Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

À propos de l'initiative "Faut qu'on se parle" : Ombres et lumières d'une démarche qui donne à penser

L’annonce a surpris tout le monde dans les milieux indépendantistes et progressistes : voilà que deux figures —à la fois jeunes et rebelles de la politique québécoise de ces dernières années— se lancent dans une tournée "pour changer le Québec". Et les voilà qui annoncent avec 3 autres personnalités socialement engagées (Claire Bolduc, Alain Vadeboncoeur et Maïtée Labrecque Saganash), qu’elles veulent partir sur un mode non partisan à la rencontre des Québécois pour remettre le Québec en mouvement. Le tout, dans un contexte de cynisme et de grande désorientation politique et alors que le PQ, en pleine course à la direction, semble comme jamais affaibli, guetté par les affres de la division.

Bien sûr, pour être bon joueur et à la manière d’Amir Khadir de Québec solidaire, on peut n’y voir là qu’une excellente nouvelle. Après tout, que des personnalités québécoises à la fois souverainistes et progressistes prennent leurs bâtons de pélerins et décident de partir en tournée dans les régions du Québec à l’écoute des gens pour tenter de remettre la gauche du Québec en marche, quoi de plus légitime et prometteur ? Surtout si l’on note que les thèmes abordés ainsi que l’horizon de fond à partir duquel elles mènent leur démarche se rappochent passablement de ceux sur lesquels depuis plus de 10 ans travaillent Québec solidaire et dans une moindre mesure Option citoyenne.

On pourrait dès lors interpréter cette nouvelle initiative comme un moyen ingénieux permettant d’élargir la base de ceux qui à gauche luttent pour l’indépendance du Québec et des politique clairement anti-néolibérales.

Bien des questions

Mais si le moyen peut paraître ingénieux et séduisant —quoi de plus noble que de se donner la tâche d’être à l’écoute des gens du Québec ? – il n’en soulève pas moins nombre de questions, et en particulier à propos de Québec solidaire ou même d’Option Nationale ainsi que du courant le plus à gauche du PQ.

Par exemple, pourquoi ces 5 personnalités qui chacune à leur manière se sont trouvées en synthonie soit avec QS, soit avec Option nationale ou encore avec les idées les plus progressistes du PQ, ont préféré passer aujourd’hui par un exercice autonome qui pourtant s’appuie globalement sur le même héritage politique et reprend pratiquement tous les thèmes (à l’exception peut-être du féminisme !?) sur lesquels QS (et un peu Option nationale) ont travaillé de manière très large pendant près de 10 ans ?

Pourquoi faudrait-il tout recommencer, et tout recommencer à côté, en donnant l’impression qu’on peut ré-inventer la roue et que, quand on est à gauche, la fragmentation des efforts n’est pas en soi un problème majeur ? Est-ce que pour « Faut qu’on se parle », Québec solidaire ou encore Option Nationale auraient failli à la tâche et ne pourraient pas être –parce qu’ils sont des partis politiques— des interlocuteurs privilégiés, plus encore de véritables alliés dont il faut non pas ignorer la réflexion ou le travail, mais tout au contraire tenter d’enrichir les éléments les plus prometteurs ? D’autant plus que, comme on le sait, les militants de QS sont très liés aux mouvements sociaux les plus actifs et à la société civile en marche du Québec. Impossible de l’ignorer !

Et que dire de la façon dont nos 5 personnalités ont décidé de procéder ? Pensent-ils vraiment faire mieux en termes d’exigences démocratiques que par exemple Québec solidaire, lorsqu’ils se réservent le droit à 5 de faire la synthèse de ce qu’ils auront entendu pendant leur tournée de 3 mois ?

Créer un mouvement en parallèle

Mais ne s’agit-il pas d’autre chose ? Ne s’agit-il pas d’un exercice qui, au-delà de ce que peuvent en dire aujourd’hui ses protagonistes, chercherait à rassembler à travers de nouvelles formes de convergences tous ceux et celles qui, entre le cercle encore trop étroit des amis de QS et les déçus chaque fois plus nombreux du PQ, se disent progressistes et souverainistes. Et cela, pour par la suite peser de manière indépendante –en profitant du départ appréhendé de Françoise David et Amir Khadir— sur le devenir des forces progressistes et indépendantistes du Québec. Comme le rappelle Michel David, « ces deux-là pourraient bien se dresser sur le chemin de l’élection d’octobre 2018, en brandissant le double étendard de l’indépendance et de la gauche ».

Ceux qui ont suivi la politique québécoise au début des années 2000, n’auront pas de peine à se souvenir de la manière dont avaient procédé quelques personnalités du monde féministe et communautaire avant de se joindre à l’UFP et de former en 2006 Québec solidaire. Alors qu’elles étaient ardemment courtisées par l’Union des Forces Progressistes (UFP) pour rejoindre ses rangs, elles avaient préféré sur la base de vastes consultations préalables menées dans les milieux communautaires et féministes, faire un détour et appeler à créer un mouvement parallèle, celui d’Option citoyenne, afin de pouvoir par la suite entamer des discussions de fusion avec l’UFP en disposant d’une toute autre position et ainsi se donner les moyens d’influencer en profondeur le cours pris par QS au moment de sa naissance.

Collaborer plutôt que se fragmenter

Ne serait-ce pas la même opération dans le contexte des années 2017/2018, que mine de rien on serait en train de mettre en route, mais en se situant un peu plus à droite sur l’échiquier politique et en cherchant surtout à rassembler sans véritables débats de fond et sur des bases politiques incertaines tous les déçus du PQ ? La figure de Jean Martin Aussant –qui a sa carte tant au PQ et qu’à Option nationale— tendrait en tous cas à le faire penser, même si bien entendu il jure par tous les diables que ce n’est pas là son intention.

Quoiqu’il en soit, cette initiative mérite réflexion. Alors que certains députés de QS partent en tournée dans les régions pour être à l’écoute des milieux économiques et particulièrement des petites entreprises, Jean Martin Aussant et Gabriel Nadeau Dubois, eux partent en campagne pour entendre parler d’indépendance et de question nationale, et cela au fil d’un enthousiasme et intérêt certain, particulièrement dans la mouvance souverainiste et chez les jeunes, franges de la population que QS cherche pourtant à rejoindre en toute priorité.

N’y-a-t-il pas là de quoi s’interroger sur la façon dont QS assume sur un mode bien trop mineur, la question nationale ? Et surtout sur la façon dont « Faut qu’on s’en parle » veut tout recommencer et ignorer superbement ce qui a été initié en la matière, notamment à Québec solidaire ? Pourquoi ne s’emploierait-il pas dès maintenant à associer QS (ou Option nationale) à sa démarche ? N’irions-nous pas ainsi beaucoup plus vite et surtout beaucoup plus clairement au but, nous épargnant au passage bien des détours, des manœuvres et des divisions inutiles ? Nous donnant ainsi le chance de redevenir dans la transparence enfin une force sociale et politique qui compte !

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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