Elie Mystal, The Nation, 30 septembre 2021
Traduction, Alexandra Cyr
Le premier lundi d’octobre, la Cour suprême, la branche du gouvernement la plus puissante maintenant contrôlée par les conservateurs.trices, (a recommencé) ses travaux. Les Démocrates contrôlent la Maison blanche et sont majoritaires au Congrès. Les Républicains.es, qui ont perdu les élections présidentielles sept fois au cours des huit dernières, se retrouvent maintenant relégués.es à la branche de gouvernement non élue, qui n’est redevable devant personne.
Comme cette branche a l’autorité de défaire les décisions des deux autres branches, les Républicains.es peuvent être très nuisibles. C’est beaucoup à cause de ce pouvoir que le Sénateur Mitch McConnell, qui ne peut gagner ailleurs, a mis autant d’énergie à composer (le groupe de juges) de la Cour suprême. En 2016, il a empêché Barack Obama de nommer un juge et a accordé à Donald Trump la possibilité d’en nommer un troisième en 2020. M. McConnell joue ce jeu depuis longtemps : avoir le contrôle sur la seule institution qui échappe au vote populaire. L’ancien leader de la majorité au Sénat, n’a jamais eu besoin de « Make America Great Again » pour réussir ; il avait la Cour suprême qui est prête à faire ce qu’aucune foule de terroristes blancs.hes n’a jamais réussi : arrêter le progrès.
Durant cette session, les Conservateurs.trices vont célébrer leur réussite quant à deux objectifs poursuivis depuis longtemps qui n’ont jamais pu être remportés avec l’exercice démocratique. Nous allons constater un large accord pour que les femmes soient traitées en citoyennes de secondes zones, réduites qu’elles seront au statut d’incubateur quand la Cour entendra les arguments les plus clairs contre le droit à l’avortement depuis une génération. Nous les verrons aussi accorder plus de droits aux armes qu’aux enfants.
Nous ignorons pour le moment, un nombre d’autres causes qui seront discutées à partir de ce que la Cour appelle « shadow docket », c’est-à-dire les causes sur lesquelles elle se prononce en urgence ce qui lui permet d’éliminer les audiences publiques et d’émettre des jugements détaillés. Sans surprise, les conservateurs.trices ont souvent employé ce moyen pour juger les causes le plus controversées ou les plus partisanes. Leur domination à la Cour, à raison de six juges contre trois, va leur permettre de saisir cette chance de gagner la guerre culturelle qu’on leur demande de mener.
Plusieurs journalistes qui couvrent ce tribunal ont dépensé beaucoup d’énergie à la fin de la session précédente pour nous faire croire que la situation n’est pas aussi inextricable ; qu’en réalité les juges ne sont pas prisonniers.ères des lignes partisanes des Présidents qui les ont nommés.es. Ils assurent que le partage est plutôt de trois fois trois, avec des modérés.es que seraient le juge en chef John Roberts, le présumé violeur Brett Kavanaugh et la nouvelle juge Amy Coney Barrett. Ce groupe aurait des positions plus ou moins centristes. Cette analyse est complètement fausse. Leurs décisions seront toujours en phase avec celles de leurs collègues conservateurs.trices sur les sujets les plus importants. Leur accord est allé vers la baisse du pouvoir ouvrier, vers le vote comme un privilège de la population blanche, vers la permission donnée aux groupes religieux d’interdire aux couples LGBTQs d’adopter. Ce n’est pas que théorique ; ce sont trois causes ont été réunies par les conservateurs.trices à la fin de la dernière session pour un jugement conjoint. Ces six juges sont d’accord sur le but à atteindre. Là où ils ne s’entendent pas c’est sur les meilleurs moyens à prendre pour finaliser leur horrible tâche de démanteler les gains obtenus au titre des droits civiques, de ceux des mouvements gais et de la destruction du filet social. Un loup et un léopard ont différentes méthodes de chasse mais ils mangeront tous les deux leurs proies s’ils en ont la chance.
