Édition du 17 décembre 2024

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Pour l'emploi, une autre cohérence

Soutiens de Jean-Luc Mélenchon, douze syndicalistes et économistes, parmi lesquels Jacques Généreux ou Elodie Groutsche (Fralib), détaillent un programme alternatif de lutte contre le chômage : « soustraire les entreprises à la logique financière », « engager la transition écologique », développer « l’emploi public », mettre en place une « sécurité sociale professionnelle » et « reprendre le mouvement historique de réduction du temps de travail ».

(tiré de MEDIAPART, Le jeudi 26 janvier 2012)

L’emploi, tous les candidats à la présidentielle s’en disent préoccupés. Comment d’ailleurs faire autrement alors que le chômage monte, apparemment de façon inexorable. Le candidat non déclaré Nicolas Sarkozy, utilisant ses habits de président de la République, a convoqué un sommet social censé répondre à cette préoccupation. La plupart des commentateurs ont pointé de façon critique les effets d’annonce de ce sommet, rappelant que nombre de mesures n’étaient que la réédition de celles avancées précédemment face à la crise, et que les sommes mises en jeu (à peine 500 millions d’euros) n’étaient que le redéploiement d’autres dépenses. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue qu’une logique cohérente est à l’œuvre derrière l’apparente prudence des annonces. Le patronat ne s’y est pas trompé qui a affiché sa satisfaction.

Pour que l’emploi se développe, nous disent le président de la République et le patronat, il suffit de baisser le coût du travail, de rendre celui-ci plus flexible et d’allonger sa durée. Que cette thèse ait abouti à une détérioration considérable de la condition salariale, sans créer vraiment d’emplois, n’a pas l’air de contrarier ses défenseurs. On peut d’ailleurs les comprendre. À défaut de développer l’emploi, ce sont les profits des entreprises, en particulier des plus grandes, qui l’ont été. Ces mesures représentent seulement un effet d’aubaine pour les employeurs : ils embauchent à bas coût des salarié-es qu’ils auraient de toute façon recrutés. De plus, en favorisant l’emploi précaire et peu qualifié, elles minent l’efficacité de notre économie et poussent les entreprises à un positionnement de bas de gamme dans la division internationale du travail.

Les entreprises sont aujourd’hui guidées par une logique financière visant à maximiser « la création de valeur pour l’actionnaire ». Le bilan de ces trente dernières années est éloquent. Le chômage et la précarité ont grandi alors que la part des salaires baissait de 5 à 8 points, selon que l’on prend comme référence 1972 ou 1982, soit entre 100 et 160 milliards d’euros par an en valeur actuelle. De plus, l’investissement productif a progressé très modérément, alors qu’explosaient les placements financiers, les exportations de capitaux et la part des dividendes dans le PIB. L’emploi est, dans ce cadre, une simple variable d’ajustement. S’attaquer vraiment au chômage et à la précarité suppose de rompre radicalement avec ce type de logique.
Nous pouvons identifier cinq paquets de mesures alternatives aux politiques néolibérales en matière d’emploi. Il s’agit d’abord de soustraire les entreprises à la logique financière. Il faut certes, et c’est essentiel, favoriser l’investissement productif aux dépens de la rente. Des mesures fiscales doivent permettre de pénaliser la distribution des profits non réinvestis et taxer fortement les dividendes et les revenus des dirigeants pour instaurer, de fait, un revenu maximal.

Une autre possibilité pourrait être de plafonner les dividendes versés aux actionnaires. Pour développer l’emploi, l’investissement productif doit être tourné vers les besoins sociaux à satisfaire, permettre d’engager la nécessaire transition écologique de la société et relever le défi de la réindustrialisation. Il faut donc, par un contrôle social des banques, avec l’action d’un pôle financier public, réorienter le crédit vers des investissements qui répondent à des critères écologiques et sociaux. De plus, des mesures spécifiques de crédit pour alléger les charges financières des PME doivent être mise en œuvre. Dans cette logique, le refinancement des banques auprès de la Banque centrale devrait être soumis à des conditionnalités sociales et écologiques.

