photo : Proposition imaginée pour l’îlot Dorchester en 2015, dans le cadre de
la Coalition signé Marc Boutin
Cher Bruno Marchand ; chères élues, chers élus,
« Les racines de Saint-Jambe sont dans Saint-Roch », avait dit notre comparse Michel Côté alors que nous visitions, en repérage pour notre projet artistique La montée des eaux, la coquette cour arrière de feu Marcel Landry et de Michèle Renaut. M. Landry, fidèle à sa devise selon laquelle la beauté a le pouvoir de rendre digne et fier, a contribué à fonder au cœur d’un quartier Saint Roch en mal d’amour, dans les années 1980, l’îlot Fleurie — une initiative citoyenne qui mariait art urbain, jardins pirates et tablées communautaires en plein-air. Plus près de nous, il a initié la tradition de décorer les poteaux de téléphone du bas de la côte Badelard au gré des saisons.
« Les racines de Saint-Jambe sont dans Saint-Roch », disait Michel. Et je rajouterais que Saint Roch aura besoin, pour poursuivre son rôle nourricier, de l’amitié et de la solidarité de la ville au complet. Car bien souvent, il fait triste dans Saint-Roch, et ce n’est pas le projet de Trudel pour l’îlot Dorchester qui corrigerait le tir.
Vivant dans Saint-Roch depuis une demie-décennie maintenant, je constate comment les décideur·euse·s ont fermé les yeux, n’ont pas agi, et ce faisant, comment ils et elles ont négligé qualité de vie et dignité des gens du coin. Je croise tous les jours une grandissante misère humaine qui me désole. Je ne comprends pas comment une ville aussi riche que la nôtre peut laisser autant de gens dormir dehors par un froid pareil. Je ne comprends pas non plus pourquoi le boulevard Charest, que je traverse chaque fois inquiète, fait encore pénétrer pléthore de camions au cœur du centre-ville alors que le traffic lourd devrait être détourné vers une autoroute. Il m’est aussi incompréhensible qu’on laisse Saint-Roch suffoquer dans ses îlots de chaleur ; rappelons que le quartier présente l’un des taux de canopée les plus bas de la ville (15%). Pour en rajouter, ce quartier où manquent cruellement verdure et logements abordables a été pris comme terrain de jeu par quelques spéculateur·ice·s immobilier·e·s, ainsi que par des propriétaires qui multiplient les offres d’hébergements temporaires de type Airbnb — c’est l’un des secteurs qui en compte le plus à Québec.
Chaque fois que s’envole mon chapeau lorsque je longe la tour Fresk, à côté de la bibliothèque Gabrielle-Roy, je me demande avec colère comment a-t-on pu à ce point se laisser piétiner, en tant que citoyen·ne·s, et laisser s’ériger des horreurs pareilles (que l’on pense à l’intégration architecturale à la trame du quartier ou aux corridors de vent engendrés, sans parler des problèmes de lumière ou de non-accessibilité), de surcroît, sur ce lieu emblématique de la défunte place centrale de la Basse-Ville, dont la tour Fresk a dévoré la dernière miette. La place Jacques-Cartier, à l’époque, accueillait le peuple de la Basse-Ville de l’église jusqu’à la rue Dorchester (environ jusqu’à l’édifice qui abrite aujourd’hui le restaurant le Bureau de poste).
Faut-il rappeler que c’est là qu’ont débuté les émeutes contre la conscription, en 1918 ? La colère de la foule avait alors fait trembler les élus dans leur hôtel de ville.
Qu’attendrez-vous pour réaliser que des projets comme celui de Trudel n’ont pas leur place dans Saint-Roch ? Je crois qu’il serait temps de vous mettre au diapason des difficultés qu’y rencontrent les gens à cause des mauvaises décisions accumulées des décideur·euse·s. Saint Roch a déjà été défiguré par l’érection de trop de tours bien trop hautes pour son cadre bâti, de même que par la construction de boulevards et d’autoroutes comme autant de cicatrices dans son tissu urbain. Le quartier mérite mieux qu’un projet immobilier de 20 étages, projet qui vise deux fois plus haut que la limite permise (qui est déjà au moins deux fois, si ce n’est pas trois fois, trop haute), et qui servirait surtout à l’enrichissement d’un promoteur immobilier à qui le ciel n’appartient pas plus qu’aux gens à faible revenu ou sans-abris qui cherchent à se loger.
L’heure est grave, tant d’un point de vue climatique que de celui du logement social et abordable — d’autant plus pour les personnes les plus vulnérables et pauvres de la société, qui sont affectées de façon disproportionnée par ces crises. Rappelons qu’encore en 2012-2016, on jouissait dans la Basse-Ville d’une espérance de vie de 8,2 années de moins (!) qu’en Haute Ville. Dans ce contexte, c’est une honte, pour dire le moins, qu’une telle proposition nous soit faite. C’est pourquoi je vous encourage à ne pas accorder cette faveur à Trudel — celle d’outrepasser un PPU qui a été adopté démocratiquement en 2017 — et de façon générale, à faire barrage aux projets immobiliers de la trempe du Watson, ce gratte-ciel récemment construit en face de l’épicerie Métro, où un 4 1/2 se loue 1837,50$ par mois.
En réponse à ces crises qui bouleversent nombre de sociétés dans le monde, chaque instance doit faire tout ce qui est en son pouvoir. La Ville de Québec, en l’occurence, doit d’abord faire respecter les règles dont elle s’est elle-même dotées. Ensuite, elle doit encourager et soutenir par tous les moyens les initiatives respectueuses du cadre bâti et des résident·e·s, qui incluent des espaces verts et une majorité de logements sociaux. Plusieurs de ces projets sont déjà en germe, que l’on pense à celui imaginé en 2015 par la Coalition citoyenne pour l’îlot Dorchester (http:// coalcitoyenne.blogspot.com) ou à d’autres ailleurs au centre-ville ; l’îlot Saint-Vincent-de-Paul sur la côte d’Abraham, le projet pour l’ancienne école Saint-Louis-de-Gonzague dans le Vieux Québec, Avenir Saint-Patrick dans Montcalm.
Quand les racines crient famine, ce n’est pas de bon augure — ainsi je ne peux que vous enjoindre à mettre l’épaule à la roue au plus vite !
Alice Guéricolas-Gagné, autrice de Saint-Jambe et résidente du quartier Saint-Roch
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