D’ailleurs, ces six juges ont déjà fixé les termes du débat : leur super majorité leur permet de décider du type de causes que la Cour considérera et elles sont maintenant dramatiquement de droite. Ceux et celles qui parlent d’une Cour à trois fois trois, sont comme les observateurs.trices qui vivent dans le noir et vous disent que la lune est l’astre le plus brillant du ciel.
Je veux être clair, ce ne sont pas chacune des causes qui sera jugée à six contre trois. Mais toutes seront examinées et argumentées avec des yeux conservateurs, quant aux enjeux que les conservateurs.trices favorisent et les décisions seront basées sur ce que ce groupe pense qu’il pourra en tirer comme bénéfice.
Il semble bien que les Démocrates et les Républicains.es du Congrès s’en accommodent. Ils ont accepté le contrôle conservateur de tous les tribunaux. L’administration Biden s’est appuyée sur l’énergie et la passion de la base démocrate pour introduire son plan de réforme de la Cour suprême. Il a confié la tâche à une commission de professeurs.res de droit où il va mourir. Le Congrès tente de contourner le problème en votant des lois pour protéger le droit de vote ou les droits reproductifs mais comme la règle du Sénat exige 60 voix de majorité (filibuster) rien n’est adopté.
Les conservateurs.trices ont gagné la bataille du contrôle de l’aile judiciaire fédérale. Avec cette session, le pays va en payer les conséquences.
Audition du premier décembre 2021 : Dobbs c. Jackson Women’s Organization
Au moment d’écrire ces lignes, je ne sais pas encore combien de temps la Cour suprême fera durer la loi texane interdisant l’avortement au-delà de six semaines. Le premier septembre dernier, elle en approuvé l’application en invoquant le fait que cette loi qui donne le pouvoir à n’importe quel.le citoyen.ne privé.e de violer les droits constitutionnels des femmes enceintes l’empêche de maintenir 50 ans de jurisprudence en . Le département de la justice a poursuivi le Taxas pour bloquer cette loi mais, est-ce que la Cour suprême entendra cette cause et si oui quand ? La question est posée. (n.d.t. Le Texas a fait appel devant une cour fédérale qui lui a donné raison. L’interdiction de la loi aura donc duré deux jours).
Nous savons que l’engagement de ces juges envers la fin des droits de reproduction va demeurer, que la loi texane soit maintenue ou non. Car la Cour entendra une autre cause, complètement différente, qui est conçue pour renverser l’arrêt Roe c. Wade. La cause de Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization pourrait permettre au tribunal de produire une autre version de la loi texane, avec sensiblement les mêmes résultats.
Pour comprendre comment la Cour suprême diminuera probablement le droit à l’avortement si elle ne le supprime pas tout simplement, nous devons comprendre le cadre juridique actuel, du moins avant l’adoption de la loi texane. Il existe deux arrêts de la Cour suprême qui définissent le droit à l’avortement : Roe c. Wade en vigueur depuis 1973 et Planned Parenhood of Southeastern Pennsyvania c. Casey depuis 1992. Le premier arrêt stipule que le gouvernement ne peut violer le droit d’une femme à mettre fin à sa grossesse avant que le fœtus ne soit viable soit aux environs de 24 semaine (de gestation). Le deuxième arrêt stipule que le gouvernement peut restreindre les droits de la femme à vouloir son avortement dans les temps prescrits mais qu’il ne doit y avoir aucune pression indue sur ce choix.
D’un certain point de vue, le deuxième arrêt renverse le premier. Mais on n’en parle pas de cette manière parce qu’il serait plus facile pour les candidats.es républicains.nes d’arrêter de financer les avortements (en partie comme c’est le cas en ce moment) et d’invoquer qu’il s’agit de « l’avortement sur demande » plutôt que d’admettre que le ver est dans le fruit. C’est aussi plus facile pour les candidats.es démocrates de prétendre que Roe c. Wade protège vraiment les droits à l’avortement et qu’il n’y a rien d’autre à faire pour protéger l’autonomie des femmes sur leur corps. Mais, en réalité, le deuxième arrêt permet aux législatures des États républicains de mettre quantité de bois dans les roues des femmes qui veulent exercer leur droit constitutionnel (à l’avortement). Les tribunaux conservateurs ont toujours jugé que leurs restrictions n’étaient pas des « pressions indues ».
