I. Le nouveau cours de l’impérialisme américain : prédation et vassalisation
1. Au niveau international
Les États-Unis ne deviennent pas impérialistes avec Trump, mais Trump impose un nouveau cours à l’impérialisme américain [1] qui vise :
• à s’assurer le libre accès aux ressources naturelles de la planète en imposant son contrôle direct sur les ressources minières, énergétiques et sur les voies de communication. Les menaces de prise de contrôle sur le Groenland et sur le canal de Panama sont des illustrations de cette orientation politique ;
• à imposer une politique migratoire restrictive, particulièrement à ses voisins, le Canada et le Mexique, en faisant fi de toutes les règles du droit international en matière de réfugié-es et de migrations ;
• à ne tenir aucun compte de la souveraineté nationale des pays et parvenir à une vassalisation des pays pour défendre ses intérêts économiques. Cette politique prédatrice ne vise pas seulement les pays du Sud global mais également des pays alliés, comme le Canada et les pays de l’Union Européenne ;
• à faire prévaloir les législations américaines, y compris sur les législations des différents pays ;
• à imposer aux alliés de l’OTAN d’augmenter leurs dépenses militaires à la hauteur de 5% ;
• à déréglementer (pour l’UE) ou à bloquer toute réglementation future sur les GAFAM (pour le Canada) ;
• à défendre l’hégémonie américaine contre les pays émergents, et particulièrement la Chine, par l’imposition de tarifs importants sur ses exportations, mais en utilisant si nécessaire des menaces de guerre...
2. Sur le plan interne aux États-Unis
La politique de Trump constitue une offensive générale contre la majorité populaire des États-Unis [2]. Elle constitue une politique clairement marquée à l’extrême droite qui se déplie selon les axes suivants :
• relancer l’exploitation pétrolière et gazière, y compris en haute mer et démanteler le plan Biden (Inflation Reduction Act, qui subventionnait tant les industries de l’automobile que celle des semi-conducteurs et celle des équipements en énergies renouvelables) de lutte aux changements climatiques et de supprimer toute législation de protection de l’environnement ;
• s’attaquer aux fonctionnaires en bloquant l’embauche dans le secteur public et en finir avec les mesures de protection sociale ;
• expulser de millions de migrant-es illégaux dès sa prise du pouvoir ;
• augmenter les investissements militaires ;
• s’attaquer à la liberté de la presse ;
• restaurer les valeurs patriarcales les plus réactionnaires en s’attaquant au droit à l’avortement et aux droits des personnes trans ;
• développer un discours raciste et favoriser l’exacerbation des discriminations raciales.
3. Contre l’État canadien
L’État canadien (et le Québec par le fait même) est également une cible de l’administration Trump [3]. Au-delà de sa rhétorique sur la définition du Canada comme le 51e état des États-Unis, sa politique de prédation et de vassalisation [4], passera :
• par l’augmentation des tarifs douaniers à la hauteur de 25% ou selon des modalités et des secteurs qu’il choisira, remettant ainsi radicalement en cause l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique ;
• par des pressions pour que le Canada durcisse sa politique migratoire, qu’il renforce la surveillance des frontières pour bloquer le passage d’immigrants du Canada vers les États-Unis et pour bloquer la vague migratoire que risque de créer sa politique d’expulsion ;
• par la demande d’augmentation des dépenses militaires et de participation aux différentes opérations militaires qui pourraient être menées par l’administration Trump ;
• en s’assurant l’accaparement des ressources pétrolières, gazières, en électricité et des ressources minières stratégiques dont regorge le Canada, sans oublier les ressources en eau potable dont les États-Unis ont un urgent besoin ;
• par la remise en question de la souveraineté du gouvernement fédéral sur l’Arctique canadien.
La vassalisation désigne ici la domination de l’État américain et de ses entreprises sur le Canada et le Québec, sans annexion, mais en imposant une influence politique économique ou militaire.