Utilisons toutes les marges de manœuvre nationales et européennes qui existent pour agir dans ce sens et élargissons-les. Depuis des années, les services publics ont été systématiquement affaiblis. Les directives européennes de libéralisation, qui les ont placés en situation de concurrence, ont favorisé leur démantèlement, la désastreuse révision générale des politiques publiques (RGPP) provoque aujourd’hui leur agonie. Or, le développement des services publics est une condition absolument nécessaire pour que l’investissement des entreprises puisse se déployer efficacement pour satisfaire les besoins sociaux et réduire les inégalités. Le développement de l’emploi public est donc absolument primordial. Une réforme fiscale d’ampleur, revenant sur les cadeaux fiscaux faits ces dix dernières années, et le financement monétaire par la BCE du Fonds de développement social et écologique européen dont nous proposons la création, permettraient d’en assurer le financement.

La réorientation de l’investissement productif aura des conséquences sur les salariés. Produire autrement et autre chose nécessitera sans aucun doute des reconversions. Il faut donc protéger les salariés et les sans-emploi, promouvoir leurs capacités. La mise en place d’une sécurité sociale professionnelle ou d’un statut du salarié doit permettre que ce dernier puisse bénéficier du maintien de sa rémunération, de sa protection sociale et d’une formation professionnelle lui garantissant de retrouver un emploi équivalent à celui qui était le sien.

Cette mesure pourrait être financée par les ressources actuelles de l’indemnisation chômage, auxquelles viendrait s’adjoindre une cotisation sociale spécifique. De nouveaux droits pour les salariés dans l’entreprise compléteraient cette mesure. Ainsi les élus représentant les personnels devraient se voir dotés d’un droit de veto, de contre-propositions avec des moyens financiers à l’appui en cas de reconversion et de restructuration des entreprises. La législation sur le temps partiel devrait être revue pour permettre à tous les salariés qui le désirent, essentiellement des femmes, de travailler à temps plein.

Enfin il faut reprendre le mouvement historique de réduction du temps de travail (RTT). Elle est, d’abord, nécessaire sur le plan économique pour favoriser l’efficacité au travail au lieu de la surexploitation actuelle, concentrée toujours sur les mêmes. Puisqu’il s’agit d’accueillir les nouveaux actifs et de résorber le chômage, la RTT est absolument nécessaire aujourd’hui, en permettant de décupler l’effet de l’activité économique sur l’emploi, tout autant qu’elle l’a été dans le passé. Ainsi, la productivité horaire a été multipliée par 15 au cours du XXe siècle alors que la production ne l’était que par 10. Dans la même période, le temps de travail a été divisé par deux et l’emploi multiplié par 1,3. Mais la RTT répond aussi à une nécessité sociale, celle de ne pas perdre sa vie à la gagner pour avoir du temps pour soi, pour les autres, pouvoir ainsi mieux participer à la vie de la cité et permettre d’instaurer un partage des tâches familiales plus égalitaire entre hommes et femmes.

La diminution de la durée légale du travail pour tous sans perte de salaire fait partie de l’alternative à l’institutionnalisation du chômage partiel comme nouvelle norme et comme instrument de politique de l’emploi.

À l’encontre de politiques d’austérité qui mènent à la récession, ce lot de mesures dessine les contours d’un nouveau mode de développement visant la satisfaction des besoins sociaux, la réduction des inégalités et le respect des impératifs écologiques. Syndicalistes et économistes, nous soutenons le candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, pour faire prévaloir cette logique de transformation sociale qui nous est indispensable.

Frédéric Boccara, économiste,
Claude Debons, syndicaliste,
Anne Debregeas, syndicaliste EDF
Jacques Généreux, économiste
Elodie Groutsche, syndicaliste Fralib,
Jean-Marie Harribey, économiste
Michel Husson, économiste,
Marianne Journiac, syndicaliste AP HP,
Pierre Khalfa, syndicaliste,
Didier Le Reste, syndicaliste
Jacques Rigaudiat, économiste
Stéphanie Treillet, économiste

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