La seule vérité qui subsiste avec l’arrêt Roe c. Wade c’est qu’il est inconstitutionnel de bannir l’avortement alors que le fœtus ne peut survivre en dehors de l’utérus. En ce moment, la Cour suprême s’apprête à attaquer ce vestige de droit.
L’enjeu dans la cause Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, est une loi de l’État du Mississipi qui interdit l’avortement au-delà de 15 semaines de gestation, donc 10 semaines de moins que le moment de viabilité (du fœtus). Elle prévoit une exception en cas de mises en danger de la vie de la mère mais aucune pour les cas de viol et d’inceste. C’est une restriction d’extrême droite. Cela veut dire qu’après 15 semaines de grossesse l’État du Mississipi prend le contrôle du corps de la femme en lui ordonnant de la mener à terme. La plupart des femmes qui ne chercher pas à tomber enceinte ne se rendent pas compte qu’elles le sont durant le premier trimestre si ce n’est plus. Comme il y a une seule clinique qui pratique les avortements au Mississipi, Jackson Women’s Health Organization, sa loi n’est pas « une pression indue » ? C’est une barrière solide.
Cette loi est une claire violation de la jurisprudence établie par les deux arrêts en vigueur. C’est si clair, que deux tribunaux inférieurs à dominance conservatrice l’ont déclarée telle. Le Mississipi s’est donc tourné vers la Cour suprême pour demander le renversement de Roe c. Wade tout simplement. Si la Cour a accepté d’entendre cette cause c’est qu’il y a au moins quatre juges qui sont prêts.es à considérer ce renversement. C’est une opinion d’extrême droite de soutenir que les avortements pratiqués avant que le fœtus ne soit viable est inconstitutionnel. Je suis prêt à parier que les juges Clarence Thomas, Samuel Alito, Neil Gorsuch et Amy Coney Barrett sont disposés.e à concevoir une loi pour prendre le contrôle du corps des femmes. Alors reste la grande question : y aura-t-il un.e cinquième juge, que ce soit le juge en chef Roberts ou le présumé violeur Brett Kavanaugh, qui se joindront aux quatre premiers ? Je pense que les deux pourraient le faire. Le juge Kavanaugh était du côté des forces anti avortement quand le tribunal a permis au Texas d’aller de l’avant. Et le juge Roberts qui a été contre, l’a fait en mettant l’accent sur les particularités de procédures de la loi texane pas sur l’attaque aux droits constitutionnels à l’avortement qu’elle constitue. La loi restrictive du Mississipi le fait clairement.
Je pense que le tribunal va maintenir la loi du Mississipi mais en plus, va le faire de manière à soutenir le plus possible le programme politique républicain. La victoire de la loi du Mississipi va donnerait aux mots « pressions indues » le carcatère d’une farce cruelle, mais ne renverserait pas l’arrêt Roe c. Wade. La Cour suprême va se rendre à la limite du moment de viabilité du fœtus que l’arrêt protège, ce qui va permettre aux commentateurs.trices des grands médias et à des Républicains.es comme Susan Collins de brandir : « Vous voyez, Roe c. Wade est toujours la loi ». Les mouvements conservateurs pourront aussi faire des demandes de financement pour maintenir leurs luttes contre l’avortement. Les Démocrates opportunistes pourront aussi déclarer que Roe c. Wade est protégé et qu’il n’y a donc pas de raisons de réformer la Cour suprême ou d’adopter une loi au Congrès qui protégerait vraiment le droit des femmes à choisir de poursuivre leurs grossesses ou non.
Mais, dans les États à majorité républicaine, le droit à l’avortement va être sérieusement mis en péril et dans certains cas, comme au Mississipi, il n’existera pour ainsi dire plus du tout. Les femmes les plus favorisées de la société pourront encore se rendre en Californie ou au Canada pour mettre fin à une grossesse non désirée. Mais les conservateurs.trices par ailleurs se seront rapproché de leur but : transformer les femmes pauvres en incubateurs dans l’incapacité de faire valoir leur droit constitutionnel sur leur corps. Leur bataille dûre depuis deux générations. Avec leur majorité de six contre trois à la Cour suprême, il leur est possible de mettre en œuvre leurs promesses de toujours.
