Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Podemos. Toujours la crise et une affiche qui fait mal...

La démarche d’affichage a été publiquement reçue comme si primaire, si grossière - mais aussi, pour certain-es, comme un véritable lapsus révélateur d’un refoulé politique/prépolitique d’attachement magique à la figure d’Iglesias - que celui-ci en a été gêné, au point de s’en désolidariser et de la faire retirer.

Tiré du blogue de l’auteur.

Sur son chemin de croix, Podemos en appelle au Sauveur...

La crise politique s’amplifie dans Podemos : la rupture ouverte, au coeur politique du pays, Madrid, par Iñigo Errejón (cliquer ici), l’ancien plus proche compagnon du secrétaire général Pablo Iglesias, au profit d’une alliance électorale avec la maire sortante, Manuela Carmena, elle-même décidée à s’émanciper de toute tutelle podémite, a déclenché une onde de choc dont le "parti violet" ne parvient pas à se remettre. Les ralliements de cadres au dissident se sont multipliés (parmi les alliés, celui des écologistes madrilènes d’Equo), les conflits plus ou moins latents dans les micro-appareils locaux s’aiguisent, les démissions de figures connues ou moins connues continuent, les cercles de base dénués de vrai pouvoir de décision se languissent et rétrécissent, les partenaires en coalition municipale, qui avaient permis de décrocher des villes parmi les plus importantes en 2015 (outre Madrid, Barcelone, Santiago, Saragosse...), prennent leurs distances ou posent leur conditions pour reconduire l’unité...sous leur égide (1)... Et l’image du parti battant qui, il y a quelques mois encore, parvenait, mais déjà contre vents et marées, à se maintenir à flot, s’en trouve sérieusement écornée. Les sondages l’annoncent parti battu et, méchant retour de bâton de l’histoire, le PSOE est en passe de lui prendre la moitié des sièges de député-es (cliquer ici). Alors qu’initialement perçu partie prenante de la "caste" à combattre, il était la gauche à dépasser, et même à électoralement "surpasser" (le "sorpasso" était le leitmotiv de ce moment de « guerre de mouvement » !), il fallut se résoudre à assumer qu’il restait indépassable et que, désormais « guerre de position » oblige, l’heure était à travailler plus humblement à devenir son allié subalterne pour ainsi se trouver en mesure d’accéder au gouvernement du pays. Le paradoxe pour les socialistes est que cette bénéfique dégringolade annoncée du trublion violet qui s’agite, toujours plus dans le vide, sur leur gauche, en n’opérant qu’un transfert de député-es à leur profit, à somme constante des deux scores, empêcherait tout élargissement de la base électorale nécessaire pour que la coalition de gauche gouverne en majorité absolue (2). Ce qui permettrait au "triparti" formé des droites et de l’extrême droite, boostées par leur récent succès andalou (lire ici), de passer en tête, sans cependant être sûr lui-même, d’obtenir cette majorité absolue !

La bouteille à l’encre et l’ingouvernabilité de l’Etat espagnol depuis la secousse indignée seront-elles, à nouveau, au rendez-vous au sortir de la lourde prochaine séquence électorale (se déclinant en consultation législative centrale, européenne, municipale et autonomique) ? Le fait est que l’échec majeur de Podemos pourrait bien être de s’être laissé happer par la crise générale du régime pour n’avoir ni su ni, surtout, voulu travailler à finir le travail du négatif engagé, et de quelle façon, par le 15M [mouvement « indigné » d’occupation des places en mai 2011 qui fut suivi des mobilisations sociales des « marées »] ! Quelle cruelle ironie que le parti qui avait reçu, en quelque sorte implicitement, délégation et mandat d’apporter la sortie positive, pleinement politique, à l’indignation, se voie lui-même rattrapé par la dynamique antipoliticienne et « abstentionniste » du mouvement des places dont les partis institutionnels, donc Podemos qui a intégré leur camp par électoralisme, ne parviennent toujours pas à se remettre !

