Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Truquer les dés avant de les lancer

Ainsi le gouvernement a déposé le projet de loi 110 à l’ultime journée de la dernière session parlementaire de l’Assemblée nationale. Projet de loi curieux et alambiqué s’il en est un et qui représente la contrepartie du PLQ pour l’appui à son pacte fiscal qu’il a reçu de l’UMQ. La joute légale se poursuivra cet automne. Rendez-vous est donc donné le 20 septembre.

Ce projet de loi représente un tango boiteux qui tente de contourner 4 jugements récents de la Cour suprême du Canada (CSC) et d’autres Cours inférieures qu’elles ont rendus entre janvier 2015 et avril 2016. Ceux-ci renversent la tendance jurisprudentielle établie depuis la création de la Charte canadienne, à savoir la primauté des droits individuels et la quasi-inexistence de droits collectifs, par la reconnaissance du droit d’association dans un syndicat, du droit à la négociation collective et du droit de grève. Voilà la conclusion légale d’une dizaine d’années de lutte de divers syndicats de la fonction publique à travers le Canada contre l’unilatéralisme de leur employeur.

Cela représente un très mauvais timing pour le PLQ. Dès son arrivée au pouvoir en 2014, il a promis aux maires un arsenal législatif qui leur permettrait de décréter les conditions de travail de leurs employés. Ils se présentaient alors telles des victimes, ce que ne manquait pas Labeaume en aucune occasion qui lui en était donnée de ce faire. Celui-là pourtant avait jeté la serviette juridique à l’automne 2013 après avoir essuyé des défaites successives à la Commission des Relations de Travail (CRT), à la Cour Supérieure et, enfin, à la Cour d’appel du Québec contre des accusations de "négociations de mauvaise foi" et d’ingérence. On a vu mieux en fait de victime ! Ce que voulait et veut toujours ce maire, comme d’autres, c’est de ne pas avoir à négocier ! Du moins d’êgal à égal. Il ne veut rien entendre, non plus, de la possibilité qu’une tierce partie indépendante, tel un arbitre, tranche. C’est cela l’unilatéralisme ! Ce projet de loi sort d’un chapeau de magicien un modèle de négociation collective jamais vu dans notre coin de l’univers si ce n’est qu’une baloune de ce genre a été déposée à la Chambre au parlement du Nouveau-Brunswick voilà quelque trois mois qui a finalement été retirée depuis, sachant l’entreprise inconstitutionnelle et donc condamnée à l’avance.

LA FABLE DE "LA CALÈCHE", "DES BRETELLES ET DE LA CEINTURE"

Le maire Coderre s’est comporté en véritable matamore dans le "dossier" des calèches. Il n’a jamais crié "gare" avant de décocher son tir. Il aurait pu donner un préavis, etc. avec l’intervention de la Cour, qui l’a rappelé à l’ordre, cela s’est terminé là où ça aurait dû commencer. Il a déclaré peu de temps après son élection : "There’s a new shériff in town.". Il s’est fait justice lui-même avec son marteau-piqueur à l’endroit de Postes Canada. Il a aussi agi unilatéralement dans ce qui est maintenant convenu de nommer le "flushgate". Le duo Labeaume-Coderre forme un couple de "mauvais gagnants". Ce n’est jamais assez. Ainsi, ils ont réclamé et obtenu la loi 15 sur les régimes de retraite l’an dernier. Ils devaient négocier de bonne foi. Nous avons entendu le président du syndicat montréalais des policiers se plaignant d’attendre encore à ce jour qu’une rencontre ait lieu.

Parlons maintenant du projet de loi (PL) 109. Il a reçu une couverture minimale suite à son dépôt immédiatement avant celui sur la négociation dans le secteur municipal (PL110). Il modifie les Chartes respectives de Québec et Montréal. Le maire Coderre a déclaré en Commission parlementaire tenue à ce dernier sujet qu’il lui fallait obtenir la centralisation des négociations plutôt que de demeurer dans l’état actuel des choses et que 19 arrondissements en fassent à leur tête, cela lui permettrait de contrôler, maîtriser ses coûts de main-d’oeuvre. Le PLQ a obtempéré à ses demandes en modifiant la Charte tel qu’il l’a demandé. Il faudrait donc conclure que Coderre n’a plus besoin du PL110, car il a obtenu les outils demandés. Pas pour lui. Il lui faut tant les bretelles que la ceinture ! Un chausson avec ça ?