Audition du 3 novembre 2021, New York State Rifle & Pistol Association Inc. c. Bruen
Difficile de croire que malgré l’épidémie de violence par armes à feu dans laquelle nous vivons, que ce soit les fusillades dans les écoles, le terrorisme intérieur, les suicides et jusqu’à la violence intra familiale, les conservateurs.trices veuillent encore en ajouter. Nous sommes couverts.e du sang de nos enfants et les Républicains.es insistent pour transformer nos écoles en cours de tir sous prétexte d’augmenter notre sécurité.
L’ironie, disons une des ironies, c’est que le programme du Parti républicain en faveur des armes à feu est impopulaire. Bien sûr le discours fait mouche devant une assemblée de blancs.hes de droite mais quand arrive le moment du vote pas moyen d’atteindre la majorité. De fait, l’opinion publique est contre le port libre des armes, fortement pour la vérification universelle des antécédents, pour des limites aux capacités de tir des armes et même pour l’interdiction des armes d’assaut.
Donc les Républicains.es se tournent vers les tribunaux, l’institution dont le pouvoir ne dépend pas de la volonté populaire, pour faire avancer la cause de la violence. En 2008, dans la cause District of Columbia c. Heller, la Cour suprême a inventé le droit d’acheter des armes pour des fins d’auto défense et depuis les Républicains.es n’ont cessé de s’adresser à ce tribunal pour en finir avec ce qui reste de restrictions.
La cause New York State Rifle & Pistol Associations Inc. c. Bruen est de ce type. Elle sera entendue durant cette session et pourrait bien aboutir à la plus grande diminution de régulation des armes à feu depuis l’arrêt Heller. Ce lobby des armes à feu invoque l’argument que le simple fait d’avoir à obtenir un permis pour porter une arme de poing en public est une violation du Second amendement de la Constitution, (celui qui traite du droit aux armes n.d.t.). C’est le cœur de cette cause issue de New York parce là, comme dans d’autres États, il faut obtenir un permis pour porter son arme en dehors de chez-soi. Pour obtenir ce permis, il faut démontrer que l’on a une bonne raison de se promener à titre d’ange de la mort. Le groupe défenseur des armes à feu soutient que cette exigence viole les droits constitutionnels des propriétaires d’armes.
Voici le moment de rappeler les premiers mots du second amendement : « Une milice bien règlementée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre….. ». Ces mots donnent littéralement la raison exacte de détenir une arme. L’idée qu’un gouvernement d’État qui impose de détenir un permis pour tout, depuis conduire une auto jusqu’à vendre de la bière, ne peut en imposer un pour détenir une arme mortelle, n’est qu’une idée de cinglé. Mais la Cour suprême s’apprête à trouver cet argument crédible alors même qu’elle décidera probablement qu’un État peut dicter à une femme ce qu’elle peut faire avec son utérus ; c’est contradictoire. Mais c’est ce qui se passe quand vous donné le contrôle des tribunaux aux conservateurs.trices.
Étant donné leurs pratiques hors constitution ou jurisprudence, étant donné qu’il ne s’agirait que de reconnaitre les droits aux armes selon leurs déclarations, il est impossible de deviner les termes qui seront utilisés pour déclarer la victoire des lobbys des armes à feu. Mais j’ai une bonne idée de la manière par laquelle il la justifieront.
Un groupe d’avocats.es représentant majoritairement des gens de couleur ont récemment soumis à la Cour une déclaration amicale en soutient à cette cause. Cette déclaration invoque que les exigences de l’État de New York pour l’obtention du permis sont racistes parce que les corps policiers qui doivent émettre les permis se servent de ce pouvoir pour empêcher ces personnes d’exercer leurs droits au deuxième amendement. Donc l’imposition de la loi permettrait de se servir de la possession illégale d’armes comme un moyen de harcèlement envers les propriétaires de couleur et souvent avec violence.
