Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Réponse à Danic Pareauteau

Toute démarche constituante véritable liera le projet social et projet d'indépendance nationale

Dans une contribution au quotidien Le Devoir, le 22 juillet dernier, Danic Parenteau, appelait à « Reconnecter le projet d’indépendance ». Il faudrait affirme-t-il « se centrer sur la souveraineté du peuple québécois ». Voilà de belles intentions. Mais le chemin proposé pour ce faire va radicalement à l’encontre du projet annoncé. Pourquoi ?

Le piège de la souveraineté limitée des élites québécoises

Danic Parenteau se plaint que le projet d’indépendance ne soit plus « conçu comme cette grande réalisation collective d’un peuple qui entreprendrait de s’autodéterminer en se donnant un pays bien à lui. Il apparaît largement dissocié de la souveraineté du peuple québécois. » Mais, il ne dit pas un mot sur les fondements de son diagnostic.

Il ne semble pas se rappeler la nécessité de distinguer un souverainisme de droite, élitiste et centré sur l’État à gérer d’un souverainisme de gauche qui s’identifie à l’expression de la souveraineté populaire. [1]

Un court bilan permet de montrer que cette négation du caractère central de la souveraineté populaire dans tout projet indépendantiste véritable relève du caractère élitiste du souverainisme péquiste.

Le Parti québécois s’est créé par l’hégémonisation des secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise, très minoritaire au sein de cette classe, sur le mouvement national et la marginalisation de la petite bourgeoisie nationaliste qui avait impulsé le mouvement indépendantiste au durant les années 60 (RIN et RN). Le projet de souveraineté-association visait à construire une nouvelle alliance avec le capital canadien qui assurerait une plus grande autonomie de développement au capital régional québécois. Ces secteurs ont toujours préféré parler de souveraineté-association, de nouvelle entente, de souveraineté partenariat ou même d’union confédérale sans parler de leur soutien à l’affirmation nationale.

Depuis le milieu des années 80, la bourgeoisie québécoise a été gagnée aux stratégies néolibérales et ses secteurs nationalistes se sont éloignés de la souveraineté comme projet national de la nation québécoise. Le bloc social sous hégémonie de secteurs minoritaires de la bourgeoisie québécoise a commencé à s’effriter. Après la défaite au référendum de 1995, les secteurs bourgeois liés à l’appareil d’État ou au capital privé régional se sont éloignés de tout projet nationaliste, jusqu’à rompre pour beaucoup avec le soutien au PQ et à la souveraineté-association. Rappelons-nous le nombre de dirigeants péquistes qui ont mis de côté la souveraineté : les Pierre-Marc Jonhson, Facal, Boisclair et autres Bouchard. Ils sont revenus à une version québécoise de l’autonomisme national sous le modèle de l’autonomisme canadien-français.

Mais, le Parti québécois comme appareil nationaliste s’est survécu, par un effet d’autonomie et d’inertie du champ politique, essayant de se proclamer encore porteur du projet de souveraineté-association tout en cherchant à consacrer toutes ses énergies à la gouvernance provinciale secondarisant même le maintien des indépendantistes en son sein. En effet, Pauline Marois devait franchir le Rubicon en rejetant l’éventuelle tenue d’un référendum sur la souveraineté aux calandres grecques. À ce XVIe et dernier congrès national du PQ, l’adoption de la gouvernance souverainiste n’était que l’adoption hypocrite d’un autonomisme qui ne laisse que peu d’illusions sur la volonté du PQ de réaliser la souveraineté du Québec.

La stratégie de la gouvernance souverainiste n’était que le travestissement rhétorique d’un autonomisme élitiste où toute perspective d’avenir du Québec se retrouvait maintenant non dans l’affirmation de la souveraineté populaire, mais dans les caprices d’une direction possédant le monopole de l’évaluation de conditions potentiellement gagnantes.

Une démarche constituante brimée

Danic Parenteau invite ls souverainistes québécois à renouer avec le principe de la souveraineté populaire. C’est là., en effet, une démarche essentielle. Mais, il balise aussitôt les expressions possibles de cette souveraineté populaire. S’il faut s’engager dans une démarche constituante, l’expression de cette dernière ne doit surtout pas s’attaquer aux problèmes quotidiens que vit le peuple québécois soutient-il. L’important serait de faire de la grande politique. Une démarche de souveraineté populaire ne devrait surtout pas définir le Québec que nous voulons, le projet social porteur d’une véritable transformation sociale.

Articuler le projet social du projet national

Voilà ce qui s’appelle défendre la souveraineté populaire pourvu qu’elle demeure muette sur les enjeux qui concernent le peuple directement. Il semble que pour Danic Parenteau, le droit de décider ne devrait pas toucher toutes les sphères de la société. Pourquoi le peuple québécois devrait décider de l’indépendance et non du type de développement économique qu’il souhaite ? Pourquoi ne devrait-il pas décider sur les grands choix environnementaux qui sont essentiels à sa survivance ? Pourquoi le contrôle de son destin comme peuple ne pourrait-il commencer à se faire y compris sur les lieux de travail ?

La souveraineté populaire lorsqu’elle s’exprimera ne sera pas celle d’une souveraineté sans contenu. L’indépendance, la souveraineté réelle, implique une rupture avec l’État canadien, avec ses institutions et ses politiques. Elle nécessite de donner réellement le pouvoir au peuple, à la majorité populaire de la nation. Toute démarche constituante véritable doit servir non seulement à définir le nouveau cadre institutionnel radicalement démocratique, mais à définir, comme collectivité, un modèle de société qui pourrait être décrit dans une grande charte des droits collectifs ouvrant la constitution d’un Québec indépendant.


[1Comme l’écrit Frédéric Lordon : « ...il pourrait être utile de commencer par montrer en quoi un souverainisme de gauche se distingue aisément d’un souverainisme de droite, ce dernier se concevant généralement comme souveraineté « de la nation », quand le premier revendique de faire droit à la souveraineté « du peuple ». Les tenants de la « souveraineté nationale » en effet ne se posent guère la question de savoir qui est l’incarnation de cette souveraineté, ou plutôt, une fois les évocations filandreuses du corps mystique de la nation mises de côté, ils y répondent « tout naturellement » en tournant leurs regards vers le grand homme, l’homme providentiel – l’imaginaire de la souveraineté nationale dans la droite française, par exemple, n’étant toujours pas décollé de la figure de De Gaulle. L’homme providentiel donc, ou tous ses possibles succédanés, comités de sages, de savants, de compétents ou de quelque autre qualité, avant-gardes qualifiées, etc., c’est-à-dire le petit nombre des aristoi (« les meilleurs ») à qui revient « légitimement » de conduire le grand nombre. La souveraineté vue de gauche, elle, n’a pas d’autre sens que la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent. Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration (légitime) des moyens de gouverner, mais exclusivement rendu à des gouvernants qualifiés en lesquels « la nation » est invitée à se reconnaître – et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant. (Blogue de Frédéric Lordon, La pompe à phynance, Le monde diplomatique, juillet 2013.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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