Quant à Mouterde, dans un texte publié le 17 mai sur Presse-toi à gauche, il renvoie dos à dos aussi bien les tenants de la proposition d’amendement au programme de Québec solidaire voulant que l’Assemblée constituante se voit confier un mandat restreint l’obligeant à développer exclusivement un projet de constitution pour un Québec indépendant comme Alexandre Leduc, que les défenseurs du maintien de la position actuelle du parti assurant l’autonomie de cette assemblée élue pour qu’elle puisse permettre le plein exercice de la souveraineté populaire comme moi.
La pratique de de la démocratie participative n’a pas pour but de bricoler un ‘unanimisme consensuel’ artificiel
L’intellectuel chevronné qu’est M. Mouterde, me fait bien d’honneur en mentionnant dans le titre de son texte « Réponse à Paul Cliche ». Pour réfuter les arguments que j’utilise en faveur du maintien de l’autonomie de l’Assemblée constituante il écrit notamment que les personnes qui partagent mon point de vue « restent prisonnières d’une vison de la politique ‘unanimiste et consensuelle’ à cent lieues de la façon dont une formation de gauche comme Québec solidaire devrait s’en tenir ». Mais, à mon avis, ce dernier se méprend en assimilant une authentique démarche de démocratie participative au bricolage d’un ’unanimisme consensuel’ factice et de mauvais aloi.
On sait que la participation citoyenne est la clef de voûte du processus constituant que propose Québec solidaire pour accéder à l’indépendance. Le programme du parti précise à ce sujet : « Parler d’Assemblée constituante c’est proposer de discuter de la manière la plus démocratique et la plus large possible des mécanismes essentiels pour articuler le projet d’indépendance politique et les revendications sociales (…) La stratégie de Québec solidaire consistera à mettre en route et à développer une véritable démarche citoyenne afin que toutes et tous soient associés à la détermination de notre avenir collectif (…) Pour être légitime ce processus devra être profondément démocratique, transparent et transpartisan ».
Rappelons que cet énoncé de programme, qui ne comporte aucune ambiguïté contrairement à ce que soutiennent M. Mouterde et les tenants d’une Constituante avec mandat restrictif, est le prolongement de la Déclaration de principes adoptée en 2006 lors du congrès de fondation de Québec solidaire. Ce document cardinal est explicite : « La question nationale, statue-t-il, n’appartient pas à un seul parti politique ni même à l’Assemblée nationale. Elle appartient à toute la population du Québec. C’est pourquoi notre parti propose que le débat sur l’avenir du Québec se fasse au moyen d’une vaste démarche de démocratie participative. Toute la population pourra ainsi se prononcer sur des changements politiques et constitutionnels, de même que sur les valeurs qui y seront associées. Un référendum clôturera cette démarche qui favorisera la réflexion la plus large et la plus inclusive possible ».
Or, je ne détecte aucunement dans la position actuelle de notre parti la vision « unanimiste et consensuelle » que Pierre Mouterde dénonce. On est loin en effet de tomber dans ce piège en empruntant la voie de la démocratie participative, la seule qui puisse permettre qu’une solide majorité populaire se dégage en faveur de l’indépendance du Québec lors du référendum qui clôturera le processus constituant. J’estime donc qu’une démarche authentique de démocratie participative se situe aux antipodes du bricolage d’un ‘unanimisme’ ou d’un ’consensualisme’ de mauvais aloi.
Je ne crois pas non plus que ma prise de position « fasse resurgir les traces au Québec, et plus particulièrement au sein de Québec solidaire, d’une volonté d’unanimisme démesuré », comme le soutient M. Mouterde, Est-ce de l’unanimisme en effet que de vouloir obtenir une solide majorité populaire en faveur de l’indépendance ? Si tel est le cas notre parti est contaminé depuis sa naissance parce que je défends précisément la Déclaration de principes qu’il a adoptée lors de son congrès de fondation. On ne peut donc pas m‘accuser de déviationnisme ! Dans la même ligne de pensée, ce dernier émet des réserves au sujet de « l’inclusivité qu’appellerait l’approche consensuelle » Oublie-t-il encore là que la Déclaration de principes veut que le processus constituant « favorise la réflexion la plus large et la plus inclusive possible », comme on l’a lu plus haut. Ce qui m’amène à poser la question suivante : Si le processus constituant n’était pas ‘inclusif’ serait-il exclusif et, alors, qui en serait exclu ? Ceux et celles qui ne pensent pas comme nous ? Voilà un vocabulaire qui me ramène des réminiscences des années 1970 alors que des groupes de gauche, au nom d’un marxisme-léninisme mal digéré, excluaient ce qui ne correspondait pas à une certaine version de ‘la ligne juste’. Selon ce syndrome il y avait les ‘bons’ et des’ méchants’, a expliqué Pierre Beaudet. [1]
Il me semble par ailleurs inconcevable que le congrès de 2016 contredise, par le biais d’un débat sur la nature du mandat à confier à l’assemblée constituante, de grands pans du document fondateur qu’est la Déclaration de principes de Québec solidaire qui a constitué jusqu’ici le ciment unissant les divers courants de gauche qui constituent notre parti. Pourquoi ne joue-t-on pas visière levée en remettant tout simplement en cause cette orientation de base lors d’un débat en bonne et due forme qui permettrait à Québec solidaire de raffermir son orientation et de la faire progresser vers un ‘réformisme radical’ plus pointu tout en évitant le ‘cul-de-sac de l’avant-gardisme’. [2]
Un de ceux qui me conforte dans ma position est Normand Baillargeon. Un philosophe à l’esprit universaliste mais qui est bien implanté dans le terreau québécois. Dans ses ouvrages, ce dernier manifeste son souci de mettre à la disposition de ses lecteurs les outils nécessaires à une participation éclairée à ce qu’il appelle la ‘conversation démocratique’. « Il est instructif de penser à la vie politique d’une société démocratique comme consistant en une vaste conversation à laquelle chacun est convié. Cette conversation, qu’on veut sereine et éclairée, serait composée d’échanges de faits et d’arguments et, idéalement, déboucherait sur des décisions auxquelles chacun se rallierait, au moins provisoirement » écrit Baillargeon qui reconnait cependant qu’on a toujours été loin de cet idéal. [3]
Bâtir notre rapport de force pour mater les dominants, mais en ne se trompant pas de cibles
Pierre Mouterde écrit « Quand on est de gauche on ne peut réduire l’intervention politique qu’on promeut à de l’animation communautaire ou citoyenne inclusive ». Certes, mais l’animation communautaire constitue une voie privilégiée pour déboucher sur l’action politique, comme nous l’ont démontré plusieurs expériences dont celle d’Option citoyenne qui a abouti à la fondation de Québec solidaire. Il en a été de même du FRAP, premier parti municipal de gauche au Québec qui, lors des élections de 1970, a fait la lutte à l’administration du maire potentat Jean Drapeau. Ce parti est né, en effet, du regroupement des comités de citoyens des quartiers défavorisés de Montréal qui se sont auto-organisés et qui se sont alliés aux comités d’action politique (CAP) de la CSN. J’ai suivi cette expérience de près puisque, permanent au Secrétariat d’action politique de cette centrale j’ai été président du FRAP et je me suis présenté dans le quartier Rosemont.