Une anecdote récente, comme souvent signifiant plus qu’anecdoctiquement, est venue apporter une touche à la fois amusante et désespérante dans un paysage politique assez sombre qu’heureusement éclaire, en son acmé du 8 mars (350 000 manifestant-es à Madrid, 200 000 à Barcelone), la puissante mobilisation féministe, véritable fer de lance de la résistance politique au système et, plus précisément, à l’extrême-droitisation qui le gagne de façon accélérée. Cette anecdote concerne Podemos et a justement à voir, mais hélas en contrepoint, avec cette percussion féministe annoncée pour la journée de grèves et manifestations des femmes. En effet, signe du désarroi des militant-es podémites encore sur la brèche mais, plus sûrement, de la structure chargée de la communication dans l’appareil, une affiche a été élaborée qui, sans le vouloir, a mis le doigt sur le point où cela fait mal dans le parti. Voici l’affiche :

Traduisons : "Vuelve" veut dire "Il revient" (mais aussi un impératif "reviens"), "il" c’est, la silhouette levant le poing ne laisse aucun doute, Pablo Iglesias (qui doit tenir meeting à ciel ouvert le 23 mars à Madrid "pour faire ses retrouvailles avec les gens"), ce qui est à comprendre à partir du fait que, depuis trois mois, bel engagement féministe au demeurant, le secrétaire général de Podemos est en congé de paternité ; congé qu’il a pris, à égalité de temps, après celui de sa compagne, la numéro 2 (eh oui !) du parti, Irene Montero. On devine que, pour les concepteurs de l’affiche, l’absence de la scène politique induite par ce congé de paternité explique, au moins pour partie, que Podemos ait été dans l’incapacité de contrer la dynamique de l’échec qui, dans le temps de cette absence, appelée, ouf, à prendre fin prochainement, s’est emballée. Cependant cette façon de penser qui s’insinue en filigrane de la représentation graphique se double de l’aveu que le parti s’assume absolument dépendant de ce que fait ou n’est pas en mesure de faire, de ce que décide ou ne peut pas décider son chef. Nous tenons-là cette signification de fond évoquée plus haut de ce qui participe de la crise de Podemos, son fonctionnement verticaliste, à l’opposé de l’horizontalité absolue de l’indignation du 15M, qui a asséché sa capacité créative et surtout contestataire et lui a fait assumer, en un terrible mimétisme prosystème, ce qui est de règle dans le mode interne d’existence des partis en place.

La boucle s’est ainsi bouclée de la banalisation, de l’édulcoration, voire de la "domestication"(3), en un parti foncièrement comme les autres, d’un groupe politique pourtant initialement, quoique brièvement, doté d’une force de frappe intensément iconoclaste. Laquelle force de frappe était - c’est, pour moi, un point majeur - liée à la place qu’occupaient, à ce moment-là, les anticapitalistes (rédacteurs pour l’essentiel du programme radical qui permit la percée fondatrice des Européennes de 2014). Il n’est, pour le coup, pas anecdotique de rappeler que, une fois ce premier succès électoral obtenu, les Iglesias, Errejón, Monedero, Montero, Bescansa, Alegre..., n’ont eu de cesse de neutraliser lesdits anticapitalistes comme cela s’est exprimé, dès le congrès de fondation de l’automne 2014, de façon prémonitoire de l’échec actuel : une grossière manoeuvre de dernière minute sur le règlement électoral avait exclu ceux-ci, emmenés par l’andalouse Teresa Rodríguez (et Pablo Echenique aujourd’hui rallié à Pablo Iglesias), de toute représentation dans les organes de direction du parti ! Hasard qui évidemment n’en est pas un, les anticapitalistes de Madrid, où ils sont bien implantés, viennent d’annoncer (lire ici en espagnol et ici en français) qu’ils rompaient avec Podemos pour constituer une coalition, aux municipales, concurrentielle directement avec la liste de Manuela Carmena (et logiquement avec celle de Errejón au niveau de la communauté autonome...où la tête de liste de Podemos est une ancienne ... anticapitaliste !). Le tout en convergence avec les héritiers directs des Indigné-es de la capitale (Bancada Municipalista) mais aussi avec la fédération madrilène d’Izquierda Unida, qui s’oppose à l’accord signé par sa direction nationale avec Podemos. Peut-être avons-nous là les prémices d’une recomposition politique d’envergure (circonscrite dans l’immédiat à la capitale et, semble-t-il, à Murcie) se proposant d’apporter une réponse à l’actuelle décomposition de Podemos et renouant avec l’ADN de l’indignation, à partir de ce que tant Errejón que Iglesias, frères ennemis politiquement solidaires en cela, mais aussi les figures indépendantes municipalistes comme Carmena à Madrid ou Colau à Barcelone, ont toujours écarté ou, au mieux relativisé : l’organisation populaire dans des assemblées de quartier décisionnelles, avec le moins de délégation de pouvoir et, dans une logique de rupture, antigestionnaire (une Carmena est fière de payer la dette de la ville rubis sur l’ongle !) et opposée à toute alliance avec le PSOE !

