Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Pas de salaire, pas de stagiaires ! S’organiser pour gagner !

Une semaine de grève étudiante s’est s’achevée à la fin novembre. À son plus fort, le 21 novembre, plus de 56 000 étudiantes et étudiants étaient en grève. Dans les ateliers de formation, dans les manifestations et sur les lignes de piquetage, la rumeur d’une grève générale illimitée à partir de janvier s’est répandue allègrement. Les associations devront se positionner dès le début de la session d’hiver. Mais, le fruit est-il mûr pour une telle lutte ?

tiré de : Infolettre janvier 2019 d’Alternative Socialiste

Bien que le mouvement ait touché plusieurs campus et rassemblé une quantité impressionnante de personnes, il serait risqué de croire que tout est prêt pour un bras de fer avec le gouvernement Legault. Ce dernier bénéficie toujours de l’appui d’une bonne partie de la population, particulièrement en région. Toutefois, avec un appui massif des travailleurs et des travailleuses, il est possible de bâtir un rapport de force considérable afin d’obtenir des gains significatifs.

Mobiliser les stagiaires

Avec une grève non seulement des étudiant·e·s, mais des stagiaires, le mouvement pour la rémunération de tous les stages peut établir un rapport de force nouveau avec le gouvernement. Une grève des stages aurait un poids économique plus important pour le faire plier. Et pour la première fois depuis des décennies, le mouvement étudiant tente de faire un gain plutôt que de sauver les meubles. Toutefois, rien n’est gagné d’avance et il n’existe pas de solution sans lutte et mobilisation.

Les gains obtenus pour les stagiaires en psychologie suite à leur grève de 2016 ou ceux remportés pour les stagiaires en enseignement, deux ans plus tard, montrent que la lutte paie. Ces victoires émanent d’abord et avant tout de l’action des personnes principalement concernées : des stagiaires ont fait la grève de leur stage. Si certains programmes universitaires avec stage obligatoire sont mobilisés dans la lutte actuelle, de nombreux autres ne le sont pas, notamment dans les cégeps. C’est le cas de plusieurs associations étudiantes de programmes techniques, traditionnellement opposées à la grève… pour ne pas manquer leur stage ! Pour qu’une véritable grève des stages se déroule à l’hiver 2019, les efforts déjà déployés vers ces personnes par les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) devront s’intensifier afin de les convaincre que les sacrifices liés à cette lutte valent la peine.

Pour une coordination nationale

L’histoire du mouvement étudiant nous démontre qu’un rapport de force stratégique avec le gouvernement dépend d’une coordination nationale des objectifs et des actions d’un mouvement de lutte. Autrement, le mouvement est vulnérable à la division et à la logique actuelle d’arrangements au cas par cas. Avant d’opter pour la grève générale illimitée (GGI), les étudiant·e·s doivent en discuter démocratiquement et extensivement dans leur association étudiante. De cette manière, ils et elles peuvent se préparer aux différents scénarios possibles et se mobiliser volontairement. La meilleure arme dont dispose le mouvement étudiant est sa capacité à déclencher une GGI. Une GGI victorieuse implique toutefois deux conditions : mobiliser les associations étudiantes en faisant vivre leurs structures démocratiques et assurer une collaboration et une concertation nationale des associations afin d’agir simultanément. L’ASSÉ, le MDE et l’ANEEQ ont chacune joué un rôle historique pour avoir assuré ces conditions.

Les CUTE sont de formidables comités de mobilisation étudiants. Leurs principes de décentralisation excluent néanmoins toute forme de représentation et de coordination nationale. Le mouvement actuel devra surmonter cette contradiction pour faire des gains d’envergure nationale.

Pour une solidarité et une mobilisation des syndicats

Le mouvement étudiant a tout à gagner à se solidariser avec les luttes du personnel enseignant ainsi qu’avec celles des travailleurs et des travailleuses qui œuvrent sur les milieux employant des stagiaires non rémunéré·e·s. Si une victoire des étudiant·e·s améliorerait leurs conditions de vie, ils et elles seraient toutefois confronté·e·s aux mêmes emplois précaires que les autres une fois sur le marché du travail. Un soutien mutuel actif, qui s’attaque aux enjeux de tout le monde, permettrait de bâtir un rapport de force qui dépasse le milieu étudiant. Dans l’autre sens, les syndiqué·e·s ont aussi avantage à se solidariser avec les stagiaires. Dans les faits, les stagiaires sont des travailleurs et des travailleuses, mais bénévoles. Les stages non rémunérés produisent une pression à la baisse sur les conditions de travail. Par conséquent, la lutte pour la rémunération de tous les stages est une lutte pour l’amélioration des conditions de travail de tous les travailleurs et les travailleuses.

