La même journée que le débat paraissaient dans le quotidien Le Soleil, deux lettres signées respectivement par Ruba Ghazal et Sol Zanetti dans laquelle chaque députéE de QS exprimait une position différente concernant ce débat. Ruba Gazal était aussi présente lors de cette conférence de même qu’Andrés Fontécilla. Tous deux sont intervenus lors de la période de discussion afin d’exprimer leur appui à l’option A.
Il nous apparaît important en premier lieu de regarder la problématique telle que posée par nos députéEs afin de mieux comprendre les dimensions que ce débat représente pour Québec solidaire.
Complétant l’argumentaire de sa lettre publiée dans Le Soleil,Ruba Ghazal a insisté sur le fait que le contexte d’islamophobie qui dure depuis douze ans a fait beaucoup de mal à la communauté. « C’est pour ça qu’on veut trouver un compromis, un espace de dialogue, entre la société d’accueil et entre nous. C’est pour ça qu’il faut laisser le dialogue ouvert. Alors que si on se cantonne dans une position qui en principe paraît parfaite sur les droits fondamentaux, ce débat continuera et n’arrêtera jamais. J’ai envie en tant qu’élue de Québec solidaire qu’on prenne nos responsabilités qui n’ont pas été prises par les autres, et qu’on amène une voix de la sagesse, une voie du compromis. »
Son message a été complété par Andrés Fontécilla qui a évoqué le motif de présenter une opposition responsable aux projets de lois de la CAQ. « Legault veut étendre l’interdiction du port des signes religieux au personnel enseignant. On s’oppose et c’est sur cette notion qu’il faut se battre de façon conséquente pour faire en sorte que les profs ne soient pas inclus dans cette nouvelle charte des valeurs. » Il ajoute ensuite : « Un juge ou un policier pourrait porter des signes religieux ce n’est pas un problème contrairement à ce que décrit Rachad Antonius. Le problème c’est la perception que les gens auront de l’autorité, même si le juge applique la loi de façon impartiale. »
Pour lui c’est l’option A qui élargit le champ d’action politique de QS pour les prochains mois lorsque le gouvernement de la CAQ va présenter son projet de charte. « Si on s’en tient à "aucune restriction" comme l’option B, on va être assimilés à a position du parti libéral et on risque d’être hors-jeu. Avec notre position plus nuancée et plus riche, on se permet d’être une voie de négociation avec le gouvernement de la CAQ et ainsi faire avancer notre proposition au sein de l’opinion publique. »
Quoique compréhensible, la position de Ruba ne peut tenir la route. Ni Legault, ni la droite identitaire ne laisseront tomber un filon qui leur permet, en jouant sur les sentiments anti-étrangers, de se parer d’une justification politique pour apparaître comme les représentants du vrai Québec. Nous l’avons déjà mentionné, la recette a déjà été utilisée à répétition. Comme le mentionne la lettre aux parlementaires de QS publiée dans nos pages : « Le rapport B-T a produit l’effet inverse de celui qui était escompté. Il a accentué la stigmatisation des minorités et a encouragé l’expression de plus en plus ouverte de l’intolérance et du racisme. » Cela n’a pas empêché non plus l’instrumentalisation de cette peur par le PQ avec la charte des valeurs.
La position d’Andrés, qui correspond également à celle de Francis Boucher, ajoute une nouvelle donnée dans le débat, qui dépasse la question de la laïcité elle-même, celle de la perspective parlementaire de QS. Il faut avoir une position nuancée pour pouvoir avoir une voie de négociation avec le gouvernement de la CAQ, donc en termes clairs, qui se rapproche un peu de ses positions ou ne s’en éloigne pas trop, c’est selon le point de vue. Il affirme en fait qu’avec une position où aucune règle particulière sur les signes religieux ne doit s’appliquer à certaines professions plutôt qu’à d’autres, incluant celles qui exercent un pouvoir de coercition, nous serions empêchés d’accomplir le travail à l’assemblée nationale.
Mais notre travail n’est-il pas de débusquer les flibustiers et les poltrons qui nous gouvernent et qui autorisent les corporations et les compagnies multinationales à s’accaparer de nos richesses et à nous laisser leur pollution ? N’est-il pas aussi de démystifier l’instrumentalisation qu’ils font des préjugés et de la peur de l’étranger pour diviser la société et s’assurer le pouvoir ?
Nous allons restreindre nos positions pour mettre des pansements sur les plaies béantes qu’ils créent à chaque occasion et dans le débat qui nous occupe, tout le monde s’est servi amplement au banquet des préjugés. Le Parti libéral qui a toujours voulu se donner une apparence de sauveur des minorités a, par ses politiques d’austérité, toujours fait le contraire en appauvrissant les plus vulnérables donc en premier lieu les minorités ethnoculturelles qui ont souvent beaucoup de difficulté à se trouver un emploi quand ce n’est pas un logement. En 2017, il se joignait au mouvement de division culturelle en faisant adopter le projet de loi 62. Cette loi stipulait entre autres que les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert, autant dans les transports en commun que dans les hôpitaux, ce qui impliquait qu’une femme qui monte à bord d’un service de transport en commun doit enlever son niqab ou sa burqa, pour la durée du trajet. Nous n’y voyons ici pas de similitude avec le programme de QS et certainement pas non plus avec la position avancée par l’option B.
Le débat et la démocratie
L’entrée en jeux de nos députéEs dans ce débat pose aussi la question des règles démocratiques dans notre parti. Le fait qu’ils ou elles interviennent est justifié, mais QS possède les outils appropriés comme la lettre aux membres dans laquelle ils peuvent exprimer leur opinion. On pourrait aussi penser à en développer d’autres comme un journal interne si le besoin se fait sentir. Mais se servir des médias publics leur donne un poids inégal par rapport aux membres. Une telle intervention doit se situer dans le cadre de leur fonction de représentation des positions adoptées par QS ou du mandat général qui leur est donné.