II. Les réponses des différents acteurs sociaux et politiques au Canada
1. Les réponses de la bourgeoisie canadienne, du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux
a) Défendre l’État pétrolier canadien par une logique de guerre commerciale [5]
Dans un premier temps, les menaces de Trump d’imposer des tarifs ont créé une véritable panique dans les milieux d’affaires. Les politicien-nes fédéraux et provinciaux ont tiré dans toutes les directions. Trudeau et son gouvernement ont cherché dans un premier temps à temporiser et Trudeau a visité Trump à Mar-a-Lago. Legault a appelé au calme, espérant que les menaces ne se réaliseront pas. Mais la remise en question de la souveraineté canadienne a amené la majorité de la classe politique à construire un front commun pour élaborer des mesures de rétorsion aux tarifs qui seraient éventuellement imposés par Trump. Pourtant, ce front commun n’a pas obtenu l’appui de la première ministre Danielle Smith de l’Alberta, qui envisage plutôt, pour éviter les tarifs, de doubler la production du pétrole lourd et d’augmenter les exportations aux États-Unis pour leur permettre d’exporter encore plus de pétrole léger dans le reste du monde.
Si le front de la riposte est déjà fracturé, il reste que la nature du Canada comme État pétrolier n’est nullement remise en question. Même quand des dirigeants politiques envisagent de diversifier les cibles de leurs exportations, nombre d’entre eux (comme Poilièvre ou Danielle Smith, envisagent de construire de nouveaux pipelines, des raffineries et de relancer le projet des usines de GNL et de gazoduc traversant le Canada (et le Québec) vers le Nouveau-Brunswick. Pour le chef du Parti conservateur du Canada, il faut également en finir avec les réglementations environnementales qui ne sont que nuisances.
Que Carney et Freeland aient déclaré renoncer à la taxe carbone dans le cadre de la course à la chefferie du Parti libéral du Canada montre très bien que la défense de l’État pétrolier canadien est défendue par toute la classe politique canadienne (PLC compris) et que la vraie entente, avec l’administration Trump, sera de leur assurer un accès sans entrave aux richesses pétrolières et gazières du Canada.
Jagmeet Singh, chef du NPD, y va de sa suggestion. Il propose de cesser d’exporter des minéraux critiques aux États-Unis. Il s’inscrit, lui aussi, dans la seule logique de la guerre commerciale.
b) Se rendre aux exigences américaines en matière de fermetures des frontières
Le gouvernement Canada a répondu rapidement aux demandes de Trump en termes de fermetures des frontières. Déjà, il avait opéré une série de durcissements dans sa politique face aux personnes migrantes que ce soient les réfugié-es, les travailleurs et travailleuses immigrant-es temporaires ou les sans-papiers.
2. Le positionnement du gouvernement de la CAQ et du Parti québécois
Si, dans un premier temps, François Legault s’est contenté d’une posture attentiste, il a finalement rejoint le front du gouvernement fédéral et des premiers ministres des provinces. Il s’est placé dans le cadre d’une préparation du Canada à une éventuelle guerre commerciale.
Mais le gouvernement Legault s’est rangé sans nuance aux demandes de Trump en matière d’immigration. Le ministre Bonnardel a affirmé se préparer à envoyer la Sûreté du Québec pour faire face à la vague migratoire qui sera provoquée par la volonté d’expulsion de Trump (Opération Pélican). On peut donc s’attendre à ce que le gouvernement Legault se dirige vers un durcissement de ces politiques contre les personnes migrantes à tous les niveaux. Cette politique est d’autant moins surprenante qu’il compte sur ces politiques contre les migrant-es pour se construire une rente électorale.
PSPP dans une publication sur X n’hésite pas à affirmer : « Les États-Unis ont des points légitimes sur la question du laxisme aux frontières. Il faut donc voir cette situation pour ce qu’elle est réellement : avant tout, un enjeu de gestion négligente des frontières du gouvernement fédéral. Nous demandons au gouvernement fédéral de travailler avec l’administration Trump pour régler les enjeux aux frontières et nous permettre d’avancer. Entre s’engager dans une guerre commerciale avec les États-Unis et reprendre le contrôle des frontières, il n’y a aucune commune mesure entre le coût des deux. » Cette demande de collaboration avec le gouvernement d’extrême droite de Trump montre où en est la dérive du PQ dans l’expression du nationalisme le plus chauvin et dans sa stigmatisation des personnes migrantes.