M. Mouterde me reproche par ailleurs de « faire reposer mes arguments sur une vision totalement décontextualisée de la lutte pour une Constituante au Québec des années 2000 ». Peut-être sera-t-il surpris d’apprendre que je suis d’accord avec lui lorsqu’il décrit le contexte dans lequel la Constituante serait instituée, celui d’un Québec néolibéralisé. Je suis aussi d’accord avec lui lorsqu’il écrit que le défi d’un parti de gauche comme le nôtre est de faire bouger les rapports de forces sociopolitiques qui protègent les intérêts des groupes dominants afin d’installer des ruptures vis-à-vis de l’ordre établi, en l’occurrence les élites fédéralistes.
Bien entendu, « l’indépendance ne se fera pas à froid », selon l’expression utilisée par Mouterde et Bonhomme. Mais je ne partage pas leur vision pessimiste quant au déroulement du processus constituant. Ils ne croient pas qu’il puisse se dérouler dans un contexte serein. Ils prévoient au contraire, comme l’écrit Mouterde, « une bataille idéologique intense entre partisan.nes de l’indépendance et partisan.nes fédéralistes. Avec à la clef tous les coups fourrés possibles de la part des fédéralistes ! » La loi de la jungle quoi ! Dans cette atmosphère surchauffée on risque toutefois de se tromper de cibles en s’attaquant à du ‘monde ordinaire’ [4] qui font partie du 99% mais qui ont été leurrés jusque là par le 1% et qui seraient récupérables parce qu’ils sont de bonne foi.
En contrepartie de cette vison quasi apocalyptique je crois que seulement une Assemblée constituante autonome pourra avoir une crédibilité suffisante au sein de tous les courants d’opinion, condition essentielle pour pouvoir mener sa tâche à bien. C’est pourquoi elle devra jouir d’un statut semblable aux tribunaux vis-à-vis du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Quant à Québec solidaire ce sont seulement ses élus qui auront un devoir de réserve lorsqu’ils adopteront la loi créant la Constituante. Par la suite ces derniers recouvreront leur entière liberté d’action
Je continue à penser qu’’un processus constituant de cette nature, même s’il constitue un pari, réussira à nous mener à l’indépendance. À condition cependant que nous ne répétions pas les erreurs du passé en forçant l’étiquetage des acteurs sur la question nationale avant même que le processus ne soit enclenché. Les chauds débats qui se produiront inévitablement dans les lieux de discussions ne sont pas à éviter, au contraire. Ce sont eux justement qui permettront aux indépendantistes de mettre à nu l’ensemble des peurs et des arguments utilisés par le camp fédéraliste afin de faire croire à la population qu’elle n’a pas d’autres options que le statu quo constitutionnel.
D’où l’importance primordiale pour les militant-e-s de Québec solidaire, appuyéEs solidement par leur parti, d’investir massivement les lieux de discussion et de participer aux délibérations avec ferveur en affirmant haut et fort leurs convictions progressistes. Je suis convaincu qu’une telle participation permettra de dégager peu à peu une forte majorité populaire en faveur de l’indépendance. Les coups fourrés des dirigeants fédéralistes et la propagande -voire la désinformation- des médias à la solde des dominants n’auront alors plus tellement de prise sur l’opinion publique parce que la plupart des gens auront compris les enjeux en cause. Après avoir comparé les différents points de vue ils auront pu se faire leur propre opinion et ainsi, exprimer ce qu’ils désirent au plus profond d’eux-mêmes.
Il faudra aussi que les mouvements populaires et syndical se mobilisent -encore plus qu’ils ne l’ont fait lors du référendum de 1995- afin de créer un vaste mouvement qui luttera pour l’émancipation sociale et politique des Québéc.oises. C’est de cette façon que nous bâtirons notre rapport de force sans parler des luttes que nous mènerons sur les autres fronts. Mais pour que l’opération réussisse, pour que la participation soit massive il faut absolument que les citoyen.nes sentent qu’ils sont au coeur du processus et qu’il ne s’agit pas d’une autre consultation bidon.
Montréal, 23 mai 2016