Parmi les alliés potentiels prioritaires du mouvement étudiant figurent les syndicats d’auxiliaires de recherche et d’enseignement. Leurs travailleurs et travailleuses, étudiant·e·s pour la plupart, présentent des revendications connexes comme la rémunération de toutes les heures travaillées ou le salaire minimum à 15 $/h. Le syndicat des employé·e·s étudiant·e·s de l’UQAM appuie d’ailleurs déjà la campagne. Une convergence des luttes pourrait mener à une grève coordonnée entre les stagiaires et les employé·e·s.

Utiliser Québec solidaire

L’Assemblée nationale constitue un autre front sur lequel la lutte pour la rémunération des stages doit s’imposer. Il ne faut pas être dupe des gestes d’ouverture tentés par le ministre de l’Éducation caquiste pour apaiser la grogne. La lutte est nécessaire. Québec solidaire (QS), le seul parti à défendre réellement la rémunération des stages, constitue un outil à ne pas négliger. Désormais officiellement reconnu comme parti, QS et ses élu·e·s disposent de beaucoup plus de temps de parole pour interpeller le gouvernement à ce sujet. L’implication dans les associations de campus et de circonscriptions peut servir à imposer cet enjeu à QS et faire pression sur son aile parlementaire. Toutefois, le gouvernement ne votera pas une loi pour la rémunération de tous les stages sur la base des interventions de député·e·s. C’est hors du parlement que le mouvement doit être le plus fort.

En ce sens, le potentiel des associations locales de QS à servir d’instances d’organisation et de mobilisation politique en dehors des périodes électorales peut constituer un bon outil. Certaines de ces associations, dont celle du campus de l’Université de Sherbrooke, se sont mobilisées sur les campus afin d’aider à lever les cours et participer aux manifestations durant la semaine du 19 novembre. C’est un précédent dont il faudra tenir compte en vue d’une grève générale illimitée.

De la rémunération des stages à la lutte contre le capitalisme

Un mouvement démocratique de grève étudiante, étendu massivement à l’échelle du Québec, soutenu par des organisations syndicales — dont celles des auxiliaires de recherche et d’enseignement — et finalement capable d’utiliser QS comme caisse de résonance à l’Assemblée nationale est en mesure de gagner son bras de fer avec le gouvernement Legault. Le combat pour la rémunération de tous les stages est un jalon important de la lutte contre la précarité et la pauvreté des étudiant·e·s. Il pourrait aussi constituer le premier mouvement de masse capable de porter un coup au gouvernement caquiste.

La campagne des CUTE présente une dimension anticapitaliste forte. Elle dénonce les rapports d’exploitation qui existent dans les milieux académiques et les formes d’oppression qu’ils prennent, notamment envers les femmes. Le capitalisme dépend de plus en plus du travail réalisé dans le secteur des services, effectué principalement par des femmes. Il est clair que l’évolution du capitalisme ne concorde pas avec l’amélioration de la qualité de vie des travailleurs et des travailleuses.

Au-delà de ces constatations, le mouvement étudiant doit s’armer d’un programme socialiste s’il veut réellement mettre fin à l’exploitation et à la précarité. Cette lutte doit se mener avec la classe des travailleurs et des travailleuses, la seule force sociale capable de s’emparer du pouvoir politique et de mettre un terme aux inégalités vécues par les étudiant·e·s et l’ensemble de la population. En plus des stages rémunérés, les étudiant·e·s ont notamment besoin d’un enseignement gratuit, accessible et de qualité. Des luttes massives de l’ensemble des travailleurs, des travailleuses et des étudiant·e·s seront nécessaires pour obtenir un refinancement public massif de l’enseignement et des services publics. La rémunération des stages doit également aller de pair avec le refinancement public du milieu communautaire qui repose notamment sur le travail non rémunéré des stagiaires. Seule une société socialiste, où la classe des travailleurs et des travailleuses a renversé le capitalisme et s’est emparé des principaux leviers politiques et économiques, peut garantir une telle amélioration de nos conditions de vie.

Charles C. et Julien D.

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