Les Anticapitalistes de Madrid rompent avec Podemos

Faisons, pour finir, un retour sur cette affiche, si emblématique de l’impuissance de Podemos à réinventer, en termes d’alternative, les codes tant graphiques que politiques : les réseaux sociaux, voir ci-dessous, ont en effet souligné, à qui mieux mieux, l’extravagance de ce cri messianique qui, en grosses lettres, offre au bon peuple représenté flouté, la "bonne nouvelle" de l’avènement, en fait du Retour, du Sauveur suprême rédempteur du malheur vécu. Lequel Sauveur suprême, vu de dos, avec une silhouette, elle, nettement délimitée, mettant en évidence sa longue chevelure à connotation christique comme la barbe que chacun-e devine, induit, en amont, donc graphiquement absent, le parti, suiviste de l’Unique, et, en aval, le peuple à rejoindre, étant entendu que le floutage de sa représentation ne le désigne pas précisément comme acteur de son destin mais plutôt comme spectateur du retour salvateur du seul acteur, du seul postulé à même d’agir efficacement, l’Acteur. La logique sémantique de cette affiche est imparable par son centre de gravité que constitue le personnage guide, Pablo Iglesias, en une ellipse du parti lui-même et en une euphémisation graphique d’un peuple relégué en arrière-plan. A quoi l’on ajoutera la note incongrue inscrite au coeur du "Vuelve" qui fait délibérément ressortir, par un différentiel de coloration, un "él" ("vuELve"), "lui", particulièrement mal venu alors que ce sont "ellas", "elles" qui s’apprêtaient à tenir le haut du pavé dans tout le pays. Que dire de cette façon machiste (malgré la concordance de la couleur du parti et de celle emblématique du féminisme) de donner à penser que le Sauveur de Podemos, si tant est qu’il en faille un, dans sa plus totale singularité, ne peut aucunement être une ... Sauveuse, une "ella" ? Que dire encore de l’impensé des auteurs de cette affiche qui les amène à voir (et à donner à voir) le salut de Podemos, mais aussi du peuple, dans celui qu’une analyse un minimum critique et autocritique pourrait faire apparaître comme l’incarnation, si ce n’est le ou l’un des responsables, du processus de régression politique stérilisant les promesses du début, que nombre de militant-es ont cautionné avant de s’en détourner terriblement déçu-es et désemparé-es !

