On le voit dans certains projets d’hydrogène supposément vert. On le voit également à grande échelle dans les projets de capture du carbone annoncés par l’Alliance nouvelles voies (Pathways Alliance) qui nous propose de produire plus de pétrole des sables bitumineux avec moins de carbone ; mais si on y regarde de près, la combustion de ce pétrole dans un pays étranger n’est pas comptée dans le bilan canadien ![1] Dans le même ordre d’idées, l’émission Enquête de Radio-Canada du 26 janvier 2023 nous a fait voir une prostitution éhontée du mot « renouvelable ». [2]
Dans ce reportage, on nous montre la compagnie Drax, qui exploite une grande centrale thermique en Grande-Bretagne. Sa pub se félicite que Drax remplace le charbon, grand producteur de GES, par de la biomasse « renouvelable », donc un carburant supposément meilleur pour la planète. À les entendre, cette biomasse proviendrait de résidus forestiers (branches, cimes d’arbres, bois de piètre qualité, etc), donc de déchets inutilisables par l’industrie forestière. De plus, en raison d’une faille dans les ententes commerciales internationales, le carbone généré par la combustion de quelque 20 000 tonnes de granulés de bois par jour n’est pas comptabilisé. Cette entourloupette légale permet à Drax d’affirmer que cette énergie « propre » est « carboneutre », donc un pas dans la bonne direction dans la lutte contre les changements climatiques. Enfin, pour aider cette production « d’énergie renouvelable », le Royaume-Uni a subventionné Drax à hauteur de 893 millions de livres sterling (env. 1 477 577 800 dollars canadiens) en 2021.[3]
Les arbres servant de combustible pour la centrale de Drax proviennent du monde entier, mais particulièrement de la Colombie-Britannique. C’est dans cette province canadienne que l’équipe de tournage d’Enquête nous montre une réalité qui est à des années-lumières de la belle publicité de Drax. On y voit de grandes étendues de coupes à blanc, tellement vastes qu’elles sont visibles depuis l’espace. Les photos nous montrent de véritables déserts où les arbres et la végétation ont été anéantis ; seuls quelques rares spécimens ont échappé à ce massacre. Et la cerise sur le sundae : les billes de bois ont disparu, mais on voit des monticules de résidus forestiers laissés sur place parce que ce n’est pas économique de les amener à l’usine ! Pourtant, la belle pub affirmait que SEULEMENT les résidus forestiers seraient utilisés !
En Angleterre, le mouvement « Axe Drax » (« mettons la hache dans Drax ») exige la fin de cet écoblanchiment. Ces contestataires de Drax affirment qu’il est faux de dire qu’une telle utilisation de la biomasse est une énergie durable car si on prend en considération l’empreinte totale de la filière des granulés de bois, leur combustion produirait autant, sinon plus de carbone que celle du charbon. Enfin, les membres de ce mouvement rêvent d’utiliser les milliards que Drax reçoit en subventions pour mousser de véritables énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien. D’autre part, en Colombie-Britannique, des citoyens et des responsables publics constatent que toute la biodiversité de ces forêts anciennes (old growth forests) a été détruite et qu’il faudra des décennies pour revenir à la normale. Entretemps, l’industrie qui utilise la forêt d’une façon traditionnelle et durable risque de se trouver Gros Jean comme devant pendant au moins un demi siècle à cause de cette utilisation non soutenable de la ressource ligneuse.
Le lobby de l’industrie est omniprésent ; ses actions sont troublantes. Une tempête politique a secoué le parti travailliste britannique parce que celui-ci a reçu une contribution financière de 12 000 livres sterling (env. 19 855 dollars canadiens) de Drax.[3] Et au Canada, Mme Diane Nicholls, qui a été forestière en chef de la province de la Colombie-Britannique pendant dix ans, a été embauchée pour devenir la Vice-présidente et responsable de la durabilité du groupe Drax. Et cette ancienne sous-ministre qui gérait l’exploitation des forêts de la province refuse de répondre aux questions de CBC/Radio-Canada tant qu’elle n’a pas la permission de son employeur ![2] Peut-on se poser des questions au sujet de cette proximité entre l’industrie et l’appareil gouvernemental ?
Produire de l’électricité à grande échelle en rasant les forêts est contraire au principe de durabilité. L’opposition des membres du mouvement « Axe Drax » est vitale. Oui, on peut replanter des arbres. Mais il faut un siècle pour que la forêt revienne à son état d’antan. Il faut gérer nos forêts avec une vue à long terme comme le disait Richard Desjardins dans L’erreur boréale. Et les Britanno-Colombiens mènent également le même combat depuis les épisodes dramatiques de désobéissance civile de Clayoquot Sound.[4] Entretemps, en pleine crise climatique, nous avons désespérément besoin de ces mêmes arbres pour absorber le carbone ; la déforestation systématique est aussi inacceptable au Canada qu’en Amazonie.
Drax n’est pas la seule entreprise à jouer le jeu de la grande séduction mensongère en utilisant les mots que nous désirons entendre face aux changements climatiques. Il faut que les paroles, la politique et l’action concrète des industriels sur le terrain soient en harmonie. Si nous succombons aux belles paroles de ces Dom Juan qui nous « chantent la pomme des énergies renouvelables », alors, tout comme la belle qui s’était laissée séduire, notre avenir sera compromis. Les délais dus à notre confiance en ces belles paroles vides de sens risquent de précipiter la tragédie de la 6e grande extinction des espèces.
Gérard Montpetit
membre du CCCPEM (Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l’environnement maskoutain)
le 30 janvier 2023
1] https://www.globenewswire.com/fr/news-release/2022/10/14/2534689/0/fr/Le-plan-de-l-Alliance- nouvelles-voies-pour-atteindre-la-carboneutralité-va-bon-train.html1]
2] : https://ici.tou.tv/enquete/S16E14?lectureauto=1
3] https://www.desmog.com/2023/01/26/labour-accepted-12000-from-major-polluter-drax/
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