3. La communication de Québec solidaire
Pour ce qui est de Québec solidaire, sa porte-parole Ruba Ghazal a fait sa suggestion, qui s’inscrit dans le cadre d’une éventuelle guerre commerciale : « Dans le cadre des tensions commerciales, un gouvernement solidaire n’hésiterait pas à agiter des hausses de prix importantes de l’électricité, vendue sur la côte est américaine pour se faire respecter. Le Québec doit se tenir debout devant Trump. Ce n’est pas à coup de taxes sur le jus d’orange qu’il va nous prendre au sérieux. » [6] Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette suggestion se colle aux modalités d’une politique commerciale, et ne cherche nullement à mettre le peuple québécois dans le coup. Même lorsqu’elle évoque l’indépendance, la prise de position de Québec solidaire reste engoncée dans une logique de politique commerciale : « Un Québec indépendant pourrait mettre ses intérêts au cours de ce bras de fer commercial, avec l’hydro-électricité comme principal levier de négociation, et s’assurer que les emplois et l’économie du Québec soient protégés. »
Aucune critique argumentée du projet de l’extrême droite trumpiste, aucune dénonciation de la politique environnementale désastreuse qu’il promeut, aucune dénonciation de ses projets d’expulsions des personnes migrantes, aucune critique de la réaction du gouvernement de la CAQ et du PQ en matière d’immigration face aux politiques d’intimidation de Trump. Pourtant, il nous apparait impératif d’opposer une réponse globale au cours actuel de l’impérialisme trumpiste dans le contexte actuel.
III. Un programme de déconnexion pour se libérer des diktats de l’impérialisme de prédation et de vassalisation de Trump
S’opposer au nouveau cours de l’impérialisme américain impulsé par Donald Trump par le seul biais de la réponse aux tarifs qu’il dit vouloir imposer, c’est refuser de voir l’ensemble des objectifs poursuivis par ce dernier. On en est alors réduit à une discussion sur les manœuvres diplomatiques ou les mesures de rétorsion sur le plan commercial. C’est l’ensemble du projet trumpiste de vassalisation auquel il faut s’attaquer. Cela ne peut être réalisé qu’à partir des luttes sociales, politiques et culturelles des classes ouvrières et populaires s’assignant de s’engager dans la voie de la socialisation de leur économie et dans la redéfinition des institutions politiques actuelles que pourront être jetées les bases du refus de cette vassalisation.
Ces politiques doivent s’articuler autour de quatre axes [7] : 1) une altermondialisation parcimonieuse basée sur la planification écologique dans la lutte aux changements climatiques passant par une rupture avec le capitalisme fossile ; 2) la priorité accordée à la satisfaction des besoins sociaux par la défense des services sociaux dans une perspective d’égalité sociale ; 3) une lutte anti-patriarcale défendant l’égalité des hommes, des femmes et des personnes de la diversité sexuelle et de genre, une lutte antiraciste pour l’instauration d’une réelle égalité sociale ; une division internationale du travail en coopératives ; 4) une indépendance du Québec en alliance avec les classes ouvrières et populaires du ROC et les nations autochtones et faisant du Québec une terre d’accueil face aux migrations appelées à se développer.
1) Une altermondialisation parcimonieuse basée sur la planification écologique dans la lutte aux changements climatiques passant par une rupture avec le capitalisme fossile
Trump a fait du Drill baby drill, un slogan de sa campagne électorale. Des entreprises internationales au Canada (et même au Québec) seraient prêtes à adopter ce mot d’ordre. La mondialisation capitaliste est une source de prédation des ressources comme de l’énergie, sans parler des pollutions de toutes sortes. Les transports internationaux de marchandises liées à la division internationale du travail contribuent de manière significative aux émissions de CO2. Il faut donc favoriser les relocalisations et la diminution des dépenses découlant des formes actuelles des chaînes d’approvisionnement. Il faut sortir également de la logique de la croissance, qui amène à produire toujours plus, à consommer plus et à ainsi dilapider les ressources minières, forestières et énergétiques de la planète. Il faut sortir des énergies fossiles, du capital fossile, car cette croissance ne bénéficie qu’aux entreprises multinationales.
De cela il découle :
a) la relocalisation des productions stratégiques (aliments, médicaments, moyens de transport…)
b) la lutte pour la sortie des énergies fossiles et le refus de la construction de pipelines ou de gazoducs
c) le refus de l’augmentation de la production de l’hydro-électricité à des fins d’exportation et politique de sobriété énergétique passant par la rénovation thermique des logements qui sont des passoires énergétiques
d) le refus de la privatisation d’Hydro-Québec – et le rejet du projet de loi 69 et la nationalisation/socialisation des énergies renouvelables
e) le rejet de la filière batteries et de l’auto électrique comme solution à la crise climatique et la production locale de moyens de transports publics pour les personnes, et l’utilisation des chemins de fer pour le transport des marchandises
e) le développement d’une agriculture écologique centrée sur la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité en réorientant la production vers les marchés locaux et régionaux et non vers l’exportation et, pour cela, la fin de la production carnée centrée sur l’exportation.
