Tiré de Entre les lignes et les mots
Messieurs,
Nous, associations luttant quotidiennement pour une société plus égalitaire et plus juste, avons pris connaissance des déclarations de politique régionale et communautaire, en Wallonie comme en Flandre, et constatons amèrement qu’elles nous donnent plus de craintes pour l’avenir que de garanties pour nos droits. Au nord comme au sud du pays, les lunettes de genre semblent absentes sur des questions aussi cruciales que le logement ou l’emploi, et les chapitres « égalité » apparaissent bien maigres. L’accueil de la petite enfance, enjeu central pour l’accès des mères au marché du travail, se voit contaminé par des logiques marchandes et l’introduction, voire le renforcement, de priorités données aux parents qui travaillent porte atteinte au principe d’égalité entre les enfants.
« Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations est loin de nous rassurer »
À partir du moment où les mêmes partis – les vôtres – sont à la manœuvre dans les régions et au fédéral, comment ne pas redouter des politiques similaires pour votre futur gouvernement ? Ce qui filtre (ou ne filtre pas) des négociations de l’Arizona est par ailleurs loin de nous rassurer. Les réformes socioéconomiques sur la table risquent une fois de plus de toucher davantage les femmes, puisqu’elles sont statistiquement déjà plus pauvres que les hommes. La lutte contre les violences, ou pour l’égalité entre les femmes et les hommes ? Des non-sujets, semble-t-il. Sauf quand il s’agit de revenir en arrière, en proposant de supprimer les quotas de genre dans les CA des entreprises ? En Arizona, les droits des femmes pèsent peu face aux intérêts économiques…
Messieurs, l’avenir du pays, une fois encore, semble se décider « entre hommes ». Bien sûr, vous ne manquerez pas d’objecter : « Nul besoin d’être une femme pour mener des politiques d’émancipation pour tous et toutes ». Alors prouvez-nous que les enjeux d’égalité et que les droits des femmes, enjeux vitaux – car oui, il s’agit parfois de vie ou de mort ! – sont au cœur de vos préoccupations et de vos politiques. Montrez-nous que nos craintes ne se justifient pas et que la lutte contre les discriminations et les violences fondées sur le genre vous concerne au premier chef.
Laissez-nous tout d’abord vous rappeler qu’adopter des lunettes de genre pour chaque politique porte un nom : le gender mainstreaminget son corollaire, le gender budgeting. En l’occurrence, c’est une loi, donc une obligation à laquelle vous devrez vous conformer : celle d’évaluer en amont l’impact qu’aurait une mesure sur les femmes et sur les hommes et de rectifier le tir si cet impact devait se révéler différent en fonction du genre, donc discriminant. Cette application rigoureuse de la loi gender mainstreaming est un préalable et sous-tend dix mesures que nous estimons indispensables pour les droits des femmes et que nous vous conseillons fortement d’inscrire dans votre déclaration de politique générale (dix mesures qui ne sont pas listées ici par ordre de priorité) :
1.Créer un ministère des Droits des femmes et de l’Égalité de genre, de plein exercice, doté de moyens suffisants et maintenir la Conférence Interministérielle Droits des femmescomme outil de coordination des politiques d’égalité menées par les différentes entités fédérées, selon les principes de fonctionnement tels que définis sous la précédente législature.
2.Élaborer un nouveau plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre (PAN) assorti d’un budget conséquent, avec pour boussole laConvention d’Istanbul, en partant de l’évaluation du PAN 2021-2025 et avec une implication directe et structurelle de la société civile. Nous veillerons aussi à la mise en œuvre effective de la loi « Stop Féminicide ».
3.Améliorer la loi sur l’avortement selon les recommandations du rapport du groupe d’expert∙es multidisciplinaires, remis au Parlement en avril 2023, dont l’allongement du délai jusqu’à 18 semaines post-conception, la fin des sanctions pénales pour les femmes et les médecins et la suppression du délai de réflexion.
