La construction du pipeline, enjeu quelque peu oublié durant la dernière campagne électorale, a soudainement galvanisé les esprits, rappelant à tout un chacun que, plus que jamais, ce projet est et sera d’actualité. En effet, nous n’en sommes qu’au début d’un débat qui s’étirera sans doute jusqu’à la fin des audiences de l’Office national de l’énergie, prévue dans 27 mois, et se prolongera peut-être même au-delà.
Cependant, en ce qui concerne la démarche des maires de la CCM, il importe de se rappeler deux choses, soit les raisons qui ont poussé ces derniers à prendre une position aussi ferme ainsi que l’appui de la population dont ils ont bénéficié au terme d’un processus de consultation publique tenu à l’automne dernier. L’énoncé des motifs du refus, quant à lui, est lapidaire : préoccupations de sécurité, préoccupations liées à l’eau, inutilité du projet pour satisfaire les besoins d’approvisionnement en pétrole du Québec, quasi-absence de retombées économiques découlant de la construction du pipeline, nécessité de réduire notre dépendance au pétrole dans un contexte de changements climatiques… Et pour conclure : « l’acceptabilité sociale du projet est nulle » !
Certains chroniqueurs croyaient percevoir dans la position des 82 maires un esprit de clocher ou des visées électoralistes, comme si ces élus pouvaient ou devaient rester indifférents aux constatations issues des consultations où 143 mémoires ont été déposés et 66 interventions verbales ont été entendues. Quoi de plus normal pour des élus que de prendre acte des vues représentatives de 4 millions de citoyens sur un enjeu aussi vital pour leur bien-être à court et à long terme !
À l’île d’Orléans, située au cœur de l’estuaire du Saint-Laurent et forte de ses 6 825 habitants, nous pourrions faire nôtres les arguments des maires de la CCM ainsi que de leurs commettants – et même en rajouter ! En soi, la traversée de l’oléoduc sous le fleuve entre Saint-Augustin et Saint-Nicolas constituerait une première mondiale et une aventure « à haut risque » selon le rapport commandé par TransCanada à la firme d’experts Entec. Il n’est pas donc difficile de comprendre qu’un bris en amont provoquerait de sérieux dégâts en aval, compte tenu entre autres des marées et des mouvements de glace.
La prétendue sécurité des pipelines est souvent opposée aux dangers, réels et malheureusement éprouvés, du transport du pétrole par rail. C’est oublier que pour être rentable, l’exploitation des sables bitumineux mise non pas sur le remplacement de l’option ferroviaire, mais plutôt sur l’accroissement important du trafic par voie de train-convoi (dans les comtés en face de l’île) et de bateau-citerne (sur le Saint-Laurent même). Tout cela suppose une augmentation des risques d’accident et de déversement qui en découlent.
Enfin, toute analyse risques-avantages digne de ce nom se doit de tenir compte du niveau de préparation des municipalités face aux situations d’urgence en cas de déversement. À l’île d’Orléans, la MRC est à élaborer un plan d’urgence en cas de désastre qui viendra compléter les plans déjà mis en place par les différentes municipalités. Nous ne pourrions qu’applaudir à cette initiative, mais le projet d’oléoduc rend plus que nécessaire l’intégration dans ces plans des mesures s’appliquant dans le cas précis d’un déversement. Les délais d’intervention sont vraiment d’un tout autre ordre : en cas de déversement, le temps de réponse ne se mesurera pas en quarts d’heure, comme pour un incendie, mais bien en heures ou en demi-journées. En effet, les dépôts de matériel utilisés par la Société d’intervention maritime de l’Est du Canada (SIMEC) se trouvent à Québec et pourraient être sollicités par bien d’autres municipalités riveraines le moment venu.
La campagne d’information « Un fleuve à défendre », lancée l’automne dernier par STOP oléoduc Île d’Orléans, se veut une action citoyenne qui s’adresse à tous les gens de l’Île soucieux de protéger leur coin de pays et d’en partager les richesses dans une véritable perspective « durable ». Toutefois, comme les événements récents nous le rappellent, notre MRC et nos municipalités devront assumer un rôle tout aussi important que celui joué par Montréal et la CMM pour faire entendre leurs doutes, voire leur refus, au sujet du projet sans avenir de pipeline d’Énergie Est. Elles pourront compter sur leurs concitoyens pour les appuyer dans cette démarche.