9 mars 2025 | tiré de vientosur.info
https://vientosur.info/esta-no-es-nuestra-europa/
La nouvelle phase historique et la loi du plus fort
Cette nouvelle phase historique se caractérise par de nombreux éléments : la crise du système capitaliste, l’accélération de la crise environnementale, la quête effrénée du profit, l’accaparement des ressources et des terres rares de la planète, une concurrence économique encore plus agressive qui remet en question les avancées précédentes de la mondialisation, l’intensification des guerres commerciales et, enfin, une course au réarmement incontrôlée ainsi que la prolifération des guerres. Sur le plan politique, on observe une montée en puissance des nationalismes et des idéologies réactionnaires et fascistes, accompagnée d’une croissance quasi exponentielle des forces politiques qui les représentent.
Les droits de la planète à préserver un équilibre écologique, les droits des peuples à l’autodétermination, les droits sociaux et démocratiques conquis par les classes ouvrières sont à nouveau menacés. Le cadre du droit international, fruit des anciens équilibres entre les grandes puissances issues de la Seconde Guerre mondiale et les pays précaires émergés de l’effondrement de l’Union soviétique, est remis en cause. Aujourd’hui, de nombreux puissants de ce monde prônent et appliquent ouvertement la loi du plus fort.
S’il faut reconnaître un mérite à Trump, c’est d’avoir mis en lumière ces formes de domination exercées par toutes les grandes puissances capitalistes. Trump détruit et continuera de détruire de vastes secteurs sociaux de la population américaine au profit de ses amis et collègues ultra-riches. Il mise ouvertement sur un accord avec la Russie pour se partager le monde, une perspective également convoitée par l’autocrate de Moscou. Il souhaite mettre fin à la guerre en Ukraine, car il estime devoir se préparer à un conflit plus large dans l’espace indo-pacifique afin de préserver l’hégémonie américaine. Dans le même temps, il négocie avec Zelensky (un accord dont il ne manque plus que la signature) pour s’approprier une grande partie des ressources ukrainiennes.
Les alliés, grands et petits, ne sont que des vassaux contraints de s’adapter, de gré ou de force (par le biais de chantages), aux intérêts et décisions des États-Unis, y compris l’Union européenne, qui doit assumer une partie des coûts économiques et militaires pour préserver les intérêts du capitalisme américain. En réalité, après la rencontre dans le bureau ovale et les prises de position propagandistes des dirigeants européens, la situation évolue. Le Premier ministre britannique tisse les liens entre les négociations économiques et la recherche d’un accord entre les États-Unis et l’Europe incluant la question ukrainienne, au point que Zelensky a pu déclarer : « Je suis prêt à œuvrer pour la paix sous la direction du président américain. »
Ce sont les puissances impériales en difficulté ou en déclin qui exhibent le plus ouvertement leur visage agressif. Quand Trump clame Make America Great Again, il ne fait que certifier le déclin des États-Unis (avec l’énorme dette qui pèse sur le pays) et propose de réaffirmer l’hégémonie mondiale par divers moyens, comme l’a illustré son inquiétant discours sur l’état de l’Union, où il a insisté sur sa volonté d’annexer le Groenland et de récupérer Panama.
La Russie, qui a connu de grandes difficultés après la disparition de l’Union soviétique, s’est reconstruite en tant que puissance capitaliste sous le régime autocratique et réactionnaire de Poutine. Elle a rapidement et brutalement repris le contrôle des territoires de l’ancien empire tsariste à l’est, avant de se tourner vers l’ouest pour « garantir sa sécurité », cherchant un nouveau partage des sphères d’influence avec les puissances occidentales. Elle est ensuite passée à l’acte avec l’invasion brutale de l’Ukraine, niant ainsi le droit à l’existence et à l’autodétermination d’une nation tout entière.