C’est aussi une nouveauté dans ce PL110 que de vouloir limiter les comparaisons salariales à l’intérieur du Québec. Policiers et pompiers montréalais ont des comparables plus plausibles avec les villes de Toronto, Calgary et Vancouver plutôt que Shawinigan et Saint-Hyacinthe. Quelqu’un veut piper les dés ? Les maires de ces villes n’ont jamais crié aux loups à l’effet que le système d’arbitrage ou les bases de comparaison n’étaient pas bons. Les maires Tory de Toronto, ancien chef ontarien du parti conservateur, le maire Nanshi de Calgary et Robertson de Vancouver, plus à gauche représentent le spectre politique canadien ; il y a pourtant consensus que le système fonctionne et que les arbitres font leur travail tel qu’ils le devraient. Il n’indiquent pas de "capacité de payer" non plus.

Il est étonnant que le gouvernement et les maires veuillent soudainement limiter les comparatifs au Québec alors même que les médecins, les juges sont comparés avec ceux du reste du Canada. Le PLQ a même changé les bases de référence pour la rémunération des députés avec le PL79 qu’il a déposé à la session parlementaire de l’automne dernier. Jusque là leur salaire et son évolution étaient comparés à la richesse des Québécois. Ce qui devrait être bon pour minou devrait l’être pour pitou.

UN PEU D’HISTOIRE

Les syndicats d’employés municipaux existent depuis longtemps, un siècle dans les cas de Vancouver, Toronto et quelques autres. Les cols blancs de Montréal existaient déjà dès 1921 en tant qu’association qui se dotait d’une assurance collective. Pendant ce temps les infirmières tentaient encore de négocier avec Jean Lesage au début des années 60, qui déclarait du haut du parlement "que la reine ne négocie pas avec ses sujets !". L’obtention du droit de négocier collectivement pour les employés du secteur public québécois constitue, en fait, une partie intégrante de cette période que l’on a nommée "Révolution tranquille". Le Front Commun des années ’70 était loin derrière dans la rémunération qu’il touchait par rapport au secteur municipal. Déjà, au début des années ’80, le secteur public québécois voyait certains d’entre eux subir une compression salariale allant jusqu’à 20% alors même qu’ils étaient en mode récupération par rapport aux travailleurs municipaux. Faut-il être surpris alors de l’existence d"un différentiel dans la rémunération des uns par rapport aux autres ? Les travailleurs du secteur municipal n’ont rien volé, ni kidnappé de maire afin d"obtenir leur dû. À nouveau est à l’œuvre une tentative d’écraser des conditions de travail vers un plus petit dénominateur.

Au tournant des années ’80, les maires d’ici se sont mis à demander l’obtention du droit au "lock-out". Ailleurs au Canada les employés municipaux bénéficiaient du droit de grève pour la plupart alors qu’à l’inverse les maires avaient le droit au lock-out. Seul le Québec était doté d’une loi dite "anti scab". C’est donc dire qu’ailleurs un maire pouvait recourir au lock-out combiné à l’usage de scabs (travailleurs de remplacement). Cela pouvait apparaître comme un avantage injuste pour les maires hors du Québec. Or il existait au Québec une contrepartie unique à nous : une loi sur les services essentiels dès le milieu de cette décennie qui a assujetti par la suite tous les employés municipaux. Ainsi pas de scabs ici, mais il n’y aurait pas de place pour eux, car peu de travailleurs peuvent effectivement quitter leur travail ici lors de l’exercice de ce droit qui est limité par cette obligation de pourvoir à des "services essentiels en temps de grève".

La Charte canadienne des droits a vu le jour avec le rapatriement unilatéral de la Constitution au tournant des années ’80. L’un de ses effets a consisté à faire valoir continuellement des droits individuels au détriment de droits collectifs. Bien que les batailles syndicales se soient poursuivi, les tribunaux ont représenté une arme de choix pour ajouter du poids à l’arsenal mis en place face aux travailleurs. Un quart de siècle plus tard cela a changé. Un nouveau courant jurisprudentiel est en train d’être établi, comme un mouvement de bascule qui ramène les choses. Cela cause maintenant de sérieuses migraines aux maires "Labeaumesques" pour qui "la reine ne négocie pas avec ses sujets."