Conférence de formation
Enfin, les quatre panélistes à la conférence discussion, Francis Boucher, Houda Rochdi, Rachad Antonius et Mounia Ait Kabboura, ont élaboré, quoique de façon inégale, sur la question de la laïcité et le port de vêtements religieux, perdant de vue bien souvent le contexte d’offensive anti étranger du gouvernement Legault.
Ainsi Rachad Antonius a concentré son discours sur le danger que représente pour le Québec la montée mondiale de l’islamisme intégriste et dans ce contexte, la gauche antiraciste crée un climat malsain par rapport à ceux qui cherchent des avenues raisonnables. Nul besoin d’aller plus loin...
Madame Mounia Ait Kabboura, a quant à elle mis de l’avant des pistes de réflexion intéressantes concernant les signes religieux dans différentes communautés et fait un historique de l’héritage culturel québécois. Elle a terminé en expliquant l’importance de la neutralité de l’État, mais en déclinant cette idée au niveau individuel en imaginant la problématique d’un policier hassidique qui arrêterait une femme voilée.
Madame Houda Rochdi a fait le constat que les recommandations de Bouchard-Taylor sont restées lettre morte. On s’est retrouvés avec le PQ et sa charte des valeurs catholaïques. On se retrouve avec la CAQ dans un même registre : le crucifix relève du patrimoine culturel, mais le voile est une opposition à la neutralité de l’État. Elle appuie la position de statu quo issue de Bouchard-Taylor parce que pour elle c’est la seule porte de sortie, la façon de ne plus parler des signes religieux et permet de présenter les musulmans comme des personnes capables de faire des compromis. Dans ce sens sa position rejoignait celle de Ruba Ghazal.
Francis Boucher a soutenu une ligne de pensée similaire à celle d’Andrés, mais plus précise. Pour lui, développer une alternative à la CAQ, c’est développer une position parlementaire crédible. Si on adopte la position B, soit aucune règle particulière sur les signes religieux, on coupe les mains à nos députéEs. Pour lui, B-T est un compromis acceptable qui vise à régler un problème par la voie de l’apaisement. Cela ne fait de mal à personne et permet de rallier plus de monde. Conserver le compromis Bouchard-Taylor permet de "passer à un autre appel".
Pour une position inclusive et rassembleuse
Au final une donnée importante était absente de plusieurs débats. Le fait que le comité de coordination national ait décidé de soumettre cette question dans un Conseil national devancé n’est pas anodin. Il avait fait le constat que le projet de loi du gouvernement Legault plaçait Québec solidaire devant une situation où notre position n’était plus nécessairement adéquate dans un contexte politique qui avait changé depuis Bouchard-Taylor. Nous avions donc l’obligation de refaire nos devoirs avant le dépôt du projet de loi et le début des débats parlementaires.
Nous devrions nous préoccuper du fait que c’est l’État qui doit être laïque et qu’en ce moment l’État finance les écoles privées, dont les écoles confessionnelles. Que le gouvernement Legault entende exclure les écoles privées de son projet de loi, en dit long sur son hypocrisie. Le prochain Conseil national sera le moment d’ajuster notre position afin de contrer cette offensive mensongère en adoptant une position inclusive et rassembleuse.
Messages
1. Un débat porteur de questions beaucoup plus profondes que le port de signes religieux., 14 mars 2019, 11:07, par André Frappier
Clarification de Rachad Antonius. Je ne crois pas avoir utilisé le mot « danger » à un moment quelconque pour parler de l’islamisme au Québec. Je ne pense pas à cette question en termes de menace, mais en termes de significations. Et c’est la signification des symboles que je discutais, ainsi que les conditions d’un vivre ensemble que l’on veut construire. Le modèle multiculturaliste est un modèle parmi d’autres, que je n’aime pas, mais je ne le considère pas un danger.
Le hidjab étant revendiqué comme symbole religieux, il faut voir la signification que lui donnent les religieux qui le promeuvent. Or ce sens, politisé par l’islamisme depuis une cinquantaine d’années, est maintenant associé à un système normatif qui se veut au-dessus des lois humaines, non seulement en ce qui concerne la vie spirituelle des croyant-es, mais surtout en ce qui concerne les rapports entre les humains. C’est cette signification, et non le sens individuel, extrêmement diversifié, que peuvent lui donner celles qui le portent, qui fait problème dans la situation d’une personne devant appliquer la loi mais arborant un symbole qui fait référence à une autre loi. Je parle uniquement des personnes en position d’autorité coercitive. La fonction de juge n’a pas pour objectif premier de fournir de l’emploi à ceux et celles qui l’occupent, mais de produire des jugements en fonction de certaines normes et lois. Pour un-e agent-e de l’État en position coercitive, il faut que l’apparence aussi, et non seulement le comportement, reflètent la référence à la norme légale qu’il faut appliquer et non pas à une autre norme.
2. Un débat porteur de questions beaucoup plus profondes que le port de signes religieux., 14 mars 2019, 11:25, par André Frappier
Commentaire de Solidaires pour le Compromis Bouchard-Taylor : Option A
Notre camarade André Frappier a été invité à assister à notre conférence en tant que représentant de Presse-toi-gauche, le média le plus proche de QS. On savait qu’André était pro-B mais on pouvait s’attendre à ce qu’il oublie, le temps de relater notre événement, sa position défendue à l’intérieur du parti. Ce n’est pas le cas. En fait, il répond en tant que militant de l’option B à ce qui a été dit durant la conférence.
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