M. Legault,
M. Charette,
J’espère que vous allez bien. Je me présente brièvement : Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin de famille pratiquant dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal et également présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME).
J’aimerais ouvrir le dialogue avec vous quant à la décision récente d’autoriser une augmentation des normes de nickel dans l’air au Québec.
En février dernier, nous avons soumis un mémoire extensif au MELCC que je vous invite à lire. Le sommaire exécutif, tenant sur quatre pages, fait un bon résumé des éléments les plus importants. Nous vous partageons également plusieurs recommandations.
Plus récemment, nous avons envoyé une missive à Dr Boileau, l’invitant à revisiter l’avis de la direction nationale de santé publique concernant la hausse des normes de nickel, entre autres à la suite de l’avis consensuel des 18 directions régionales de santé publique qui s’opposaient à l’augmentation des normes.
Nos préoccupations
Je vous partage aujourd’hui les éléments importants qui animent notre réflexion, et qui nourrissent nos préoccupations :
1- La fiche technique et la revue toxicologique affirment tous les deux qu’il n’existe aucune étude de spéciation de nickel au Québec, concluant ainsi que nous pouvons nous fier aux normes ontariennes et européennes. Or, ceci est faux. Une étude commandée par le MELCC lui-même, en 2013, a démontré que le type de nickel retrouvé dans l’air à Québec était de la pentlandite (ce qui est nettement différent qu’en Ontario et en Europe, où l’on retrouve principalement du sulfate de nickel) et que sa source unique était le Port de Québec. Dans la littérature scientifique, la pentlandite peut être associée à des cancers pulmonaires, alors que le sulfate de nickel, lui, est nettement moins dangereux pour la santé. C’est d’ailleurs pourquoi l’OMS recommande des normes différentes, propres à chaque type de nickel. Il est donc faux d’affirmer que se fier aux normes ontariennes et européennes est sécuritaire.
2- La Revue toxicologique de l’encadrement réglementaire de l’industrie du nickel pour le volet air ambiant, déposée en 2018 et sur laquelle la DSP nationale semble se fier, constituait une revue de littérature scientifique, mais dont les articles les plus récents étaient datés de 2011. Cela étant dit, plusieurs autres articles scientifiques ont été publiés depuis et ont été intégrés dans l’analyse que vous soumet l’AQME. Nous avons répertorié 31 études, revues de littérature ou méta-analyses d’intérêt qui ne sont pas citées dans la revue toxicologique, et dont 19 ont été réalisées chez l’humain. Ces nouvelles données, appelant à la prudence quant au cocktail de polluants dans l’atmosphère, méritent d’être considérées dans la décision.
3- Alors que nous parlons de congestion en santé et que votre gouvernement a indiqué clairement son intention d’améliorer l’accès au réseau de la santé pour tous les Québécois.es (et avec raison !), la pollution atmosphérique reste un enjeu de santé majeur. Chaque année, ce sont 4000 personnes qui décèdent de façon prématurée des conséquences de la pollution atmosphérique, engendrant des coûts sur le système de santé de l’ordre de 30 milliards $. Plus nous étudions la pollution, plus nous nous rendons compte, preuves à l’appui, qu’elle est toxique pour à peu près tous les organes du corps : elle est associée à des troubles neurodéveloppementaux chez les plus petits (dont le TDAH) et à un risque cardiovasculaire accru chez les plus âgés (maladies cardiaques, troubles neurocognitifs). L’OMS a par ailleurs, à l’automne dernier, revu à la baisse les normes de bonne qualité de l’air pour pratiquement l’ensemble des polluants. Il nous apparaît non cohérent d’œuvrer à la transition environnementale tout en polluant d’avantage.
Nous vous tendons maintenant une main bien sincère. Il nous ferait plaisir de prendre le temps de discuter de cette question importante, qui inquiète (avec raison !) de nombreux citoyens, et plus particulièrement, ceux résidant à Québec et à Rouyn-Noranda, qui respirent déjà, chaque jour, un air pollué par les industries à proximité de leur lieu de résidence.
Comme médecin, lorsque nous faisons la réévaluation d’un patient, il n’est pas rare de modifier le diagnostic et le plan de traitement lorsque de nouveaux éléments sont portés à notre attention. C’est ce que nous vous demandons maintenant de faire.
Cordialement,
Dre Claudel P-Desrosiers, médecin de famille, CLSC de Hochelaga-Maisonneuve, et présidente, Association québécoise des médecins pour l’environnement
En CC : Dre Johanne Elsener et Dr Frederic Tupinier-Martin, coauteurs du mémoire de l’AQME sur le nickel
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