Déconcerté et dépossédé.
Voilà comment je me sens quand j’arpente ce centre-ville de Québec qui est le mien depuis plus de soixante ans.
J’ai beau nicher à un battement d’aile de l’endroit, je ne vais plus au Parc Jean-Paul L’Allier, ce véritable poumon urbain au cœur de la basse-ville, précieuse oasis de verdure et de fraîcheur où il faisait si bon respirer avant. Pire, moi, un inconditionnel de Saint-Roch, un ancien « bum » même, j’évite maintenant le parvis de l’église et j’ai beaucoup moins de plaisir à aller flâner entre les rayons de la nouvelle bibliothèque Gabrielle-Roy, si belle et si lumineuse soit-elle. N’en déplaise aux jovialistes et aux porteurs de lunettes roses, Saint-Roch est malade. Très.
Trop de pollution, d’îlots de chaleur et pas assez de canopée ; trop de chantiers et d’encombrements dans les rues et sur les trottoirs ; trop de commerces qui ferment et trop de franchises insipides qui prennent le relais en anglais : Uppercut barber shop, Holy choco, Midnight blue, Grizzly fuzz, etc. ; trop de peinturlurages et de gribouillages sur les murs des maisons et des édifices ; trop de crachats, de souillures et de cochonneries dans les allées, les plates-bandes et sur les bancs des espaces publics ; trop de délabrement, de cris, de hurlements et d’incivilités de toutes sortes. Trop de trop !
C’est comme si partout le laid voulait l’emporter sur le beau. L’immonde et l’avilissant sur le net et l’authentique. C’est comme un magma de décrépitude qui sourd des bas-fonds. Ça suinte et ça dégouline. Mon centre-ville est cassé et souffrant. Il étouffe. Il suffoque…
Mais au fait, qu’est-ce qui a tant changé depuis avant la pandémie ? Quel est cet éléphant dans la pièce que nous avons si peur de nommer et qui est venu bousculer l’ensemble ? Eh oui… Une population itinérante accrue, avec en prime la maladie mentale et la dépendance aux drogues bon marché. Un combo de comorbidité devenu un vortex de détresse humaine qui tourne et stagne au-dessus de la basse-ville et ses alentours ; un gros nuage noir qui enfume tout le reste... Flâner librement sur la rue, musarder et lécher les vitrines en toute quiétude, rêvasser devant la fontaine, les petites joies urbaines quoi.
La faute à qui tout ça ?
Un soir, cet été, au parc Jean-Paul L’Allier, en voyant un forcené décapiter rageusement un pauvre amélanchier avec un bâton de hockey, j’ai compris (sans nécessairement excuser le geste) qu’au fond, la colère et la violence de cet homme ne faisaient que refléter notre propre colère à nous, les « normaux » … Nous qui nous sentons de plus en plus impuissants, délaissés et résignés par la grosse machine d’état, le système de santé, les institutions et tous les services que le gouvernement n’est plus à même de nous fournir. Veut veut pas, normaux et poqués, nous sommes tous dans le même goulot d’entonnoir. Et ce n’est qu’en agissant ensemble que nous allons trouver moyen d’en sortir.
Cela dit, est-ce la faute aux itinérants, aux « multipoqués » et aux désaffiliés, si l’ambiance sociale s’est ainsi plombée en ville ? Est-ce leur faute s’il manque de logements sociaux, d’argent frais, de personnel et de locaux disponibles pour un ajout de centres de crise et de haltes chaleur ? Est-ce leur faute si les paliers municipaux et provinciaux mettent plus d’énergie à se crêper le chignon qu’à mener des actions pérennes et concrètes ? Leur faute, si pour des raisons d’austérité Legault et Carmant réduisent l’aide en santé mentale et poussent l’absurde jusqu’à fermer une institution aussi utile et bien implantée que le « 388 Saint-Vallier » dans Saint-Sauveur ?
Un projet à échelle humaine plutôt qu’une tour-hôtel de vingt étages
Certes, la Ville fait des efforts louables en matière d’itinérance et autres, le travail des organismes communautaires sur le terrain est toujours aussi admirable et l’implication citoyenne au centre-ville est remarquable. Mais ce n’est pas assez et la patience et la résilience d’un peu tout le monde ayant ses limites, il faudra beaucoup plus que ça pour tirer Saint-Roch vers le haut. Et beaucoup plus aussi que les sérénades sur la bienveillance et le serinage à n’en plus finir sur la cohabitation harmonieuse et tout le tintouin. L’élastique est étiré au maximum. L’heure est grave. Il faut un électrochoc majeur, un élément clé, un geste fort, quelque chose qui pourrait servir de liant aux actions concertées de « toute » la communauté. Quelque chose, une mesure d’envergure qui pourrait fort bien ressembler à ce que fut l’avènement du parc Jean-Paul L’Allier pour le renouvellement du vieux « Saint-Roch Plywood », au temps de la guerre des motards et de la morosité économique des années 90.
Un événement majeur donc, qui pourrait être n’importe quoi sauf le projet discordant et disproportionné de tour-hôtel de vingt étages des frères Trudel à l’Îlot Dorchester en basse-ville. On ne règle pas un problème en faisant de la fuite par en avant. Two wrongs don’t make a right, n’est-ce pas ?
Et pour redynamiser le quartier, pour redonner le goût du centre-ville à tout le monde, pourquoi pas un projet de développement de l’Îlot Dorchester qui serait à échelle humaine et qui pourrait s’inspirer de celui que le regretté architecte et militant Marc Boutin avait présenté en 2015 ? Ça, ou n’importe quel chantier d’aménagement urbain majeur s’inspirant de ce que l’on s’apprête à construire à l’Îlot Saint-Vincent-de-Paul suite aux longues luttes de terrain des différents groupes et comités de citoyens locaux ?
Pour sûr, ça ramènerait Saint-Roch et son chien à la surface, et ça nous redonnerait le goût du centre-ville. Le goût de Saint-Roch.
Gilles Simard, auteur et citoyen de Québec.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d’aide financière à l’investissement.
Un message, un commentaire ?