LA REINE DOIT NÉGOCIER AVEC SES SUJETS QUOIQU’EN DISE LE PL110

Cet acharnement à tenter de trouver des moyens, des trucs, raccourcis et subterfuges afin de se soustraire de l’obligafion de négocier d’égal à égal doit cesser. Le droit constitutionnel à la liberté fondamentale d’association contenu à l’a.2 d) de la Charte canadienne (et que l’a.3 de la Charte québécoise produit le même effet) et conséquemment le droit de négociation collective et de grève ont été réaffirmés coup sur coup dans une série de jugements qui ont été rendus en 19 mois (de septembre 2015 jusqu’à tout dernièrement en avril 2016).

Cela fait suite à la décision qui, en 2007, a ouvert le chemin : "Health services". Des travailleurs de la santé en C.-B., membres du SCFP ont réussi à faire reconnaître que le droit d"association veut dire quelque chose et qu’il comprend le droit à la négociation collective. La CSC a réaffirmé cela en janvier 2015 avec sa décision "Association de la police montée". Elle y affirme que "pour faire face, à armes égales et à la puissance et à la force de [...] leur employeur...ils ont le droit de se syndiquer.". Dire que Labeaume soutient tout le contraire.

En 2015 encore, la CSC a rendu un verdict en faveur de la Fédération du travail de la Saskatchewan et de ses syndicats affiliés. Le nouvel élu provincial, Wahl, s’était empressé d’interdire le droit de grève dès son arrivée. La Cour a conclu que c’est l’éventualité de la grève qui permet de négocier avec leur employeur "presque sur un pied d’égalité", sans cela "la négociation risque de n’être qu’un voeu pieux". Le cauchemar pour notre duo de maires...et tous ceux à l’UMQ. La CSC continue dans sa description : la grève est le "moteur" de la négociation collective. Ainsi, enlever le droit de grève, porte atteinte, à première vue, au droit d’association, car on entrave alors substantiellement leur capacité de négocier collectivement. Ce ne sont donc pas de sombres arbitres qui rendent de tels jugements comme les maires le laissent entendre.

Le PL110 par le recours à une médiation (qui ne constitue pas un arbitrage), puis à un mandataire, et qui permet à une partie d’imposer sa position est une "négociation" en nom seulement. Le pouvoir de "décret" (loi d’urgence) existe et il est balisé. Là encore les tribunaux viennent de la tourner la vis. Une loi d’urgence, comme le nom le dit son nom, revêt un caractère exceptionnel. Le législateur est certes souverain et il peut même brimer les droits de certains (ici on parle de travailleurs) en faveur du bien commun. Il s’agit habituellement d’une situation mettant en péril la santé et la sécurité de la population. Peut-il décréter les conditions de travail en se justifiant que la négociation traîne et s’étire depuis des mois (comme le laisse entrevoir le PL110) ? Non. Il n’y a pas urgence. D’ailleurs nos deux maires ont fait durer leurs négociations trois et même quatre ans.

Invoquer vaguement une situation financière ou une capacité à payer n’a rien d’exceptionnel non plus. Pour contrer, une fois de plus, un tel unilatéralisme, la Cour supérieure cette fois de l’Ontario vient de rendre jugement en faveur du syndicat des Postiers du Canada le 28 avril dernier contre le gouvernement fédéral de Harper en invalidant la loi spéciale forçant leur retour au travail parce que cela a constitué une atteinte au droit de négociation et de grève. Pourtant ce gouvernement avait justifié son acte par "l’urgence de préserver l’économie du pays mise en danger". Comme alibi cela est pas mal plus gros que ce que peuvent dire nos deux compères déjà nommés.

Si l’objectif premier pour retirer ce droit n’est pas mû par la nécessité de préserver la santé et la sécurité de la population, mais cherche plutôt à réduire les coûts de main-d’oeuvre, il n’y a alors pas d’urgence pour les tribunaux. C’est un raccourci. Il faut se battre contre l’adoption d’une telle loi cet automne. Cela limitera les dégâts, car elle est vouée à l’échec si elle avait à subir le test des tribunaux. Entre-temps il faut continuer à faire ce qui fonctionne à 96% dans le secteur municipal : négocier de bonne foi.

Claude Généreux

Maintenant retraité, il a été secrétaire-trésorier national du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).Il a aussi présidé et dirigé un régime et une Caisse de retraite pendant plus de 10 ans.

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