Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La guerre en Ukraine - Les enjeux

Les livraisons d’armes à l’Ukraine et l’Internationalisme

Les récents débats au Parlement européen ont une nouvelle fois permis d’illustrer les profondes divisions qui traversent la gauche européenne sur les questions de sécurité collective et, en particulier, sur la question de la solidarité armée avec l’Ukraine.

De facto, toute une partie de la gauche européenne s’oppose aux livraisons d’armes à l’Ukraine au nom de la défense des services publics nationaux, notamment. La défense de la solidarité sociale nationale s’opposerait ainsi, selon certain·nes, à la sécurité des travailleurs et des travailleuses ukrainien·nes.

Toutefois, au-delà de ces prises de position qui masquent mal un « nationalisme déguisé » pour reprendre la formule d’Hanna Perekhoda, ces divisions traversent également la gauche qui se revendique explicitement de la solidarité internationale, de l’Internationalisme et du slogan : « travailleurs et travailleuses de tous les pays unissez pays ! ». Ainsi, au 18e Congrès de la IVe internationale de février 2025, deux résolutions sur l’Ukraine ont été soumises au vote. La première, adoptée à une très large majorité (95 voix pour, 23 contre et 3 abstentions), appelle clairement à la solidarité armée avec le peuple ukrainien qui « mérite tous les moyens nécessaires pour se défendre » contre une agression impérialiste. La seconde, largement rejetée (31 pour, 80 contre et 9 abstentions), réclame « l’arrêt des livraisons d’armes par les pays impérialistes ».

Bien que passablement confuse et pour le moins contradictoire, cette dernière résolution reprend les principaux arguments qui se déploient aujourd’hui à gauche et à l’extrême gauche pour s’opposer aux livraisons d’armes à l’Ukraine, en Europe, comme en Amérique du Nord. À titre d’exemple au Québec, ce sont grosso modo les mêmes arguments qui sont mobilisés par le Collectif échec à la guerre, pour s’opposer au soutien armé de l’Ukraine. On soulignera que ce collectif regroupe le seul parti de gauche au Parlement, Québec solidaire, mais aussi le Parti communiste du Québec, de très nombreux syndicats de la CSN, de la FTQ, la Fédération des infirmières du Québec (FIQ), les principales organisations féministes, la Ligue des droits et libertés (LDL), ATTAC-Québec etc. .

Compte tenu de l’importance de ces débats pour l’internationalisme et des divisions sur cette question, nous reviendrons ici sur trois arguments avancés dans la « résolution alternative » défendue par ces « internationalistes ».

« Guerre à la guerre » et les appels à la soumission

Le premier, le plus souvent mobilisé, est un argument pacifiste. Il est « essentiel », nous dit-on, que la classe ouvrière reprenne le slogan « guerre à la guerre ». Il est évident, peut-on lire dans la résolution, qu’« alimenter le conflit avec des armes occidentales (d’abord des armes légères, puis des blindés, des bombes à fragmentation, des avions de chasse et des missiles à moyenne et longue portée) a contribué à l’escalade et à la prolongation de la guerre, à la multiplication des morts et des destructions et nous a rapprochés dangereusement d’une guerre mondiale ».

Il est donc demandé aux ukrainien·nes (exclusivement à eux et elles pour le moment) de penser un peu aux autres, d’arrêter de résister inutilement à l’empire nucléaire Russe et d’accepter enfin de négocier la partition du territoire : mais attention, leur dit-on, ils et elles doivent baisser les armes et négocier tout en prenant bien soin d’éviter un « partage injuste » de leur territoire par les impérialistes.

Voilà des appels à la soumission et à la négociation sans rapport de force, au nom de la paix et de la solidarité internationales, lourds de conséquences pour la classe ouvrière alors que la liste des projets coloniaux des impérialistes disposant de l’arme nucléaire s’étend continuellement (de la Palestine, en passant par le Canada, le Groenland, le Panama, l’Estonie, la Géorgie, la Moldavie, Taiwan…).