Ce n’est pas tout-à-fait faux. Ces avocats.es ont un bon argument mais arrivent à une mauvaise conclusion. C’est leur adhésion à l’idée conservatrice que le second amendement confère un droit de possession d’arme aux individus qui leur fait demander qu’il s’étende à leur clientèle généralement ignorée par le lobby blanc des armes à feu. Au lieu de demander la réforme de l’institution policière, ils et elles se battent pour le droit aux armes. Je pense que cet argument sera repris par les juges conservateurs.trices de la Cour suprême qui pourtant n’ont aucune considération pour les gens de couleur quand vient le temps de protéger leur droit de vote. Ils seront heureux de leur accorder le pouvoir de s’entre tuer.
Nous sommes la seule nation développée qui ne peut protéger ses enfants de la violence par arme à feu. La Cour suprême va statuer qu’il va continuer d’en être ainsi.
Audition du 13 octobre 2021, United States c. Tsarnaev
Si vous êtes contre la peine de mort comme je le suis, vous êtes contre le fait de tuer les affreuses personnes qui sont clairement coupables du crime dont elles sont accusées. Dzhokhar Tsarnaev est un de ceux-là. Avec son frère Tamerlan, il a perpétré l’attaque à la bombe du marathon de Boston en 2013. Trois personnes y ont perdu la vie et des centaines ont été blessées. Il a été trouvé coupable et a reçu une sentence de mort.
Mais le tribunal d’appel du premier circuit a renversé cette sentence l’an dernier. Il a jugé que le tribunal de première instance n’avait pas demandé aux jurés s’ils n’avaient pas été biaisés par la publicité autour de cette attaque et statué, que donc, la sentence avait exclu des preuves concernant le frère de D. Tsarnaev de manière irrégulière. Le frère a été tué durant la poursuite par la police.
Bill Barr ministre de la justice, qui a été pris d’une folie d’application des peines de mort l’an dernier, a fait appel à la Cour suprême de ce jugement de la cour d’appel. Le plus haut tribunal a refusé de l’entendre durant l’administration Trump mais l’a accepté après les élections (présidentielles). Comme D. Trump a perdu l’élection, on ne le répétera jamais assez, le problème est devenu celui du nouveau ministre, Merrick Garland et de Joe Biden.
Le Président Biden est réputé être contre la peine de mort mais le Département de la justice a maintenu la demande à la Cour suprême de rétablir la peine de mort contre D. Tsarnaev. Il n’est pas inhabituel que le Département de la justice poursuive les procédures dans des causes qui ont débuté au cours de l’administration précédente. Mais il est tout-à-fait incorrect que M. Garland poursuive les politiques de B. Barr sans respect pour l’institution. Mais cela semble être devenu une habitude de sa part au cours des derniers mois.
Rien de renversant quant à ce que le tribunal va faire. Tous.tes les juges conservateurs.trices sont « pro-vie » quand il s’agit du fœtus et que leur capacité à contrôler le corps des femmes en découle, mais deviennent « pro-mort » dès le moment de la naissance. La juge Amy Coney Barrett l’a dit plutôt hypocritement dans un article d’une revue juridique : « Les juges catholiques devraient se récuser des causes qui impliquent la peine de mort parce que l’Église est contre cette punition ». Mais au cours de ses audiences pour sa nomination à la Cour suprême en 2017, elle a laissé entendre qu’elle ne se récuserait pas de ce genre de causes. Elle n’a donné aucune indication qu’elle se récuserait de celle-ci ni si elle jugerait en faveur de la vie.
Les autres juges conservateurs ne prétendent même être en conflit avec eux-mêmes quand il s’agit de décider du droit de l’État à tuer un.e de ses citoyens.nes. Ils ont refusé d’entendre les appels contre la peine de mort (pour ce citoyen) d’une manière cruelle l’automne dernier et durant l’hiver alors que B. Barr et D. Trump tentaient d’accélérer le rythme des exécutions.
Les conservateurs.trices de ce tribunal veulent l’exécution des condamnés.es en attente dans le couloir de la mort. Nous savons qu’il leur faudra utiliser tout leur pouvoir légal pour y arriver et ce sera fait. Je ne sais pas si D. Tsarnaev est incorrigible ; je sais que cette Cour l’est.
