Le gouvernement Couillard, dans la foulée du gouvernement Marois, envisage d’augmenter le salaire des députéEs. Et il n’y va pas avec le dos de la cueillière. Leur salaire passerait, si on inclut l’allocation annuelle de dépense, de 118 186$ à 136 500. Leur salaire augmenterait donc de 17 324$, celui des ministres et du chef de l’opposition augmenterait de 154 326 $ à 217 616 $ et le salaire du premier ministre devrait bondir de 196 808 $ à 272 020 $. Leur contribution au régime de retraite passerait de 21% à 41%.
Le gouvernement Couillard reprend à son compte les recommandations du rapport de la juge Claire L’Heureux-Dubé déposé en novembre 2013. Pourquoi une telle augmentation ? Le rapport reprend des justifications fort connues. Un travail équivalent dans le privé serait rémunéré à plus de 2 millions de dollars. De plus, si l’on veut recruter des personnes compétentes, si on veut une députation de grande qualité, il faut augmenter leur salaire. Le gouvernement a dit que cela pourrait se faire à coût nul, car on envisage la disparition de l’allocation de départ. À l’heure de la démission du ministre de l’éducation Yves Bolduc, ministre profiteur par excellence, c’était bien la moindre des postures à adopter pour rechercher un minimum d’acceptabilité sociale.
Si le PQ a accepté d’emblée le point de vue du rapport l’Heureux-Dubé, la CAQ, jouant encore une fois, la carte populiste, n’a pas voulu entendre parler d’une augmentation salariale au moment où, en cette période d’austérité, tout le monde, selon ce parti, est invité à se serrer la ceinture. Québec solidaire voulait bien « appliquer les mesures d’équité et de transparence proposées par le rapport l’Heureux-Dubé et … s’engager à abolir l’allocation annuelle de dépenses non imposable de 16 027$ et l’intégrer au salaire brut des député.e.s ». Mais pour ce qui est de l’augmentation salariale, la députée Manon Massé se demandait : « comment mes collègues et moi allons nous expliquer des augmentations stratosphériques à une mère monoparentale ou à un syndiqué de la fonction publique ? » On comprend donc qu’elle s’opposait à une telle augmentation.
Les dirigeantEs syndicaux se disaient aussi outrés. Une augmentation aussi importante, c’était un exemple flagrant du deux poids, deux mesures. Aux travailleuses et travailleurs du secteur public, on offre (!) le gel des salaires ou à peu près, aux députéEs une augmentation de 14 à 38%. Mais le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Daniel Boyer, dans une lettre au journal Le Devoir, convient "que les députés de l’Assemblée nationale ne sont pas trop payés." Il ajoute : ’Leur charge de travail, leurs nombreuses responsabilités et la comparaison avec les autres législatures canadiennes sont autant d’arguments favorables à une révision à la hausse de leurs conditions de travail". Mais le temps ne serait pas encore venu de le faire. (Le Devoir, 12 mars 2015)
Retour sur les motivations alléguées à l’augmentation des salaires des députéEs
Les préoccupations de l’oligarchie sont claires. Un personnel politique vraiment compétent ne peut se recruter que dans les élites économiques. Il faut donc créer une proximité des conditions d’existence entre le personnel politique et le patronat. Sans cette proximité, les meilleurs éléments, les plus compétents ne seront pas attirés par la politique et il faudra se rabattre sur les couches professionnelles qui ne sont pas nécessairement au fait des véritables enjeux économiques de la société québécoise. L’augmentation des salaires est donc un impératif incontournable, particulièrement pour les ministres et le Premier ministre.
Dans la logique de l’oligarchie, sans une augmentation salariale substantielle, malheureusement difficile à faire accepter dans un climat populiste et égalitariste dans laquelle baigne la société québécoise, nous écartons de la députation des candidats d’envergure (ici le masculin n’est pas seulement sous-entendu) dont notre société aurait tant besoin. Nous dressons des obstacles à la nécessaire professionnalisation de la politique.
Contre la professionnalisation, la rémunération d’unE député ne doit pas dépasser le salaire médian
. Dans une perspective démocratique et égalitariste, les conditions de vie des députéEs doivent ressembler aux conditions de vie de la majorités des représentéEs. Il doit donc se situer autour du salaire médian. [1]. Il faut rapprocher les conditions d’existence de nos représentantEs de celles vécues de la majorité populaire. Voilà comment créer une véritable culture égalitaire chez nos politiciens et nos politiciennes. Podemos, nous donne un bon exemple à cet égard. Les députéEs de ce parti, n’ont pas attendu que le parlement européen change leurs règles de rémunération pour verser l’excédent de leur salaire par rapport au salaire médian aux organisations impliquées dans les luttes sociales.
Mais pour que le/la députéE soit au coeur de notre démocratie, toute une série de mesures doivent être ajoutées à une juste rémunération :
– la possibilité, entre les périodes électorales, que l’électorat de l’association de comté puisse révoquer un-e députéE impliqué dans la corruption ou le favoritisme ;
– la tenue régulière d’assemblées citoyennes pour donner un pouvoir de contrôle des électrices et des électeurs sur les représentantEs politiques ;
– la limitation du nombre à deux mandats réguliers pour éviter de faire des députéEs des professionnels à vie et le développement d’attitudes visant à défendre à tout prix ce statut.
Voilà un programme qui s’attaque aux limites de la démocratie représentative qui, en temps "normal" invite les citoyennes et les citoyens à retourner chez eux après avoir tracé leur croix sur le bulletin de vote.
Si on veut que le personnel politique n’oublie pas devant qui il est redevable, il faut créer les conditions pour ce faire. Les conditions d’existence jouant un rôle non négligeable dans la détermination des formes de conscience, une proximité de leurs conditions de celles de la majorité populaire est un atout majeur pour élargir la démocratie représentative.