Une « guerre par procuration » et la question des armes labelisées anti-impérialistes

Le second argument pour s’opposer aux livraisons d’armes à l’Ukraine est lié à la manière de caractériser le conflit. Il s’agit d’« une guerre par procuration inter-impérialiste » nous disent les auteur·es de la résolution alternative.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirment bêtement les premier·ères concerné·es et la quasi-totalité des organisations syndicales, féministes, socialistes, anarchistes ukrainiennes, il ne s’agit pas d’une guerre de libération nationale contre un État envahisseur dont les dirigeants ne cessent de répéter que l’Ukraine n’existe pas et qu’elle doit se soumettre. Pas du tout. Certes, c’est compliqué, et il faut connaitre son histoire et « ouvrir la focalisation », mais c’est en fait une guerre d’impérialistes. C’est une guerre provoquée par l’OTAN, les impérialistes étatsuniens d’abord et maintenant, depuis le rapprochement entre Trump et Poutine, par les impérialistes de l’Union Européenne, contre la Russie.

La preuve que c’est une guerre provoquée ? Les États occidentaux s’en mettent plein les poches depuis longtemps en vendant des armes à l’Ukraine et se servent aujourd’hui du peuple ukrainien (naïf ? soumis ? complice ?) comme chair à canon pour affaiblir la Russie. Par conséquent, dans ce contexte, la classe ouvrière ukrainienne et internationale, n’a pas à faire le jeu de l’un ou l’autre de ces impérialistes et doit se battre pour elle-même, avec ses propres armes.

La leçon à retenir pour la prochaine fois est que si les ukrainien·nes et d’autres peuples envahis et colonisés souhaitent bénéficier de la solidarité ouvrière internationale pour se défendre, ils devront soit se débrouiller avec leurs propres moyens militaires, soit faire un peu plus attention que les ukrainien·nes dans leurs appels d’offres et la sélection de leurs vendeurs d’armes. Ils devront notamment faire la preuve du caractère « anti-impérialiste » (voire « écoresponsable » ?) de leurs armes. Dans le cas contraire ils feront « par procuration », d’après le raisonnement de ces « internationalistes », le jeu des impérialistes.

« L’ennemi principal est dans notre propre pays » et la recherche du gouvernement colonisé idéal

Enfin, dernièrement, au lieu de résister à l’envahisseur et de diviser la gauche en réclamant toujours plus d’armes, il est demandé aux ukrainien·nes de balayer devant leur porte et de s’occuper un peu de leurs affaires, en commençant par lutter contre leur propre gouvernement néolibéral et corrompu. Il est « essentiel » que les Ukrainien·nes gardent en tête que « l’ennemi principal est dans notre propre pays » peut-on lire dans la résolution.

On retiendra alors que la nature du régime politique du pays est ici un critère pour bénéficier de la solidarité ouvrière internationale quand on est envahi par une puissance impérialiste qui clame haut et fort qu’elle veut vous annexer, partiellement ou totalement selon les jours. On ne sait cependant pas très bien quel régime politique (selon quels critères politiques ?) pourrait bien bénéficier de la solidarité ouvrière de ces « internationalistes » en cas d’invasion impérialiste. Dans tous les cas, les panaméen·nes, les canadien·nes, les taïwan·naises, les estonien·nes etc. sont désormais averti·es : choisissez bien vos prochains gouvernements si vous souhaitez bénéficier de la solidarité ouvrière internationale en cas d’invasion !

Pour les aider à faire le bon choix, on peut relever que, dans cette logique, il vaut mieux être dirigé par des intégristes religieux que par des néolibéraux. Dans le cas contraire, ces « internationalistes » n’auraient certainement pas manqué de demander aux palestinien·nes de commencer par lutter contre le Hamas et d’arrêter de résister inutilement à la puissance nucléaire israélienne pour, éventuellement, pouvoir prétendre à la solidarité ouvrière internationale.

Camille Popinot
24 mars 2025

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