4.Supprimer le statut de cohabitant·e et permettre à tous, et surtout à toutes, la constitution de droits sociaux propres, personnels et assurantiels, dans une logique de sécurité sociale forte et égalitaire sans sabrer dans d’autres mécanismes comme les allocations de chômage. Nous nous opposons fermement à toute mesure visant à limiter les allocations de chômage au-delà de deux années !
5.Garantir une pension minimum digne et égalitaire, réellement accessible aux femmes, ce qui implique de supprimer la condition de vingt années de travail effectif (et certainement pas d’augmenter le nombre d’années !), de tenir compte de toutes les périodes assimilées, qu’elles soient prises pour des raisons de soin (crédit-temps pour s’occuper des enfants, par exemple) ou liées à une inactivité involontaire (incapacité/invalidité de travail), et de revaloriser les années travaillées à temps partiel. Alors que l’écart de pension entre femmes et hommes est déjà de 26%, nous nous inquiétons fortement d’une réforme qui viendrait encore appauvrir de nombreuses pensionnées.
6.Transformer le SECAL (service des créances alimentaires) en un fonds universel et automatique des créances alimentaires tel que préconisé par l’étude de faisabilité confiée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes à la KU Leuven et l’Université d’Anvers etpubliée en octobre 2024.
7.Prendre en compte les spécificités genrées des parcours migratoires féminins, dont les violences que fuient les femmes, celles qu’elles rencontrent dans leur parcours etdans le pays d’accueil, dans le cadre d’une politique migratoire respectueuse de l’État de droit, de la Convention de Genève, de la Convention d’Istanbul et des droits humains fondamentaux.
8.Élaborer un plan d’action national contre le racisme, selon l’engagement pris par la Belgique à la Conférence de Durban de 2001, avec une réelle approche intersectionnelle et décoloniale qui reconnaît les formes de racisme qui affectent spécifiquement les femmes.
9.Revaloriser les métiers du soin, majoritairement féminins, dont on a vu le caractère essentiel durant la crise sanitaire, ce qui passe par une revalorisation salariale, de meilleures conditions de travail, une reconnaissance de la pénibilité de ces métiers et des maladies professionnelles qui y sont associées. Nous nous opposons fermement à toute coupe dans le secteur de la santé et du non-marchand ainsi qu’à tout ce qui mène à des emplois de plus en plus précaires qui rendent malades et ne permettent plus de vivre dignement (comme par exemple, l’élargissement des flexi-jobs à ces secteurs).
10.Garantir et renforcer les congés thématiques en les rendant plus accessibles, mieux rémunérés et mieux partagés. Pour que la conciliation entre nos vies professionnelle et familiale cesse de reposer sur les épaules des mères, et de les appauvrir !
Messieurs, il est grand temps de tenir compte de la moitié de la population belge dans vos négociations. Les droits des femmes et l’égalité de genre ne sont ni une matière résiduelle, ni une variable d’ajustement budgétaire ou un objet de marchandage politique. L’objectif de l’égalité demande de l’ambition, de la volonté politique et des moyens. Ne rien faire, c’est déjà reculer. Nous ne tolérerons aucun recul sur nos droits !
Signataires :
Carte blanche coordonnée par Vie Féminine et le Vrouwenraad
Awsa-Be (Arab women’s solidarity association – Belgium)
BruZelle asbl
Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales (CPVCF)
Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE)
Collectif des femmes
Des Mères Veilleuses
Elles pour Elles asbl
La Fédération des services maternels et infantiles (FSMI)
La Fédération Laïque de Centres de Planning Familial
Femmes CSC
Fem&Law
Furia
GACEHPA (Groupe d’action des Centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement)
Garance
Jump, Solutions for equity at work
La Voix des Femmes
Le Monde selon les femmes
Mode d’Emploi asbl
Sofélia
Solidarité Femmes La Louvière
Soralia
Synergie Wallonie pour l’égalité entre les femmes et les hommes
Université des Femmes
Vie Féminine
Vrouwenraad (et ses membres)
Mis en ligne le 27 novembre 2024
https://www.axellemag.be/lettre-ouverte-feministes-negociateurs-arizona/
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