Édition du 10 décembre 2024

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Europe

Italie : une loi liberticide, esclavagiste et policière

En Italie aussi, depuis de nombreuses années, sous les prétextes les plus divers, des gouvernements de différentes couleurs ont mis en place des lois visant à restreindre la liberté de faire grève, de lutter, de manifester. Le gouvernement Meloni est déterminé à poursuivre cette opération en faisant faire à la répression étatique des luttes et de la contestation elle-même un saut qualitatif et quantitatif par le biais du projet de loi 1660, approuvé le 18 septembre 2024 par la Chambre des députés [Le projet de loi a été approuvé par 162 voix, contre 91 et 3 abstentions. Au moment du vote final, seuls 91 députés de l’opposition parlementaire, sur environ 160, étaient présents… Opposition qui a d’ailleurs fait voter quelques amendements pour renforcer le nombre de policiers] Avec cette « loi matraque », le gouvernement entend faire taire toutes les luttes en cours et étouffer dans l’œuf les futurs conflits sociaux, pourtant inévitables.

2 décembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/12/03/italie-une-loi-liberticide-esclavagiste-et-policiere/

Le projet de loi n°1660 a été présenté à la Chambre des députés le 22 janvier 2024, sur l’initiative conjointe des ministres Matteo Piantedosi (ministre de l’Intérieur), Carlo Nordio (ministre de la Justice) et Guido Crosetto (ministre de la Défense). Il engage les trois composantes de la coalition gouvernemetale, étant donné que les trois représentent, respectivement, la Lega, Forza Italia et Fratelli d’Italia.

Nouveaux délits, nouvelles aggravations des peines

La loi 1660 frappe à la fois : les manifestations contre les guerres, à commencer par celles contre le génocide des Palestiniens de Gaza, et celles contre la construction de nouvelles colonies militaires ; les piquets de travailleurs et travailleuses ; les protestations contre les « grands travaux inutiles », les catastrophes écologiques, la spéculation énergétique ; les formes de lutte que ces mouvements adoptent pour accroître leur efficacité comme les blocages de routes et de voies ferrées ; les occupations de logements vacants. La loi contient également des dispositions très sévères contre toute forme de protestation et de résistance, même passive, dans les prisons et les centres de détention des immigré⸳es sans permis, et aussi contre les protestations des membres de leur famille et les personnes qui les soutiennent. La loi 1660 va même jusqu’à sanctionner le « terrorisme de la parole », c’est-à-dire la détention d’écrits qui font l’apologie de la lutte. Derrière le recours à la catégorie « terrorisme », utilisée à dessein pour créer la peur, il n’y a rien d’autre que la lutte des classes, la lutte contre le colonialisme et les luttes sociales et écologiques.

Impunité totale pour la police

L’autre aspect de cette loi, c’est un ensemble de règlements qui assurent l’impunité totale de la police, la déchargeant de toute responsabilité pour son comportement, punissant sévèrement toute forme de résistance à ses actions, lui donnant le droit de porter des armes même en dehors du servie, et accroissant d’une manière générale ses pouvoirs.

Des règles draconiennes contre les manifestations et les piquets de grève

La plus lourde de toutes est celle qui prévoit jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour quiconque manifeste de manière « menaçante ou violente » pour empêcher la réalisation d’un « ouvrage public » ou d’une « infrastructure stratégique » (civile ou militaire). Les manifestations contre la TAV (Lyon/Turin, par exemple), le Pont du détroit de Messine, les nouvelles bases militaires, la plantation d’éoliennes, etc. entrent toutes dans ce champ d’application. Mais même s’il ne s’agit pas de ce type de travaux, la nouvelle peine pour résistance, violence ou menace (même la simple menace !) à l’encontre d’un fonctionnaire (même un seul), ou d’un organe de l’État, lors de n’importe quelle manifestation de rue – contre la guerre ou contre la fermeture d’une usine ou pour la liberté des camarades arrêté⸳es– va d’un minimum de 3 à un maximum de 15 ans d’emprisonnement. Il s’agit de règles répressives plus sévères que celles contenues dans le code fasciste Rocco, qui stipulait que la résistance à un fonctionnaire public dans le cadre de protestations collectives était une circonstance atténuante1.

Le blocage des routes ou des voies ferrées, moyen de lutte efficace utilisé dans les manifestations les plus déterminées, redevient un délit (non plus un « simple » délit administratif) et est puni d’une peine allant de 6 mois à 2 ans. Le fait de commettre une infraction à proximité d’une installation ferroviaire constitue une circonstance aggravante. La loi 1660 aggrave également la sanction pour ceux qui « dégradent » ou « détériorent » des biens meublés et immeubles « utilisés dans l’exercice de fonctions publiques » : de 6 mois à 1 an de prison, pouvant aller jusqu’à 3 ans en cas de récidive (pour avoir écrit sur des murs !). L’extension aux abords des chemins de fer et des ports des mesures applicables aujourd’hui pour l’interdiction d’accès aux événements sportifs2 a une fonction évidente de dissuasion contre la participation aux manifestations (telles les occupations de gares ou les récentes manifestations pour la Palestine dans les ports de Gênes, Salerne et Marghera). Le décret Caivano, qui a renforcé la répression à l’encontre des mineur⸳es, le prévoit déjà, en donnant au juge le pouvoir d’ordonner aux mineurs de ne pas participer à des manifestations politiques ou à des protestations. La militarisation des territoires réalisée ces dernières années par les assignations à résidence, les signatures quotidiennes obligatoires, les DASPO, les interdictions de manifester et les interventions policières de plus en plus fréquentes et dures contre les manifestations et les protestations, fait un saut qualitatif.