2) la priorité accordée à la satisfaction des besoins sociaux par la défense des services publics dans une perspective d’égalité sociale.
Les responsables politiques nommés par Trump sont souvent des milliardaires. Les mœurs politiques des États-Unis sont corrompues par la puissance de l’argent. Avec l’éventuelle prise du pouvoir par Poilievre, on peut craindre que nombre des modes de fonctionnement de la politique américaine aient leurs effets sur la politique canadienne ou québécoise.
L’actuelle distribution des richesses en faveur d’une minorité des plus riches enlève à la majorité populaire la possibilité de faire des choix qui répondent réellement aux besoins sociaux du plus grand nombre. Le choix des gouvernements vise essentiellement à protéger cet accaparement des richesses par la classe dominante. Les généreuses subventions aux entreprises privées participent de cette concentration des richesses. C’est pourquoi, il faut :
a) abolir les privilèges fiscaux des plus riches et réformer la fiscalité pour la rendre plus juste et plus redistributive
b) augmenter le salaire minimum et garantir le droit au logement en construisant des logements sociaux
c) réinvestir massivement dans les services publics de santé et d’éducation, déprivatiser les cliniques et bloquer l’ouverture d’hôpitaux privés
d) nationaliser l’industrie pharmaceutique et favoriser la production locale et la distribution gratuite des médicaments
e) assurer un véritable service public d’éducation et en finir avec les subventions aux écoles privées
3) Une lutte antipatriarcale défendant l’égalité des hommes et des femmes, pour les droits des personnes trans et une lutte anti-raciste pour l’instauration d’une réelle égalité sociale.
La politique de Trump est sexiste et raciste. Elle remet en cause le droit à l’avortement. Elle stigmatise les Afro-Américains et mène une politique contre les personnes migrantes. Les impacts sur le Canada et le Québec ne sauraient être négligés. Surtout à un moment où le nationalisme québécois prend une forme de plus en plus identitaire et d’exclusion et que les partis nationalistes, comme la CAQ et le PQ n’hésitent pas à utiliser cette démagogie contre une partie de la population du Québec en faisant des personnes migrantes la source de tous les maux de la société québécoise. C’est pourquoi, entre autres choses, le combat contre le sexisme et le racisme et le soutien à l’auto-organisation des opprimés est incontournable. C’est pourquoi les combats doivent :
a) assurer le droit à l’avortement libre et gratuit
b) fournir les moyens nécessaires à la lutte effective contre les violences sexistes et sexuelles
c) soutenir le combat des personnes LGBTQi et lutter contre la transphobie
d) éradiquer les discriminations raciales et l’idéologie raciste, combat essentiel de l’objectif d’égalité sociale que nous poursuivons dans tous ces domaines.
4. L’indépendance du Québec passera par la construction d’une bloc populaire regroupant la majorité populaire d’une société plurinationale et pluriculturelle qu’est le Québec.
Ce bloc populaire passera par :
a) le rejet d’une vision ethnique homogène de la nation et par le rejet du projet nationaliste d’homogénéisation culturelle
b) une politique de rejet des discriminations et le refus de l’existence de secteurs de la société privés de droits et par l’union de toutes les composantes de la majorité populaire dans ce combat
c) par la liberté de circulation et d’installation de toutes et tous les personnes migrantes
d) par l’éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population.
La lutte pour l’indépendance nécessitera une alliance de la majorité populaire du Québec avec les classes ouvrières et populaires du ROC et les nations autochtones et faisant du Québec une terre d’accueil face aux migrations appelées à se développer.
Conclusion
Le projet de vassalisation de la société canadienne et de la société québécoise par l’impérialisme trumpiste a de multiples dimensions. Le rejet de ce projet par l’impérialisme américain ne saurait en rien être réglé au seul niveau de la politique commerciale. Il ne pourra être renversé que par une convergence des luttes sociales portées par les différents secteurs de la majorité populaire au Québec, comme au Canada. La victoire ne sera possible que si la gauche politique et sociale sait clarifier les bases de cette convergence et qu’elle s’attelle avec résolution à cette tâche.
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