La démarche d’affichage a été publiquement reçue comme si primaire, si grossière - mais aussi, pour certain-es, comme un véritable lapsus révélateur d’un refoulé politique/prépolitique d’attachement magique à la figure d’Iglesias - que celui-ci en a été gêné, au point de s’en désolidariser et d’obtenir que l’affiche soit retirée, tandis que Irene Montero s’est sentie dans l’obligation de déclarer que bientôt Podemos aurait à sa tête une femme. Dommage que le féminisme justement et fièrement proclamé du parti en ait été réduit à surréagir dans un contretemps qui, par-delà cette affiche, est une caractéristique de fond d’une orientation qui, comme il a été observé plus haut, porte, depuis des mois, la crise et l’échec comme la nuée porte l’orage... Le régime espagnol, lui-même pris dans une crise de légitimité que le mouvement national catalan a accentuée, malgré son échec à proclamer l’indépendance et la répression qu’il subit, n’en attendait pas tant et fait la démonstration que l’adaptationnisme institutionnel auquel a cédé Podemos, en dilapidant les acquis contestataires du 15M, lui suffit, en mobilisant certes par ailleurs la répression, pour se survivre... au détriment des victimes des politiques qu’il promeut.


Le détournement sur les réseaux de l’affiche de Podemos : au lieu du "Vuelve", "Creed" (Croyez) ; Iglesias en Jésus s’adressant à la foule ; Iglesias, autrement dit "Eglises", par Pablo Iglesias ; Iglesias en concert et, enfin le "él" (lui) s’est extirpé de "VuELve" en une duplication à l’infini sur le mode revisitons, régression hyperbolique assurée, le célèbre culte de la personnalité cher au "petit père des peuples".

Tiré de El cartel que se le ‘vuELve’ en contra a Pablo Iglesias

(1) Aujourd’hui même nous apprenons qu’il se produit un conflit frontal entre Ada Colau et Podem [Podemos Catalogne] qui voit relégué le vainqueur de sa primaire en position non-éligible sur la liste électorale façonnée par la première pour les générales au niveau de l’Etat [Ada Colau choca con Podem por relegar al ganador de sus primarias en la lista a las generales]. Toujours aujourd’hui Izquierda Unida et Equo annoncent leur rupture, pour l’élection autonomique en Cantabrie, avec Podemos. Selon ces formations la crise interne de celui-ci génère trop d’instabilité pour que soit conclue une alliance crédible. Lire ici

(2) Mais il est vrai aussi que les nationalistes de Catalogne et du Pays Basque sont en l’état "indisponibles" pour renouveler, en faveur de cette majorité, l’appoint qui s’avéra décisif lors de la motion de censure contre Rajoy

(3) La secrétaire générale de Podemos Tolède a tout récemment claqué la porte d’un parti qu’elle juge être devenu "un animal domestique qui ne s’impose plus à son dompteur" par où elle cible la soumission de Podemos, à travers l’accord de gouvernement autonomique de Castille-La Manche, à un PSOE emmené par un politicien des plus prosystème. Lire ici

Humour caustique : Podemos, "un parti comme les autres" mais, en plus, gagné par le masochisme...

Sur les réseaux

De gauche à droite

Albert Rivera (Ciudadanos, centre droit déporté vers l’extrême droite) : Je voudrais démonter quelques bobards lancés par nos ennemis.

Pablo Casado (PP, droite conservatrice s’archéofranquisant à toute allure) : Nous voulons réfuter quelque chose que les médias aux ordres du gouvernement ont dit sur nous.

Pedro Sánchez (PSOE, président du gouvernement, tenté de lâcher, pour allié électoral, un Podemos en nette perte de vitesse au profit de... Ciudadanos qui, pour l’instant, fait la sourde oreille et s’allie au PP) : Nous voulons démentir les accusations versées à notre encontre par des groupes proches de l’opposition.

Pablo Iglesias (de dos bien entendu !) : Nous voulons dénoncer des campagnes attaquant notre image qui sont menées par nous-mêmes.

Tiré de eldiario.es

Dernière modification du billet ce 9 mars à 23h49.

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