De lourdes sanctions contre les personnes occupants des logements vacants

L’occupation « non autorisée » de logements vides, effectuée avec « violence ou menace » (la violence contre les biens peut être une serrure fracturée), par des familles ou des individus sans abri est punie de peines allant de 2 à 7 ans. La réintégration rapide du propriétaire dans la possession du bien occupé devient la responsabilité de la police, qui peut le faire sans attendre une quelconque enquête judiciaire sur les circonstances spécifiques qui ont conduit à l’occupation. La sanction s’étend également aux individus ou collectifs qui apportent leur soutien. L’aggravation des peines pour la mendicité participe également de cette criminalisation de la précarité et de la marginalité sociale.

Le « terrorisme de la parole » peut être puni de 6 ans de prison !

La loi introduit deux nouvelles infractions : la première pour quiconque « se procure ou détient de la documentation préparatoire à la réalisation d’attentats terroristes et de sabotages », la seconde pour quiconque « distribue, diffuse, dissémine ou fait connaître par quelque moyen que ce soit du matériel contenant des instructions sur la préparation ou l’utilisation de matières explosives ou sur toute autre technique ou méthode en vue de réaliser un ou plusieurs délits non fautifs contre la sécurité publique, puni d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement ». Compte tenu de l’extrême élasticité et de l’arbitraire du concept de « terrorisme » – par exemple, les terroristes sont, selon l’État italien, les organisations palestiniennes qui luttent pour la libération de leur peuple contre l’État colonial, raciste et génocidaire d’Israël, tandis que l’État d’Israël, tout en commettant un génocide par des moyens terroristes, ne fait que se « défendre » – il est évident que quiconque possède du matériel provenant de ces organisations, ou, par exemple, du matériel utile à la lutte contre les grands travaux inutiles (comme des instructions sur la manière de franchir une clôture), est passible, dans le premier cas, d’une peine de 2 à 6 ans, dans le second, d’une peine de 6 mois à 4 ans.

Parmi les plus haineuses, les mesures contre les immigré⸳es et les prisonnier⸳es

Toutes les mesures pénales décrites précédemment touchent également les immigré⸳es (il suffit de penser aux piquets de grève des travailleurs et travailleuses, qui, ces dernières années, ont été le fait, très souvent, par de salarié⸳es de la logistique immigré⸳es, ou à l’occupation d’appartements), mais certaines dispositions particulièrement odieuses les touchent spécifiquement et aggravent la législation spéciale déjà existante contre les immigré⸳es, mise en place au cours des trente dernières années sous la bannière du racisme d’État. Tout d’abord, un nouveau crime est introduit, qui frappe avec une extrême violence toute personne qui « promeut, organise ou dirige une émeute » dans un centre de rétention ou un centre d’accueil. La peine est de 1 à 6 ans (pour ceux ou celles qui y participent, elle est de 1 à 4 ans), et peut aller jusqu’à 20 ans si un membre des forces de police ou du personnel du centre subit des blessures graves ou très graves. Mais qu’est-ce qu’une émeute ? Comme pour le terme « terrorisme », le flou et l’arbitraire de la notion servent à élargir le nombre d’auteurs punissables et à alourdir les peines. Déjà aujourd’hui, la « violence », la « menace » ou la « résistance active » peuvent être punies ; avec la nouvelle loi, il sera facile de « construire » l’hypothèse d’une émeute.

Deuxièmement, les immigré⸳es enfermé⸳es dans les centres de rétention et les centres d’accueil peuvent être lourdement sanctionné⸳es en cas de « résistance passive » aux « ordres donnés », non seulement par les policiers mais aussi par le personnel des centres qui n’appartient pas aux forces de l’ordre de l’État – une règle destinée à éduquer les personnes enfermées à la soumission absolue. Troisièmement, le délai pendant lequel l’État peut révoquer la citoyenneté accordée à un étranger pour des condamnations liées au « terrorisme » est porté à 10 ans (contre 2 actuellement). Enfin, pour disposer d’un téléphone portable, l’immigré originaire d’un pays non européen doit être en possession d’un permis de séjour, que la législation de l’État rend très difficile à obtenir afin de préserver une zone d’immigration sans permis de séjour à surexploiter. Compte tenu de l’importance des téléphones portables pour tout type de communication aujourd’hui, il s’agit d’une grave amputation de la socialité des nouveaux immigrants et d’un obstacle majeur à leur processus de régularisation. Cette règle a été insérée au dernier moment et démontre qu’en l’absence d’une forte mobilisation publique et de masse, le processus parlementaire ne fera qu’exacerber la charge répressive de cette loi.

