’Asbestos. Mais un peu plus tard, quelque chose est en gestation. Les résistances deviennent plus persistantes. Des militants ouvriers, des membres du PC et du NPD, se demandent de quel côté aller et rapidement, les liens sont pratiquement brisés avec les organisations canadiennes, d’où la ribambelle de mouvements socialistes, de revues, de cercles et d’associations indépendantes, où émerge une identité politique particulière. Trop tard et trop peu, l’État fédéral réalise ce qui se passe et saisit l’« aubaine » que lui offre la petite mouvance guérillériste. En 1970, le gouvernement tente un grand coup avec la loi des mesures de guerre, qui vise moins le FLQ que le mouvement social, et même le PQ qui prend forme. Quelques protestations se manifestent au Canada et le NPD, au moins, vote contre la loi au Parlement, mais cela ne change pas grand-chose, car l’opinion est survoltée contre les méchants séparatistes. Malgré tout cela pour Trudeau, c’est un grave échec. Les nouvelles générations militantes au Québec persistent et signent. Deux ans après 1970, c’est la grève générale. Quatre ans après, le PQ est élu.

Le non-dialogue

Du côté canadien, une poignée de militants constate ce qui se passe. L’aile gauche du NPD, les jeunes du « Waffle », proposent de changer les choses en reconnaissant le droit à l’auto-détermination et la légitimité de la lutte du peuple québécois. Mais ils échouent et sont marginalisés. Dans le sillon du déclin du PCC, des petits groupes d’extrême-gauche se mettent en place sous la bannière de Trotski, de la Chine et de Che Guevara. Tout en étant plus sensibles à la dynamique québécoise, ils ont peu d’influence sur les mouvements sociaux qui majoritairement, non seulement restent attachés au NPD, mais à l’idée d’un « grand » État fédéral redistributeur et centralisé. Dans les cercles intellectuels progressistes et libéraux, le nationalisme québécois est considéré comme une « tare congénitale ». À part les syndicats de la FTQ qui appartiennent à des syndicats à l’échelle pancanadienne (et même là, Louis Laberge réussit à imposer une quasi autonomie québécoise), c’est une rupture à peu près totale entre les mouvements populaires canadiens et québécois. Du côté canadien, on finit par se « résigner » à l’idée que le mouvement populaire québécois veut faire converger la transformation sociale avec l’émancipation nationale. Ce n’est pas de « bon cœur » et cela se fait sans aucun militantisme actif pour les droits du Québec. En effet quand les droits du Québec sont bafoués (le dit « rapatriement » de la constitution en 1982), c’est le silence total, pire encore, cette grande opération régressive est appuyée par le NPD. Du côté québécois, le développement du mouvement populaire se fait sans même « penser » le Canada, comme si l’indépendance était inéluctable. Cette atonie connaît son point culminant au début des années 1990 après l’échec des négociations dites du Lac Meech (ultime tentative de coopter les nationalistes du PQ dans un « nouveau » cadre canadien un peu relooké). Les organisations populaires québécoises misent majoritairement sur le référendum de 1995 et la mise en place du Bloc Québécois.

Devant le mur

Dans le dernier tournant, de nouvelles mobilisations gigantesques surgissent au Québec : la Marche des femmes de 1995 (et de 2000), le Sommet des peuples des Amériques (2001), les grandes confrontations contre le gouvernement Charest (2003), et puis la réanimation du mouvement étudiant (2005), jusqu’au mouvement de 2012. De tout cela se construit une identité québécoise de gauche, pluraliste, de masse, intergénérationelle, dont l’expression politique devient Québec Solidaire. Pour autant, les élites tiennent le coup en faisant évoluer le néolibéralisme vers le néo-conservatisme avec le gouvernement Harper (et le PLQ au Québec). Ce face-à-face épuisant entre une volonté manifeste de changer et l’impassivité des élites ressemble à ce qui se passe dans d’autres pays (en Europe notamment). De quel côté aller ? Du côté canadien, après les mobilisations syndicales de 1995 (days of action), il y a un mouvement populaire éparpillé, assommé par l’offensive des dominants, incapable de changer la donne au niveau politique. Malgré les efforts de la gauche du NPD (« New Politics Initiative ») et les messages ouverts de Jack Layton, ce vieux parti reste enfoncé dans la gestion du statu quo. Pire encore, le NPD se laisse entraîner dans la nouvelle offensive anti-Québec (la loi sur la « clarté »), relativement bien acceptée au Canada anglais, même dans les milieux populaires, désinformés par les médias qui présentent le Québec comme une bande de braillards et de quêteux.

Le péril dans la demeure

On se retrouve en 2014 devant une situation dangereuse. Au Canada, les élites accélèrent leurs « réformes » pour aligner le Canada sur le « modèle » américain et liquider l’héritage des réformes keynésiennes. L’opposition est faible. Lors de plusieurs élections provinciales récentes, la droite gagne. Il n’est pas dit que Harper et son noyau dur de couches moyennes ne parviendra pas à se faufiler. Si jamais le PLC de Justin Trudeau l’emporte, il continuera dans la même voie, avec peut-être un peu plus de subtilité. Reste le NPD sous Thomas Mulcair qui ne peut se brancher entre son approche essentiellement de droite et sa députation dont une bonne partie provient du mouvement social québécois. Entre-temps, on ne voit pas trop comment les mouvements populaires et les syndicats au Canada vont réussir à se mettre ensemble, malgré les exceptions dont on a parlé dans ces pages (à Toronto, Halifax, etc.). Du côté québécois, il ne faut pas sous-estimer les graves périls qui sont devant nous, tant à Ottawa qu’à Québec, avec la possibilité d’un gouvernement péquiste recentré à droite. Certes, les forces sociales et politiques de ce côté-ci de la rivière des Outaouais sont importantes, sans commune mesure avec ce qui existe de l’autre côté. Reste l’inconnu que représente la lutte autochtone, sortie du sac, si on peut dire, avec Idle No more. Il est encore tôt pour voir, mais cette nouvelle résistance pourrait aussi changer la donne.

Pour trouver, il faut chercher

À la base donc, il y a des alignements dangereux. Ce qui, objectivement, devrait motiver les générations militantes, tant au Québec qu’au Canada, à repenser de nouvelles stratégies. C’est cette question à 64 millions de dollars qui est derrière l’idée du Forum social des peuples (FSP) qui aura lieu à Ottawa en août prochain. Du côté québécois, il n’est pas question, ni de près ni de loin, pour la grande majorité des mouvements populaires, de renoncer à l’équation qui est faite depuis 50 ans entre transformation sociale et émancipation nationale. Ceux qui rêvent, comme cette poignée de p’tits maniganceux du NPD, de voir les Québécois rebasculer vers un « fédéralisme » canadien, autant perverti que méprisant, vont vite déchanter. Il faudra que la gauche canadienne se fasse à l’idée que la lutte du Québec est non seulement légitime, mais nécessaire, pour leur propre lutte, et que cet État canadien construit dans la répression et le pillage, n’est pas réformable. De l’autre côté, il faudra que les mouvements québécois comprennent qu’il n’y aura pas d’émancipation, ni sociale ni nationale, sans l’appui actif (pas seulement de petites déclarations lues à la fin des congrès), des couches moyennes et populaires canadiennes. Le défi est ÉNORME. Il n’y a pas de solution magique et il faudra dialoguer, chercher, ne pas avoir de s’écarter des sentiers difficiles. Bref, c’est une lutte. Comme le disait Bertolt Brecht, « celui qui combat peut perdre. Celui qui ne combat jamais est sûr de perdre ».

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