Édition du 28 janvier 2025

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Monde du travail et syndicalisme

Il est temps de mettre fin au programme d’exploitation des travailleurs et des travailleuses étrangèr.e.s

The Maple, le 13 janvier 2015
https://www.readthemaple.com/its-time-to-end-the-exploitative-foreign-worker-program/?ref=maple-digest-news-newsletter

Les données publiées en ligne par le gouvernement du Canada montrent que le montant des amendes infligées aux employeur.e.s qui embauchent des travailleurs et travailleuses dans le cadre du Programme des travailleurs, travailleuses étranger.e.s temporaires (PTET) a augmenté de façon marquée en 2024.

Selon les données d’Immigration, Réfugié.e.s, et Citoyenneté Canada, le gouvernement du Canada a imposé 153 amendes aux entreprises qui emploient des travailleurs et travailleuses étranger.e.s temporaires au cours de la dernière année civile. Prises ensemble, ces sanctions pécuniaires ont totalisé $4,030,250, l’amende moyenne s’élevant à $26,341.

Il semble que cette tendance s’inscrit dans la continuité de celle observée ces dernières années, qui est celle de la hausse des amendes et des sanctions. Selon un reportage du Globe and Mail de mai 2024, 194 entreprises ont été pénalisées pour avoir enfreint les règles du PTET en 2023 et ont reçu des amendes totalisant $2,7 millions. Ainsi, bien que le nombre total d’amendes ait légèrement diminué en 2024, leur valeur monétaire a sensiblement augmenté.

De plus, la valeur moyenne des amendes augmente depuis plusieurs années. En 2023, l’amende moyenne était de $13,841, contre $11,606 en 2022, $9,761 en 2021 et $3,077 en 2020.

Les amendes peuvent varier considérablement en fonction de la nature et de l’ampleur des infractions et du dossier de conformité de l’entreprise. Par exemple, la plus petite pénalité infligée en 2024 était de $750, tandis que la plus élevée concernait une amende de $365,750 imposée en avril dernier à une entreprise de transformation de homards basée au Nouveau-Brunswick pour une série d’infractions, dont la plus grave incluait le fait de n’avoir pris des mesures contre des abus de toutes sortes. Dans ce cas, l’entreprise s’est également vu interdire l’embauche de travailleurs et de travailleuses par l’intermédiaire du PTET pendant deux ans.

Il semble que les interdictions imposées - dans presque tous les cas temporaires - aux employeur.e.s deviennent également plus nombreuses. En 2024 31 entreprises ont été temporairement exclues du PTET pour des périodes allant d’un à dix ans, tandis que dans un cas, une entreprise a été définitivement exclue. Cette entreprise, un vignoble en Colombie-Britannique, a également reçu une amende de $118,000 pour des infractions liées au fait de ne pas avoir empêché les abus sur le lieu de travail.

L’abus des travailleurs et des travailleuses étranger.e.s temporaires n’est pas bien sûr chose nouvelle. Mais le nombre croissant de ces travailleurs et travailleuses vulnérables employé.e.s au Canada a rendu le problème encore plus répandu.

Alors que les entreprises se plaignaient d’une pénurie généralisée de main-d’œuvre après la pandémie, le gouvernement fédéral a réagi en assouplissant les règles régissant le PTET et d’autres programmes facilitant l’accès aux travailleurs et travailleuses immigrant.e.s et migrant.e.s.

Après les changements apportés au PTET en 2022, la plupart des employeur.e.s pourraient embaucher jusqu’à 20 % de leurs travailleurs et travailleuses comme migrant.e.s temporaires, contre 10 % auparavant. De plus, les employeur.e.s de sept secteurs identifiés comme connaissant d’importantes pénuries de main-d’œuvre, notamment la fabrication de produits alimentaires, les services de restauration et d’hébergement et la construction, pourraient embaucher jusqu’à 30 % de leur main-d’œuvre grâce au PTET.

Alors que le marché du travail commençait à s’affaiblir, les employeur.e.s ont intensifié leurs efforts pour embaucher des migrant.e.s temporaires, notamment dans la restauration rapide et la construction, mais aussi dans le secteur de la santé. À mesure que les employeur.e.s ont eu un meilleur accès aux travailleurs et travailleuses migrant.e.s temporaires vulnérables, le gouvernement a détecté davantage de cas d’abus.

Les expériences négatives des travailleurs et travailleuses migrant.e.s employé.e.s dans l’agriculture ont retenu l’attention des médias. Mais les abus dans le cadre du PTET s’étendent bien au-delà de ce seul secteur, comme le montre clairement l’examen des données du gouvernement.

Le gouvernement fédéral ayant à la fois élargi l’éventail des secteurs pouvant accéder aux travailleurs et travailleuses étranger.e.s temporaires et assoupli les règles imposées aux employeur.e.s qui cherchent à recruter ces travailleurs et travailleuses, l’exploitation et les abus des migrant.e.s ont désormais lieu dans davantage de secteurs de l’économie.

Le gouvernement libéral a pourtant fait preuve de grandes inconséquence et incohérence en ce qui concerne les travailleurs et travailleuses migrant.e.s temporaires. Après avoir déjà élargi le recours au PTET et à d’autres programmes de migration en réponse aux pressions exercées par les entreprises, le gouvernement a brusquement changé de cap l’an dernier et a indiqué qu’il allait limiter le nombre de travailleurs et trvailleuses temporaires.