Audition du 4 octobre 2021, Mississipi c. Tennessee
Il n’y a pas de causes environnementales remarquables sur le rôle du plus haut tribunal. C’est en partie parce que les centristes démocrates ont passé leur temps à critiquer le New Deal vert plutôt que de préparer leurs projets de loi pour s’attaquer à la foule de crises environnementales auxquelles nous faisons face. Il est clair que la moindre loi un peu forte dans ce domaine déclencherait un examen de la part de la Cour suprême. En effet, les intérêts cachés des secteurs pétroliers et gaziers voient comme une garantie les juges conservateurs.trices qui leur donneraient un laisser-passer solide pour la conservation de leur liberté sans responsabilité. Sans une bonne loi, ces secteurs n’ont même pas à en appeler aux négationnistes de la crise climatique pour les soutenir devant le tribunal.
Mais, que les politiciens.nes le veuillent ou non, le climat change et notre propension à détruire la planète aura des conséquences légales.
Le droit à l’eau est un de ces enjeux liés aux changements climatiques qui aura des conséquences juridiques. Notre réserve d’eau fraiche est en déclin mais chaque gouvernement tente de pomper tout ce qu’il peut. De cette façon pas besoin d’informer les électeurs.trices de vérités dérangeantes comme, la nécessité de conserver l’eau.
Savoir quel État a le contrôle sur les ressources en eau est au cœur de la cause qui oppose le Mississipi au Tennessee. L’aquifère Sparta-Memphis est une immense ressource d’eau souterraine de 70,000 milles carrés et s’étend sous huit États. Le Tennessee qui se situe en amont du Mississipi a commencé à y pomper, captant ainsi de l’eau qui autrement irait au Mississipi.
Ce n’est pas la première fois qu’un État en amont d’un autre capte ou bloque l’accès à l’eau de son voisin en aval. Dans ces situations, la Cour suprême, qui entend ces causes sans que les protagonistes aient eu à passer devant un tribunal de première instance, ordonne généralement « un partage équitable » des ressources disputées. En d’autres mots que les États se les partagent gentiment.
Mais avec sa méthode de pompage le Tennessee ne tire que l’eau sous son propre sol. Le Mississipi soutient que cette méthode fait que l’eau pompée a déjà atteint ses frontières et retourne au Tennessee, donc, que cet État s’accapare de son bien, de l’eau qui n’est pas tant liée au Mississipi que physiquement présente là.
Donc, faire un partage équitable avec le Mississipi n’est pas la bonne solution. Il devrait avoir un droit souverain sur l’eau qui est déjà sous son territoire. Le Tennessee devrait cesser son pompage et payer une redevance au Mississipi.
C’est la première fois que la Cour suprême entend ce genre de cause qui concerne les eaux souterraines mais ce n’est surement pas la dernière. Nos rivières et réservoirs ne sont plus aussi pleins et la demande en eau de la part des fermes industrielles et des individus ne cesse d’augmenter. Les États creusent de plus en plus à la recherche d’eau. Et les aquifères ne respectent pas les frontières entre les États et les territoires politiques.
Une approche habile pour le futur voudrait que les droits à l’eau soient fédéralisés et que le gouvernement fédéral accorde des droits pour des quantités d’eau calculées pendant qu’une institution nationale de l’eau serait mise en place et administrerait un programme de conservation. Mais le simple fait d’écrire cela va donner aux charlatans de Fox News matière à alimenter leur peur. Ils seraient probablement inondés de courriels de téléspectateurs.trices soutenant « Make America Great Again » avec photo les montrant en train de déverser des litres et des litres d’eau sur leur pelouse en disant : « Pas un.e libéral.e va m’empêcher d’arroser mon entrée ». Les Républicains.es vont combattre bec et ongle toute politique adéquate de conservation de l’eau, convaincus.es que lorsqu’il n’y en aura presque plus, les propriétaires d’armes à feu et les riches pourront encore en trouver à boire.
Donc, au lieu d’avoir une véritable politique de conservation de l’eau, nous allons continuer sur notre chemin de destruction et les juges non élus.es vont y contribuer en traitant ce problème de ressource décroissante État par État et cause par cause.
