Certains commentateurs et commentatrices se désolent que le Parti québécois n’ait fait élire que 3 députés à l’Assemblée nationale alors qu’il a recueilli 14.6% des voix, à peine moins que son rival Québec solidaire qui lui, en a 11. Bien entendu, tout le monde pointe à nouveau les iniquités de notre mode de scrutin uninominal à un tour qui provoque souvent une distorsion marquée entre le nombre de votes récoltés et le nombre de députés élus. Parmi les perdants du scrutin du 3 octobre dernier, il faut ajouter le Parti conservateur d’Éric Duhaime qui avec presque 13% d’appuis n’a réussi à percer dans aucun comté.
De plus, sans l’erreur de la candidate solidaire dans le comté de Bourget, qui a dérobé un dépliant dans une boîte aux lettres en un geste infantile (ce que la loi interdit) et qui par conséquent a du se retirer de la course électorale, Paul Saint-Pierre Plamondon, son adversaire dans cette circonscription n’aurait pas fait son entrée à l’Assemblée nationale. En effet, plusieurs électeurs et électrices solidaires ont alors reporté leur vote sur le candidat péquiste. Sans cet incident de parcours solidaire, le Parti québécois ne compterait que deux députés au "Salon de la race".
Il vaut donc a peine de se pencher sur l’évolution de la position péquiste sur cette question cruciale du mode de scrutin.
Le mécontentement péquiste vis-à-vis du système électoral remonte presque au début de l’histoire du parti. Son programme prévoyait déjà en 1969 de manière vague une amélioration du mode de scrutin et un redécoupage de la carte électorale afin de mieux tenir compte de la répartition de la population.
Lors des élections générales du 29 avril 1970, pour son baptême électoral, le PQ obtient 23% des votes exprimés mais seulement 6,5% des sièges, soit 7 sur 108. On imagine sans peine l’Indignation dans les rangs indépendantistes.
Le redécoupage a toutefois lieu en 1972 mais le gouvernement libéral de Robert Bourassa ne touche pas au mode de scrutin, le noeud du problème. Lors des élections d’octobre 1973, le parti souverainiste augmente son nombre d’appuis (qui passent de 23% à 30%) mais en raison de la répartition de son vote, il perd un député. Il se retrouve donc avec 6 élus seulement.
Les péquistes s’époumonnent encore une fois contre l’injustice dont ils sont victimes. René Lévesque est battu dans comté où il se présentait, ce qui ne fait que renforcer sa conviction qu’un changement dans le mode de scrutin s’impose.
Le 15 novembre 1976’ surprise : son parti se hisse au pouvoir grâce à un bond assez modeste du vote, de 30% à 41%. Dans la foulée, il fait élire 71 députés. Les attentes étaient donc élevées en ce qui concerne la réforme du mode de scrutin contenue dans le programme péquiste. Lévesque nomme alors Robert Burns "ministre d’État à la réforme électorale et parlementaire".
Mais plusieurs élus péquistes s’opposent à sa proposition d’ajouter un élément de proportionnalité au mode scrutin. Au sein d’une partie du caucus péquiste comme de l’Opposition officielle libérale et de la population, le mode de scrutin proportionnel est perçu comme un obstacle à la formation d’un gouvernement majoritaire, donc stable.
Le conseil des ministres refuse la proportionnelle. Burns démissionne en 1979 et René Lévesque n’arrive pas à rallier l’ensemble de son parti à la réforme. Il faut admettre aussi que la fièvre référendaire et la préparation de la consultation sur la souveraineté monopolisaient à cette époque beaucoup d’attention et d’énergie au détriment de la question de la réforme du mode de scrutin.
L’option souverainiste est battue en mai 1980 mais le Parti québécois est réélu le 13 avril 1981 avec 49% des votes pour 80 députés. Toutefois, une grave crise économique allait marquer ce second mandat (en raison des taux d’intérêt très élevés imposés par le gouverneur de la Banque du Canada afin de juguler l’inflation galopante), aggravée par des compressions budgétaires-massues non annoncées par l’équipe Lévesque pendant la campagne électorale du printemps 1981. Il en résulta une extrême impopularité du gouvernement péquiste due à son incapacité à juguler les effets de la récession . Tous ces problèmes ne pouvaient qu’inciter le cabinet Lévesque à remettre sine die la réforme du mode de scrutin. Le Parti québécois connaît la défaite le 2 décembre 1985 ; son vote descend à 38.6% et seuls 23 de ses députés sauvent les meubles parlementaires de la formation. Robert Bourassa revient au pouvoir à la tête du Parti libéral.
Le parti de René Lévesque avait disposé de neuf ans (1976 à 1985) pour procéder à la réforme d’un mode de scrutin. Il faut croire que bien des élus et des cadres lui avaient trouvé des avantages entretemps...
Le débat refait brièvement surface en 1998 sous le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, lequel n’en fait pas une priorité. Son successeur Bernard Landry se déclare plus ouvert à en discuter mais en fin de compte rien n’aboutit.
Le bref gouvernement minoritaire de Pauline Marois (septembre 2012-avril 2014) n’en fait pas mention. Le Parti libéral de Philippe Couillard le remplace.
Les gouvernements péquistes n’ont pas entamé la moindre réforme en ce sens par souci d’intérêt partisan. Le Parti québécois ne récolte donc en ce moment que les fruits de son inaction passée.
Bien sûr en 2016, l’ensemble des partis d’opposition ont signé une entente transpartisane par laquelle ils s’engagaient à réformer le mode de scrutin s’ils renversaient le gouvernement libéral, dont François Legault, chef de la Coalition avenir Québec (la CAQ) et lui-même ancien ministre péquiste. Mais une fois au pouvoir, il finit par abandonner sa promesse en dépit du dépôt du projet de loi 39 sur le sujet. Legault le laisse mourir de sa belle mort.
Dans l’actuelle conjoncture, les lamentations de Paul Saint-Pierre Plamondon et de ses partisans tombent à plat. On peut même se demander, non sans un certain cynisme si dans l’hypothèse où le parti revenait au pouvoir, il procéderait enfin à la fameuse réforme.
Jean-François Delisle
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