Сette réorientation politique s’inscrit en partie dans un effort global visant à réduire la migration et l’immigration au Canada, qui faisait souvent des nouveaux immigrants, nouvelles immigrantes, des étudiants étrangers, étudiantes étrangères et des travailleurs et travailleuses migrant.e.s des boucs émissaires pour des problèmes, tels que la hausse des coûts du logement et le manque de ressources dans les services de santé. Pourtant, les nouvelles restrictions sur la migration de main-d’œuvre temporaire étaient également une réponse à une inquiétude généralisée concernant l’exploitation et les abus des travailleurs et travailleuses migrant.e.s temporaires.

Tout au long de la seconde moitié de 2024, l’attention s’est renouvelée sur les abus généralisés des migrant.e.s travaillant au Canada dans le cadre du PTET et d’autres programmes. En particulier, un rapport accablant du rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, Tomoya Obokata, qui critiquait fortement le programme, a reçu une attention médiatique considérable.

Lorsque le gouvernement fédéral et les député.e.s conservateurs et conservatrices de l’opposition ont remis en question la caractérisation du PTET par le fonctionnaire de l’ONU comme « un terreau fertile pour les formes contemporaines d’esclavage », Obokata a maintenu ses commentaires, bien qu’il ait déclaré qu’il devait rassembler davantage de preuves avant de publier le rapport final.

Lorsque le rapport a été publié en juillet, sa principale recommandation – mettre fin au système de permis de travail fermés qui lie les travailleurs et travailleuses à des employeur.e.s particulier.e.s – a été largement ignorée.

Au lieu de cela, le débat s’est porté sur le nombre de travailleurs étrangers, travailleuses étrangères temporaires plutôt que sur la conception du programme et sur la manière dont il génère systématiquement des risques d’exploitation et d’abus.

Les permis de travail fermés laissent les travailleurs et travailleuses migrant.e.s temporaires entièrement dépendant.e.s des employeur.e.s pour le travail, le logement, l’accès aux soins de santé et de nombreux autres besoins. Une fois au Canada, ces travailleurs et travailleuses ne sont pas « libres » de changer d’emploi, mais sont plutôt lié.e.s à l’employeur.e qui les a embauché.e.s et a facilité leur entrée au pays. De plus, comme la perte d’emploi entraîne généralement l’expulsion, les travailleurs et travailleuses sont réticent.e.s à se plaindre des abus et des mauvais traitements. La structure même du programme, qui se concentre sur des permis fermés qui lient les travailleurs et travailleuses à des employeurs particuliers, employeures particulières, génère une vulnérabilité et un potentiel d’exploitation.

Dans ces circonstances, les inspections gouvernementales et l’application de la loi axée sur la dissuasion constituent la dernière ligne de défense, même si elles ne sont pas suffisantes.

Le fait que le gouvernement impose un plus grand nombre d’amendes d’une valeur monétaire plus substantielle est une mesure positive, bien qu’insuffisante. Comme le soulignent depuis longtemps les spécialistes de la conformité aux normes du travail, une dissuasion efficace nécessite des sanctions significatives. Pourtant, malgré les sanctions plus sévères mises en place ces dernières années, de nombreux cas de maltraitance des travailleurs et travailleuses restent probablement non détectés.

Les entreprises qui emploient des migrant.e.s dans le cadre de programmes de permis de travail fermés sont censées être inspectées pour s’assurer qu’elles respectent les règles du programme. Mais en réalité, les services d’inspection du gouvernement ne disposent tout simplement pas des ressources suffisantes pour détecter tous les cas de non-conformité et d’abus de la part des employeur.e.s.

De plus, les employeur.e.s sont souvent informés à l’avance des inspections et ont généralement la possibilité de corriger leurs actes répréhensibles afin de rester admissibles à participer au programme et à embaucher des migrant.e.s.

Même les employeur.e.s qui reçoivent des sanctions pécuniaires relativement importantes peuvent payer leurs amendes, s’engager à corriger les infractions passées et continuer à employer des migrant.e.s. Par exemple, une entreprise qui a été condamnée à une amende de 78,000 $ en mars de l’année dernière pour avoir enfreint les règles relatives au paiement (le gouvernement ne divulgue pas de détails précis sur les cas individuels) est désormais à nouveau autorisée à participer au PTET. En effet, 38 entreprises qui ont été sanctionnées par des amendes de différents montants en 2024 sont désormais autorisées à embaucher des travailleurs et travailleuses migrant.e.s.

En fin de compte, la seule façon de véritablement résoudre les problèmes au cœur du PTET est de supprimer le système de permis de travail fermé du programme. Lier les travailleurs et travailleuses à des employeur.e.s spécifiques est une forme de travail non libre qui génère l’exploitation, les mauvais traitements et les abus.

En outre, les travailleurs et les travailleuses en général ont intérêt à ce que ce système d’exploitation cesse. Permettre aux permis de travail fermés et au travail temporaire migrant de perdurer sous leur forme actuelle porte atteinte aux normes sociales de tous les travailleurs, toutes les travailleuses. Comme le dit si bien le vieux slogan syndical, une atteinte à l’un.e est une atteinte à tous et à toute.

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