Mais le calcul était erroné : Poutine pensait prendre Kiev rapidement grâce à l’effondrement de l’État ukrainien. Au lieu de cela, il a rencontré une forte résistance populaire, soutenue par les armées occidentales. L’« opération militaire spéciale » de Poutine s’est transformée en une guerre terrible et prolongée. Mais l’Europe capitaliste et les États-Unis de Biden se sont également trompés en pensant qu’ils pouvaient gagner cette guerre ou qu’il était dans leur intérêt de la prolonger pour affaiblir la Russie et peut-être même provoquer une crise du régime de Poutine.
L’Europe n’a jamais proposé de solution politique, supposant qu’elle était impossible. La réalité s’est révélée bien différente de ce qu’imaginaient Poutine, les gouvernements européens et nos analystes de télévision. Après trois ans de guerre, on compte un million de morts et de blessés des deux côtés, des générations entières de jeunes sacrifiées sur le champ de bataille, des dizaines de milliers de civils ukrainiens tués sous les bombes russes, et des territoires immenses dévastés. Et cette guerre ne fait qu’alimenter les pires nationalismes réactionnaires. C’est pourquoi un cessez-le-feu est nécessaire.
Pendant ce temps, les dirigeants européens et américains, tout en prétendant défendre les droits et libertés du peuple ukrainien, appliquent un deux poids, deux mesures et soutiennent politiquement et militairement le gouvernement israélien, devenant ainsi complices du massacre du peuple palestinien et de la négation de tous ses droits. Là encore, c’est Trump qui exprime le plus ouvertement les intérêts des puissances occidentales et du gouvernement sioniste : l’expulsion du peuple palestinien de ses terres et le renforcement de la puissance néocoloniale sioniste comme fer de lance au Moyen-Orient.
Pour une Europe grande et armée jusqu’aux dents
L’UE montre actuellement toutes ses limites, qu’elles soient politiques, sociales ou démocratiques. Les bourgeoisies européennes n’ont pas réussi à construire un État fédéral et une gouvernance politique centralisée à la hauteur de leur puissance économique (voir les critiques de Draghi). Elles ont été tellement conditionnées et prisonnières des décisions des États-Unis qu’elles en paient aujourd’hui un prix très élevé : Trump menace désormais d’imposer des droits de douane et a déjà obtenu que l’UE accepte d’augmenter ses dépenses militaires, achetant encore plus d’armes aux fabricants américains.
Depuis plus de vingt ans, les élites européennes appliquent des politiques d’austérité brutales qui ont progressivement démantelé l’État-providence, détériorant drastiquement les conditions de vie des classes populaires et favorisant ainsi la montée des forces réactionnaires et fascistes. Elles ont de plus en plus adopté les politiques des partis de droite contre les immigré·es ; les forces d’extrême droite font désormais partie de la gouvernance politique européenne ; et sur le plan institutionnel, l’UE glisse vers un régime autoritaire et antidémocratique.
Elles ont pu agir ainsi parce qu’elles ont vaincu les forces sociales et politiques qui, tout au long du XXe siècle, ont imposé, par leurs luttes, que les pays européens soient un peu meilleurs que d’autres en matière de droits sociaux, civils et démocratiques : les classes populaires. Elles ont détruit le mouvement ouvrier, qui constituait l’ossature de cet équilibre social. Elles y sont également parvenues grâce à la soumission des directions sociales-démocrates et des bureaucraties syndicales aux politiques néolibérales des bourgeoisies. Sans le rôle central des classes populaires, il ne peut y avoir de démocratie véritable.
La rhétorique d’une Europe démocratique et progressiste est donc totalement fausse face à la réalité des faits. Le drapeau de l’UE, que le courant néolibéral de la bourgeoisie brandit aujourd’hui lors d’une manifestation nationale dans La Repubblica, est un leurre sous lequel ont été prises les pires décisions de ces dernières années. C’est le drapeau du capitalisme qui a engendré la crise actuelle. À ce sujet, on peut lire l’éditorial de il manifesto ainsi que l’article de Marco Bersani.
L’Europe communautaire, née après la Seconde Guerre mondiale pour surmonter l’hostilité entre le capitalisme français et allemand au nom d’une politique de paix d’inspiration sociale-démocrate, à une époque de prospérité du capitalisme, a commencé à s’éroder dans les années 1980 avec les premières mesures néolibérales, continuellement renforcées au fil des ans jusqu’à l’imposition totale de l’austérité. Je renvoie àcet article d’approfondissement sur l’évolution de l’unité européenne.
Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle étape avec la présidente de la Commission et le choix de Draghi, qui conçoit l’avenir de l’Europe à travers un gigantesque plan de réarmement militaire. Ce n’est pas l’Europe de la justice sociale, des droits et des mesures écocompatibles comme outils pour affronter l’avenir et les défis de la polycrise mondiale, mais une Europe où la hausse exponentielle des dépenses militaires pèsera sur les épaules des classes populaires.
Nous sommes en pleine résurgence de l’ancien adage de l’Empire romain : « Si tu veux la paix, prépare la guerre », avec une référence au fascisme italien lorsqu’on affirme qu’il faut renoncer au beurre pour avoir des canons.
Une autre Europe est possible et nécessaire
Nous sommes cependant plus que jamais en faveur de l’unité de l’Europe, mais d’une Europe différente de celle du capitalisme et de l’impérialisme. Une telle Europe ne pourra exister qu’à travers l’action et l’unité des classes populaires du continent, le renouveau et la réorganisation du mouvement ouvrier pour défendre ses droits et ses conditions sociales : partage du travail existant, salaires dignes, éducation et santé correctement financées pour toutes et tous, imposition des grandes fortunes et des ultra-riches. Les mesures économiques et politiques doivent être guidées par la vie des personnes et non par les profits et les intérêts des grandes entreprises, en particulier dans le complexe militaro-industriel. C’est le seul moyen d’arrêter la montée des forces réactionnaires et fascistes.
De plus, il faut investir dans les services publics pour garantir une véritable transition écologique, sauver l’environnement et lutter contre le réchauffement climatique ; mener une politique de paix, qui garantisse le droit à l’autodétermination de tous les peuples et minorités ; et engager une large mobilisation populaire pour une politique de désarmement. Toute initiative entravant l’action des gouvernements impérialistes, qui cherchent à aggraver les fractures sociales ailleurs, est bénéfique.
Il faut renouer avec l’objectif de construire une fédération des États européens – les États-Unis d’Europe – un projet vivant au XXe siècle, dans une perspective de transformation sociale et écologiste pour répondre aux défis économiques, sociaux et environnementaux actuels.
Nous ne nous allions pas avec les bourgeoisies européennes hypocrites, qui ne sont pas moins impérialistes que leurs partenaires américains et russes. Nous ne pensons pas que la confrontation avec l’impérialisme américain hégémonique puisse être résolue par d’autres puissances capitalistes et impérialistes, qui ne sont pas moins oppressives envers leurs peuples et qui cherchent de nouveaux espaces économiques et géopolitiques, que certains identifient faussement aux pays des BRICS.
Nous croyons plus que jamais qu’il faut partir des classes exploitées et opprimées, de leur organisation, du renforcement de leur conscience de classe, de leur unité par-delà les frontières, pour combattre tous les nationalismes réactionnaires et le double standard appliqué par les puissants en fonction de leurs alliances.
Ainsi, nous pouvons réaffirmer l’approche politique et stratégique qui caractérise notre organisation, distincte de celle des autres forces de gauche, mais qui ne nous empêche pas d’être pleinement engagés dans toutes les mobilisations sociales et politiques contre les politiques capitalistes, les forces fascistes et le militarisme :
• Contre la barbarie capitaliste qui détruit les personnes, les peuples et l’environnement.
• Contre tous les impérialismes et toute forme d’oppression et d’exploitation.
• Pour mettre fin à la guerre, à la course folle aux armements et à la spirale suicidaire du militarisme.
• Pour le droit des peuples à l’autodétermination.
• Aux côtés des classes populaires et opprimées de tous les pays, en défense de leurs droits et revendications économiques, sociales et démocratiques.
• Pour l’unité et la solidarité internationaliste des classes exploitées et opprimées, afin de construire une alternative écosocialiste.
05/03/2025
Franco Turigliatto
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