Dans la période récente, il y a eu un déblocage. Des mouvements populaires ont constaté qu’on ne pouvait pas unifier le peuple en confiant son sort à un seul acteur, un sauveur suprême. Les grands partis de gauche qui prétendaient agir au nom de tout le peuple, ne sont pas parvenus à éviter des structures d’autorité et de verticalité entre le « centre » et les mouvements à qui on disait quoi faire. Au nom de l’unité, on a établir une culture tordue, qui occultait les différences au sein du peuple. On se laissait confondre, au nom d’une unité » mythique et proclamatrice, et on disait aux uns et aux autres, « attendez camarades, le comité central a décidé de … »
Maintenant que cet ancien modèle socialiste est passé d’âge, on voit la force et l’expansion de plusieurs mouvements populaires. Les paysans sans terre du Brésil prennent leurs initiatives eux-mêmes, ils ne dépendent pas de la gauche au Parlement. En Bolivie, les paysans autochtones ont cessé d’attendre après les partis progressistes traditionnellement urbains. À travers les divers « printemps » arabe, africain, européen, québécois qui ont surgi partout apparaît une multitude de mouvements et d’initiatives qui agissent, et en même temps qui se concertent et plus encore, qui convergent. Converger, cela ne veut pas dire se « fondre » et accepter un « centre » extérieur. Converger, cela veut dire prendre ses propres décisions et voir comment, quand et avec qui on peut se battre avec d’autres. On dit quelques fois, « nous sommes différents, mais nous marchons ensemble »…
C’est ce qui s’est passé au printemps 2012 au Québec. Les étudiant-es, avec leurs structures décentralisées, imputables et soumises à la démocratie directe, ont expérimenté cette convergence. Ce n’était pas GND ou l’exécutif de l’ASSÉ qui décidaient, mais les assemblées générales dans les cégeps universités. En plus, le mouvement étudiant a « contaminé » des groupes citoyens, écologistes et populaires qui ont embarqué dans la défense des carrés rouges.
Certes, une telle convergence ne peut pas être « décrétée ». Il faut qu’il y ait un « moment politique », si on peut dire. Pour autant, ces « moments » ne peuvent prendre forme si les mouvements et les résistances n’acceptent pas de converger, ce qui veut dire qu’ils doivent garder leurs propres capacités autonomes tout en marchant avec les autres.
Que peut-on faire alors ? Il n’y a pas d’autre départ que de construire des organisations populaires de base autogérées, aptes à élaborer des stratégies. Il n’y a pas d’autre moyen que de faciliter entre ces organisations un multi-dialogue, une multi-exploration, sans exclusive, sans hiérarchie arbitrairement définie. Il n’y a pas d’autre tactique que d’élaborer un front commun mobile, créatif, décentralisé, capable de frapper sur les « maillons » faibles de l’adversaire. Les intellectuel-les de gauche ont alors un gros « contrat », via les outils méthodologiques dont ils disposent et qu’ils doivent constamment développer : identifier ces « maillons » et soutenir l’intense travail d’auto-organisation et d’auto-formation du peuple.