Dans le même temps, le nouveau délit de révolte pénitentiaire ou carcérale tombe comme un couperet sur le dos des prisonniers et prisonnières (dont 32% sont des immigré⸳es) : dans ce cas, quiconque « promeut, organise ou dirige une révolte » est puni d’une peine d’emprisonnement de 2 à 8 ans, pour ceux et celles qui y participent la peine est de 1 à 5 ans, mais avec des circonstances aggravantes (utilisation d’armes, blessés ou morts) la peine s’élève jusqu’à 20 ans ! La résistance passive aux ordres des gardiens de prison est également punie. Si cela ne suffit pas, une circonstance aggravante spéciale est introduite pour le délit d’incitation à la désobéissance aux lois, s’il est commis en prison ou par le biais d’écrits ou de communications destinés aux détenus.

Une disposition spécifique à l’égard des femmes

Jusqu’à présent, le report de l’exécution de la peine pour les femmes enceintes ou les mères d’enfants de moins d’un an était obligatoire ; avec la loi 1660, il devient facultatif, comme il l’est aujourd’hui pour les mères d’enfants de 1 à 3 ans.

L’énorme augmentation des pouvoirs et protections des forces de police

Leurs pouvoirs sont accrus directement lors du dégagement des maisons occupées et par le droit de porter en dehors du service, même sans permis, des armes non réglementaires ; indirectement par l’augmentation généralisée des peines pour toute forme de résistance, même passive, à leurs ordres et pour toute forme d’atteinte, même très légère, à leur corps – qui est punie d’office par des peines de 2 à 5 ans, contrairement aux atteintes aux citoyen⸳nes ordinaires, qui ne sont punies que sur plainte et avec des peines plus légères. Le seuil de 5 ans est important car il permet à la justice de mettre l’auteur présumé en prison par le biais de la détention préventive. Policiers, carabiniers, gardiens de prison deviennent ainsi des corps sacrés, comme l’ordre du capital au service duquel ils se trouvent.

Conclusion

Le Réseau Libre de lutter (Rete Liberi/e di lottare) explique : « Cette loi liberticide, esclavagiste et policière, rédigée sous la dictée des commandements militaires doit être dénoncée et stoppée ! Elle frappe toutes les luttes et formes de protestation en cours, et veut imposer dans les usines, les entrepôts, les écoles, les prisons, dans l’ensemble de la société, une économie de guerre et une discipline de guerre, avec ses terribles coûts matériels et humains pour les classes laborieuses, qui constituent l’écrasante majorité de la société. » Il faut « s’opposer à la fois à son caractère odieusement répressif et vindicatif ».

Fabrizio Burattini, militant CGIL romain complète : « Pour les forces politiques gouvernementales, il ne s’agit pas seulement de rechercher un appui facile pour cacher les vrais problèmes et s’inventer de nouveaux ennemis. L’idée que cultive l’extrême droite (et que partage en fait la « droite libérale ») est celle de régler ses comptes avec la société et ceux/celles qui l’animent, avec les conflits qui la font vivre et survivre. Et cela en frappant par des mesures ultra-répressives toute forme de solidarité : les piquets anti-expulsion, ou devant une usine menacée de fermeture, encore devant un centre de détention aux conditions inhumaines). Il s’agit d’un véritable programme politique, et non d’une simple répression. »

Concluons avec la Confederazione Unitaria di Base : « Ce n’est pas en durcissant les peines, en multipliant les délits et en poursuivant les dissident⸳es que l’on résoudra les problèmes du pays : tout cela n’est que l’expression musclée d’un gouvernement et d’une opposition de Sa Majesté qui cachent mal la sinistre volonté de mettre sous le tapis les problèmes qui accablent les citoyens et citoyennes, les travailleurs et travailleuses, les jeunes, les femmes, les personnes immigrées qui fuient la faim et les minorités ethniques. »

Christian Mahieux3

Cheminot retraité, coopérateur des éditons Syllepse [https://www.syllepse.net], Christian Mahieux est membre de SUD-Rail et de l’Union interprofessionnelle Solidaires Val-de-Marne, il coanime le Réseau syndical international de solidarité et de luttes [https://www.laboursolidarity.org/fr] et participe à Cerises la coopérative [https://ceriseslacooperative.info] et à La révolution prolétarienne [https://revolutionproletarienne.wordpress.com].

Publié dans Les Utopiques n°27 – Hiver 2024

Télécharger l’article au format PdF avec les illustrations : Les utopiques 27 – Mahieux
1 A l’exception de quelques révisions dans l’immédiat après-guerre puis dans les années 1970, pour l’essentiel le code pénal italien est encore celui rédigé en 1930 par le ministre de la Justice du gouvernement de Mussolini, Alfredo Rocco.

2 Divieto di Accedere alle manifestazioni SPOrtive (DASPO)

3 Cet article repose sur les contributions du Rete Liberi/e di lottare, du site alencontre.org et de la Confederazione Unitaria di Base (cub.it).

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Christian Mahieux

Militant de l’Union syndicale Solidaires, France.

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