Rembobinons. L’époque est, en France, à la publicité, au sens « rendre public », des violences sexuelles. Un cheveu qui tombe dans la soupe de la citoyenne et du citoyen lambda, par le biais d’un féminisme d’État, qui se cache bien de porter son nom, pour mieux balayer sous le tapis les luttes des organisations et mouvements féministes. Patatra… sort du chapeau du gouvernement, l’affaire du racisme d’État… Une mise en concurrence ? Une stratégie de contournement ? Un piège ?
L’histoire nous le rappelle. En Europe (lois sur le statut des Juifs pendant la IIe Guerre mondiale), aux États-Unis (ségrégation raciale), en Afrique du Sud (apartheid), ailleurs. Les instigateurs des « ismes » d’État (racisme, sexisme, masculinisme…) demandent qu’on en fasse la preuve et brouillent les pistes. Depuis toujours. Dans le contexte qui nous intéresse, il est requis d’établir en urgence qu’en lieu et place du sexisme, le racisme organise les politiques étatiques, structure le travail de l’ensemble des personnes œuvrant pour l’appareil d’État, induit l’augmentation de la production législative de l’État dans le domaine de la défense systématique des « Blancs » en tant que dominants et fait de sorte que l’appareil d’État intègre formellement en son sein des militants d’organisations racistes dans le but de soutenir l’ensemble de ces politiques. Plusieurs médias et scientifiques s’y sont attelés. Certains se sont lancés dans des démonstrations à visée pédagogique. Différencier racisme institutionnel, racisme systémique, racisme d’État. Or emprunter ces chemins revient à disqualifier l’état de violences en cours alimenté par l’État, ou encore à dissocier État de droit et inégalités structurelles, à hiérarchiser les dominations (classe, race, sexe) en prenant le risque de les renforcer.
Car vilipender le racisme d’État est-il suffisant ? Non. Le racisme n’est pas le seul virus national français à éradiquer. Le sexisme, l’homophobie se font, eux aussi, la part belle et au même niveau. Ils font système. Celui de la domination, entendue comme rapport de commandement et obéissance, basée sur la violence, comme le soulignait Hannah Arendt en 19721. L’affaire Taubira nous l’avait déjà montré. Cela n’a apparemment pas suffi puisque nos syndicat et vedette des médias cités supra, loin d’adosser leurs dénonciations dudit racisme à celles de l’antiféminisme ambiant, au sexisme politique et à la politique ultralibérale qui ensemble protègent les vieux mâles blancs, convoquent presse et porte-paroles dans leurs tours d’ivoire.
Pourtant, en 1976 déjà, Angela Davis écrivait : « Nous étions beaucoup à ressentir qu’on nous demandait de choisir entre race ou genre, et nous voulions traiter les deux conjointement. Nous nous sentions marginalisées dans nos mouvements pour l’égalité raciale de même que nous le ressentions dans les mouvements l’égalité des sexes. Si les féministes blanches de classe moyenne avaient tendance à être racistes, beaucoup de stratégies antiracistes avaient tendance à être masculinistes ». Et elle ajoutait un « authentique mouvement de libération doit lutter contre toutes les formes de domination : l’homme noir ne peut se libérer s’il continue d’asservir sa femme et sa mère »2. Plus récemment, en 1982, dans un recueil intitulé « Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont hommes, mais nous sommes quelques unes à être courageuses », des militantes afro-américaines se sont évertuées à dénoncer et à lutter contre l’invisibilisation des femmes noires dans les mouvements antiracistes états-uniens.
Elles ont souligné à quel point le « nous les femmes » du féminisme ne les englobe pas, de la même façon que le « nous les Noirs » les laisse de côté. En cela, elles ont renouvelé la théorie de la domination. Encore plus près, dans le milieu des années 2000, des Sud-Africaines, et là cela devient intéressant car les modèles nord ou sud-américains ne se plaquent plus spontanément sur les analyses qu’on peut faire de la situation française, écrivaient en prélude du Forum Social Mondial : « Les débats sur les priorité du féminisme africain en 2004 et 2005 ont porté sur l’approfondissement de l’analyse de la mondialisation, des fondamentalismes et du militarisme ».
Allons-nous encore longtemps nous suffire de la mélasse qui nous est balancée en guise de nourriture politique ? Ou allons-nous enfin créer notre propre agenda politique, antifasciste, antiraciste, antisexiste, antimilitariste, etc. ?
Joelle Palmieri, 21 décembre 2017
https://joellepalmieri.wordpress.com/2017/12/21/racisme-ou-sexisme-faut-il-choisir/
Notes
1- Arendt Hannah, « Sur la violence », in Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, traduction française, Calman-Lévy, Paris, 1972, p. 105-208 [on violence, édition originale en anglais 1970].
2- Angela Davis, Autobiographie, Albin Michel, Paris, 1975.
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