Qu’on se le dise, aux Etats-Unis, en juillet 2013, il est toujours légal de pourchasser et d’abattre un jeune homme noir désarmé qui rentre chez lui, simplement parce que son air ne vous plaît pas.
La mort, l’année dernière, de Trayvon Martin, 17 ans, a été un événement tragique. Et l’acquittement de George Zimmerman, sous la présidence d’Obama, a au moins le mérite d’être clair. Car les faits n’ont pas été contestés : le 26 février 2012, Trayvon Martin rentrait chez lui tranquillement, simplement “armé” d’une cannette de thé glacé et d’un paquet de Skittles. Le prenant pour un criminel, George Zimmerman, armé de son pistolet 9 millimètres, l’a pris en chasse. Trayvon lui a résisté. Ils se sont battu. Zimmerman l’a tué.
Qui a crié ? Qui était le plus fort ? Qui a appelé ? Qui, quand et pourquoi ? Toutes ces questions ne sont que des détails destinés à alimenter les chaînes d’information continue. Ecartez-les et il ne reste que la vérité, à savoir que Trayvon Martin serait encore vivant si George Zimmerman ne l’avait pas pourchassé et abattu.
Un ordre social violent
Il n’y a aucun doute sur l’identité de l’agresseur. Il apparaît que la seule raison pour laquelle les deux hommes sont entrés en contact est que George Zimmerman estimait qu’il était de son devoir de citoyen d’appréhender un adolescent innocent, suspect par sa seule existence.
Quand, à la suite de l’acquittement de Zimmerman, certaines voix se sont élevées pour appeler au calme, force est de se demander quel calme pourrait bien subsister dans un pays où un tel verdict est possible. Il est peu probable que les parents d’adolescents noirs, les épouses d’hommes noirs ou les enfants de pères noirs gardent leur calme. Les gens qui redoutent aujourd’hui une explosion de violence doivent se demander à qui profite l’existence d’un ordre social violent où il est autorisé d’assassiner de jeunes Noirs de la sorte.
La décision d’acquitter Zimmerman est une honte, mais ce n’est pas une surprise. George Zimmerman n’a été arrêté qu’au bout d’un peu plus de six semaines, et seulement sous le poids des pressions nationales et locales. Ceux qui jugeaient ce procès politique devraient se rappeler que c’est pour des raisons politiques que cette affaire est devenue une controverse.
Aurait-il pu survivre ?
Le chef d’accusation n’aurait pas dû poser le moindre problème. Pourtant, Zimmerman n’a pas tout de suite été poursuivi, car la loi dite “Stand your ground” [protégez votre territoire], en vigueur dans l’Etat de Floride, autorise l’emploi d’une force létale lorsque le sujet a des “raisons valables de le croire” nécessaire afin de protéger sa vie ou celle d’autrui, ou d’empêcher un acte violent.
Sachant que c’est George Zimmerman qui a pris en chasse Trayvon Martin, les questions demeurent : que reste-t-il à un jeune Noir et comment peut-il se défendre ? Existe-t-il un scénario possible des événements dans lequel Trayvon Martin aurait survécu à sa rencontre avec George Zimmerman ? La chasse de nuit aux jeunes Noirs est-elle ouverte ?
L’acquittement de George Zimmerman sera contesté pendant de nombreuses années. Cette nuit-là, il avait statué sur le sort de Trayvon Martin de la manière la plus expéditive qui soit. “Putain de crevure, avait-il lancé au téléphone à la police. Ces connards, ils s’en sortent toujours.” C’est tellement, douloureusement, vrai. Et prévisible à en pleurer.
Note :Installé aux Etats-Unis depuis plusieurs années, le journaliste et éditorialiste Gary Younge suit l’actualité américaine, en particulier les questions sociales et raciales, pour le quotidien britannique The Guardian. Il signe également une chronique régulière dans l’hebdomadaire américain de gauche The Nation. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Amérique, dont No Place Like Home, une enquête sur l’histoire culturelle des Noirs du sud des Etats-Unis, et un livre, à paraître en août prochain, consacré au célèbre discours de Martin Luther King I Have a Dream.