« Shadow Docket »
La majeure partie du programme de la Cour suprême est connu d’avance et c’est le cas encore cette année. Le calendrier des audiences est basé sur des audiences devant les neuf juges devant public et devant la presse. La plupart du temps, les analyses du tribunal en fin de parcours portent principalement sur les jugements obtenus après de vifs débats et délibérations expliqués dans de longues opinions écrites et en exposant les bases légales.
Mais c’est un tout autre processus de décision que le tribunal, sous contrôle des conservateurs.trices, a appliqué et de plus en plus souvent au cours de ces dernières années. Les avocats.e l’appelle le « Shadow Docket ». Sous cette procédure le tribunal accepte des causes en « urgence » en dehors de ses procédures normales. Les avocats.es doivent présenter leurs arguments le plus brièvement possible par écrit et ne peuvent débattre en personne, en public et devant la presse. Il ne faut pas des mois pour qu’un jugement soit prononcé parce que les juges en discutent longuement. Mais après des conversations informelles, généralement, les juges se prononcent sans autres délais. En plus on ne s’embarrasse pas d’informer le public des arguments qui ont mené à la décision, au contraire. Quelques phrases explicitent un ordre. Et, bien sûr, en agissant ainsi dans l’ombre, les juges n’ont pas le courage de signer individuellement leurs jugements.
Il semble que le plus haut tribunal applique cette procédure selon le Président en exercice. Pendant le mandat de D. Trump, elle a été utilisée pour autoriser la plupart de ses politiques les plus controversées. Il a ainsi gagné la vaste majorité des causes que son administration a déposé devant ce tribunal, selon les analyses de l’Agence Reuters. L’administration Biden y a déjà essuyé des défaites.
Que ce soit pour ou contre le Président en exercice, la Cour suprême a utilisé cette procédure opaque pour juger favorablement les causes les plus controversées et les plus partisanes. Ce fut le cas pour presque toutes ses décisions en lien avec la gestion de la COVID-19. Entre autre les deux jugements sur la décision du Center for Disease Control d’interdire les évictions de locataires pour ne pas répandre la maladie, ont été édictés avec cette procédure. Elle a aussi ordonné au Président Biden de remettre en place le programme installé par D, Trump qui oblige les requérants.es d’asile à demeurer au Mexique en attendant d’être convoqués.es au tribunal de l’immigration, par un texte d’un paragraphe non signé et qui ne donne aucune information sur la logique qui lui a fait suspendre ainsi la division constitutionnelle des pouvoirs. Et sans compter que la Cour n’a pas l’autorité sur les traités passés avec des gouvernements étrangers.
La loi sur la quasi interdiction totale des avortements au Texas a aussi été validée par cette procédure.
Je pourrais spéculer sur les raisons qui incitent ces conservateurs.trices à préférer ce mode de décision mais ça n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est le résultat : sous le vocable « urgence » ce tribunal édicte maintenant des politiques avec effet immédiat et presque à chaque fois elles sont en concordance avec le programme politique des Républicains. À partir du moment où les avocats.es républicains.es peuvent convaincre cinq juges de la valeur de leurs arguments et de se prononcer sans délais, le Parti Républicain peut faire progresser son programme malgré qu’il soit minoritaire dans toutes les autres branches du gouvernement. Et la Cour suprême mène ses débats « en cachette ».
À cause de cette situation l’ampleur du pouvoir qu’exercent les juges conservateurs.trices n’est souvent pas considérée par ceux et celles qui ne s’Intéressent qu’aux causes débattues publiquement. N’importe quelle loi adoptée par le Congrès, n’importe lequel décret présidentiel peut être renversé par la Cour suprême en un temps record et sans que les raisons soient dévoilées. En refusant de réformer ce tribunal les Démocrates ont donné aux six juges conservateurs.trices un droit de véto sur leur programme : il l’a déjà utilisé et il continuera à le faire.
Les Démocrates ont peut-être gagné la dernière élection mais les conservateurs.trices ont encore beaucoup de pouvoir. La Cour suprême le confirmera durant cette session.
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