Du Parti conservateur au programme de la CAQ
Ce n’était qu’une question de temps avant qu’un parti provincial reprenne le contenu des deux projets de loi antisyndicaux présentés par le gouvernement de Stephen Harper. La CAQ a franchi le pas ce matin en présentant trois propositions irréfléchies concernant les organisations syndicales.
On comprend de cette annonce que François Legault, poussé dans ses derniers retranchements, tente de se rallier une certaine droite réactionnaire, mais il serait important de rétablir les faits quant à ces propositions.
L’argent de nos membres
« En premier lieu, un gouvernement de la Coalition Avenir Québec exigera des syndicats la divulgation publique de leurs états financiers. »
Les organisations syndicales québécoises divulguent déjà leurs états financiers et leurs prévisions budgétaires à leurs membres. Ce sont d’ailleurs ces mêmes membres qui décident des priorités que leurs organisations mettront de l’avant pour l’année et des sommes d’argent qui seront accordées. Que ce soit la masse salariale des personnes élues et du personnel ou les dépenses en matériel de bureau, en mobilisation, en frais occasionnés par la négociation ou en frais juridiques pour les défendre, les membres du syndicat ont accès à toutes ces informations.
Nous sommes, comme organisation, redevables à nos membres. Le type de divulgation proposée par le projet de loi C-377 de Stephen Harper, dont s’inspire M. Legault, entraînerait un gaspillage et un accroissement important de la bureaucratie au sein de nos organisations. C’est étonnant, venant d’un parti qui prône habituellement un élagage des mesures bureaucratiques... Notons aussi au passage que les partis politiques, bénéficiant directement de subventions publiques, n’en font pas autant.
La démocratie ?
« La Coalition Avenir Québec modifiera le Code du travail afin d’instaurer le vote secret pour toute demande d’accréditation ou pour son maintien. »
Cette proposition est hautement démagogique. En effet, on associe très rapidement la démocratie à un vote à scrutin secret. Elle laisse entendre que l’adhésion à un syndicat est présentement antidémocratique. Pourtant, adhérer à un syndicat est fort différent de voter pour un parti politique. L’adhésion est un acte privé exigeant un engagement personnel envers une organisation syndicale.
L’objectif d’un tel changement au Code du travail est loin d’avoir un lien avec un désir de démocratie. Il ne vise qu’une chose : diminuer le taux de syndicalisation. Directement inspirées des législations de type « right to work » popularisées par une certaine droite américaine, ces mesures ont pour effet de rendre plus difficile une démarche de syndicalisation en ouvrant la porte à l’ingérence et à l’intimidation de la part des employeurs.
Lors de la tenue d’un vote à scrutin secret, les moyens à la disposition des parties en cause influencent le vote. Un syndicat qui n’est même pas formé ne peut pas mener une campagne aussi efficace que l’employeur. D’autant plus qu’il y a des risques de représailles de l’employeur en cas de non-accréditation. Les personnes salariées qui feront campagne en faveur de l’accréditation syndicale s’exposent à de lourdes conséquences en cas de défaite !
Il n’y a pas d’intimidation de la part d’organisateurs syndicaux, personne ne force qui que ce soit à signer une carte. Si c’était le cas, lors de la vérification du caractère représentatif du syndicat, la Commission des relations du travail ordonnerait la tenue d’un scrutin secret. Ce processus de vérification est déjà garant du respect de la volonté des travailleuses et travailleurs.
De plus, le processus par signature de carte d’adhésion est plus démocratique, puisqu’il nécessite l’obtention de la majorité absolue des personnes salariées, tandis que le scrutin secret se contente d’une majorité des personnes salariées ayant voté.
Tout est politique
« Enfin, un gouvernement de la Coalition va s’assurer que tout ce qui est prélevé par la formule RAND ne sert qu’à financer des activités qui portent sur les relations de travail et la défense des travailleurs. Les syndicats peuvent demander des cotisations spéciales pour défendre ou promouvoir des causes idéologiques ou politiques, mais il faut que ça se fasse sur une base volontaire. »
Ou bien M. Legault comprend bien mal ce qu’est une organisation syndicale ou bien il le comprend trop bien et ça le dérange. Une organisation syndicale est un groupe de travailleuses et travailleurs s’étant réunis pour défendre leurs intérêts communs. Le gros de ce travail se passe en période de négociation ou en défense des droits des travailleuses et travailleurs. Par ailleurs, les membres d’un syndicat ont également intérêt à se mêler de politique parce que la politique ne se gêne pas pour se mêler de leur quotidien au travail.
Quand un parti politique annonce des compressions en éducation, en santé ou ailleurs, ça affecte nos membres. Quand un gouvernement refuse de s’attaquer aux questions d’injustice fiscale et de paradis fiscaux, ça affecte directement le financement des services publics, donc le quotidien de nos membres. Cela n’affecte pas juste le secteur public. Le secteur privé est aussi touché puisque couper dans les services publics ou augmenter les tarifs réduit le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs, cette fameuse « classe moyenne » que M. Legault se targue de défendre.
Pour finir, une telle mesure empêcherait les syndicats de répondre à leur obligation de représenter leurs membres, de défendre leurs droits et leurs intérêts, et de négocier de meilleures conditions de travail. Tout cela affectera l’ensemble des personnes salariées québécoises, comme on le voit dans les états américains ayant adopté des législations semblables. Ultimement, ce sont les travailleuses et travailleurs qui écopent. Pour en savoir plus, la CSQ a préparé un excellent dossier sur le sujet : www.formulerand.lacsq.org.
Les syndicats, là pour rester !
Enfin, M. Legault invite les organisations syndicales à se moderniser et à s’« assurer que les relations de travail seront désormais respectueuses des attentes de nos citoyens ». Nous n’avons pas besoin de M. Legault pour nous « moderniser ». Les organisations syndicales québécoises sont là depuis longtemps et ont su adapter leurs pratiques aux changements du monde du travail. Si la CAQ se cherche des idées neuves, elle devrait regarder ailleurs que dans le bac de recyclage de Stephen Harper.